L’édito de Fabrice Grosfilley : un accord sur le budget avant d’avoir un gouvernement ?

Peut-on faire un budget à défaut d’avoir un gouvernement ? C’est en tout cas l’orientation que semblent suivre les sept partis appelés à négocier la prochaine majorité régionale. Hier, ces sept partis ont demandé à Sven Gatz, ministre du Budget du gouvernement sortant, toujours en affaires courantes, de prévoir un budget pour la suite de l’année 2025 et l’année 2026. Pour l’instant, ce budget fonctionne sur la base des douzièmes provisoires. Cela ne permet pas de réduire l’endettement, on reproduit à l’identique le budget de l’an dernier, qui était fortement déficitaire. Sven Gatz est donc chargé d’élaborer une proposition qui devra, elle, s’attaquer réellement au dérapage budgétaire en cours. Cela se traduira inévitablement par des diminutions de budget, des baisses de subsides ou des suppressions de postes dans la fonction publique.

La Région bruxelloise ressemble aujourd’hui à la cigale d’une fable de La Fontaine : « Vous avez chanté tout l’été ? Eh bien, dansez maintenant ! » Est-il envisageable que ce budget, qui nous promet du sang et des larmes, puisse être adopté au Parlement ? C’est une question qu’on va laisser ouverte. Puisque les sept partis demandent à ce qu’on y travaille, on veut bien leur laisser le bénéfice du doute.

Si l’on veut réellement revenir dans une trajectoire budgétaire vertueuse, il va falloir renoncer à certains investissements ou, au moins, envisager de les décaler. Réduire certaines politiques. Augmenter certains impôts pour jouer aussi sur les recettes. Toutes ces décisions que les partis politiques n’aiment pas prendre parce qu’elles les rendent impopulaires. Est-ce que nos sept partis sont capables de se mettre d’accord sur cet effort d’assainissement, sans pouvoir en retour mettre en place de nouvelles politiques qui leur permettraient de réaliser au moins une partie de leur programme ? Sont-ils prêts à décevoir leur électorat, sans même pouvoir bénéficier d’un poste de ministre ou de secrétaire d’État, qui serait à même de prendre des décisions plus positives, en capacité de gouverner et de communiquer ? On va donc leur laisser le bénéfice du doute.

On soulignera quand même que se mettre d’accord sur un budget de la sobriété – on va laisser de côté les termes comme rigueur ou austérité – c’est le plus difficile. Si l’on est capable de s’entendre sur le budget, on doit être capable de se mettre aussi d’accord sur un programme de gouvernement.

Cette prétention à pouvoir avancer sur le terrain budgétaire tout en laissant le reste des négociations à l’arrêt est très paradoxale. C’est aujourd’hui la seule solution qu’on a trouvée pour garder l’Open VLD à l’intérieur des négociations. Ces négociations portent donc, a priori, sur le budget, puisque l’Open VLD refuse de négocier si la N-VA n’est pas présente. C’est la technique de l’appât ou de l’entonnoir. L’espoir, c’est que si l’on avance suffisamment bien sur le budget, l’Open VLD finira par lever son verrou et que la négociation finira par devenir une vraie négociation de gouvernement. L’espoir fait vivre.À ce stade, Frédéric De Gucht reste quand même très catégorique : le budget, pourquoi pas, un gouvernement, pas question. La réalité, c’est que cette discussion sur le budget permet aussi d’occuper le terrain médiatique. On n’en est pas nul part, puisqu’on parle budget.

L’autre grand paradoxe du moment, c’est l’orientation politique que prend cette discussion. En confiant le dossier à Sven Gatz, ministre Open VLD, qui n’a pas arrêté de regretter que ses collègues du gouvernement sortant ne soient pas assez rigoureux ces dernières années, et qui a même exprimé publiquement ses frustrations sur la question, on se doute bien que le projet qu’il rendra sera particulièrement strict. Avec des économies qui risquent de faire mal. 

On rappellera que le résultat des élections de juin a placé un parti de droite en première position, le MR, tout en faisant pencher le Parlement bruxellois vers la gauche, compte tenu des scores obtenus par le PS et le PTB. Ce résultat devrait logiquement déboucher sur une politique qui contiendrait des marqueurs de droite et de gauche. On va dire une politique du centre, même si cela ne veut pas dire grand-chose. Peut-être du centre droit, compte tenu de la présence des Engagés et des concessions qu’il faudrait faire à l’Open VLD et au CD&V pour qu’ils restent à bord, ainsi que de la réalité budgétaire qui s’impose à nous.

La politique, vous le savez, fonctionne sur le principe des vases communicants. Commencer par le budget, c’est difficile. C’est aussi une occasion pour les partis de droite de vérifier que les partis de gauche, en particulier le PS, sont prêts à faire des efforts substantiels en matière de politique budgétaire. Au nom de ces vases communicants et des grands équilibres, le PS et les partis de gauche se retrouvent dans une position délicate, où les libéraux mettent évidemment la pression. Si vous voulez une majorité sans la N-VA, alors il faudra budgétairement aller encore plus à droite. À l’inverse, si vous acceptez la N-VA, le balancier pourra repartir vers le centre. Le raisonnement vaut évidemment en sens inverse pour le MR et l’Open VLD. C’est cette recherche du point d’équilibre qui est actuellement en cours. Une forme de donnant-donnant.

Il y a quand même une réalité arithmétique que les négociateurs ne doivent pas oublier : la présence au Parlement de partis de gauche – PTB, Écolo, Team Ahidar – qui ne manqueront pas, eux aussi, de mettre le PS, Vooruit ou Groen sous pression si la politique budgétaire devait pencher trop à droite. Croire que c’est l’Open VLD tout seul qui pourra décider de la politique budgétaire des prochains mois… ça reste une vue de l’esprit. Aujourd’hui, Frédéric De Gucht fait monter les enchères. À trop tirer sur la corde, c’est tout l’édifice qui risque de s’écrouler comme un château de cartes.

Fabrice Grosfilley 

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25 mars 2025 - 09h28
Modifié le 25 mars 2025 - 11h42