L’édito de Fabrice Grosfilley : Bruxelles, cette guérilla permanente

Se disputer en semaine ne leur suffit  plus : il faut que la polémique s’invite également le week-end. Ce dimanche, les partis censés négocier le prochain accord de majorité en Région bruxelloise se sont donc offert une nouvelle poussée de fièvre. Une illustration d’une tension qui prend une tournure irrationnelle et n’est pas loin d’atteindre un point de non-retour.

Tout démarre dimanche matin avec un message posté par David Leisterh sur le réseau X, anciennement Twitter. Le formateur libéral y annonce que le Mouvement réformateur (MR) ne votera pas les douzièmes provisoires. Ces douzièmes provisoires sont un budget temporaire prévu pour les trois premiers mois de l’année prochaine. Ils reproduisent à l’identique les dépenses de l’année précédente, faute de gouvernement de plein exercice, empêchant de présenter un véritable budget pour 2025.  Mais, selon le MR, qui s’appuie sur un rapport de la Cour des comptes, le budget préparé par le gouvernement en affaires courantes n’applique pas strictement la règle des trois douzièmes. Plusieurs administrations ou postes de dépenses auraient obtenu une dérogation à la hausse. “Le MR ne sera pas complice de cela”, écrit David Leisterh, se posant en rempart contre les dérapages budgétaires.

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Une fois ce message posté et repéré par les autres familles politiques, la machine s’emballe. Ne pas voter le budget plongerait la Région dans une paralysie totale. Sans budget, plus d’argent sur les comptes des administrations ou des ASBL subventionnées par la Région. Les services publics régionaux seraient paralysés. La FGTB, syndicat socialiste, réagit sur Twitter en évoquant un “shutdown des services publics régionaux” : plus de paiements des allocations familiales, plus de transports en commun, plus de ramassage des poubelles dit le syndicat. “Ce sont des menaces irresponsables”, s’insurge sa secrétaire régionale.

Tout l’après-midi, la tension monte. L’Open VLD, par exemple, fait savoir qu’il partage l’analyse de David Leisterh tout en précisant qu’il faudrait éviter un shutdown des services publics. Ses partenaires s’étranglent. Ce budget des douzièmes provisoires a été préparé par l’équipe de Sven Gatz, ministre libéral du Budget. Et toutes les demandes de dérogations évoquées par le MR seraient justifiées affirme-t-on dans les rangs du gouvernement en affaires courantes. Par exemple, une dérogation pour Paradigme, l’organisme qui gère les services informatiques de la Région. Si un dépassement est bien prévu en janvier, c’est parce qu’on renouvelle les licences informatiques à ce moment-là. Les libéraux se font mousser sur du vent. Ce n’est pas une attitude responsable, critiquent ses détracteurs. La suite des débats aura lieu ce matin en commission des finances. Théoriquement, le vote des douzièmes provisoires est prévu la semaine prochaine.

Si on vous en parle ce matin, c’est parce qu’un shutdown des services publics serait évidemment un incident politique majeur. Mais aussi parce que ces échanges illustrent le climat extrêmement délétère qui règne désormais entre la famille libérale et le camp socialiste. On ne se fait plus de cadeaux. Le Parti socialiste a ainsi déposé la semaine dernière une proposition d’ordonnance pour relancer le dispositif permettant de lutter contre les loyers abusifs. Ce dispositif, imaginé lors de la précédente législature, n’a jamais été réellement appliqué. Pour les libéraux, c’est une déclaration de guerre.

En arrière-plan, il y a évidemment le blocage complet des négociations en vue de former un gouvernement régional. Depuis le retrait du PS, David Leisterh est dans une impasse. Cela fait aujourd’hui six mois que nous avons voté. Six mois de pugilat grandissant et une impasse totale. À  cela s’ajoute également le blocage des négociations dans la commune de Schaerbeek. PS et MR se regardent en chiens de faïence. Les négociateurs ne se sont plus rencontrés depuis que le PS a annoncé son retrait des discussions, et l’animosité est à son comble.

Un autre exemple : l’interview de Georges-Louis Bouchez dans La Dernière Heure ce samedi. Il y évoque une attitude du PS “hallucinante” et qualifie l’alliance passée à Molenbeek de “coalition du communautarisme à l’extrême”. Il ajoute : “Molenbeek est une bombe à retardement. La question n’est pas de savoir si elle va exploser, mais quand. Ce n’est plus une question de mois, mais d’heures.” Ces propos volontairement explosifs  ne sont pas de nature à apaiser les tensions.

Quand on met bout à bout le retrait du PS des négociations, l’enlisement à Schaerbeek, l’annonce du MR sur le budget provisoire et des déclarations comme celles-ci, on peut se demander si la perspective d’un gouvernement MR-PS est encore envisagée par les deux partis. Nous sommes passés de la “coalition contre-nature”, pour reprendre l’expression de Laurette Onkelinx, à une guérilla délétère permanente. Imaginer aujourd’hui ces deux partis travaillant ensemble dans un gouvernement relève de l’excès d’optimisme.  À tel point qu’on se demande si la mission de formation de David Leisterh a encore un avenir.

►L’Edito de Fabrice Grosfilley