Beaucoup d’images virtuelles mais pas d’argent: quel avenir pour les grands projets d’infrastructure bruxellois ?
Depuis de longs mois, de nombreux projets bruxellois sont au frigo, faute de budgets. Tous les projets dans les cartons pourront-ils être réalisés ? Rien n’est moins sûr. Il faudra vraisemblablement faire des choix, et trouver de nouvelles manière de les financer.
“Un magnifique boulevard urbain avec de nombreux arbres et plantations, des pistes cyclables sécurisées et une attention particulière accordée à la régularité des transports publics et à la fluidité du trafic automobile“. C’est en ces termes qu’Ans Persoons (Vooruit), secrétaire d’Etat bruxelloise en charge de l’Urbanisme et Elke Van den Brandt (Groen), ministre bruxelloise de la Mobilité, présentent début septembre la future avenue Charles Quint. Les images virtuelles du communiqué de presse font languir. Parterres de fleurs, ciel bleu, larges pistes cyclables. On est loin de l’artère bouchonnée que l’on connait aujourd’hui. Le permis d’urbanisme est délivré, les travaux peuvent commencer. Quand ? “Nous essayons de planifier le plus vite possible en fonction des disponibilités budgétaires“, répond laconiquement Camille Thiry, porte-parole de Bruxelles Mobilité. Mais de source sûre, ce n’est pas avant plusieurs années. Voire après 2030.
Même histoire ou presque, il y a six mois. Le permis d’urbanisme pour le réaménagement de la place Meiser est délivré. Ce point noir de la circulation bruxelloise, cette “Place Misère (…) deviendra demain un espace urbain, bien plus arboré“, se félicitent la secrétaire d’Etat et la ministre dans un autre communiqué commun. Quand les travaux vont-ils commencer ? Autour de 2027-2028, nous glisse-t-on.
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Difficile d’y voir plus clair en cette période de crise politique. “On espère en savoir plus avec les discussions budgétaires qui sont en cours pour l’instant“, explique Camille Thiry. “Depuis un an et demi, nous ne pouvons plus lancer de marchés publics. Nous réalisons ce qui a été lancé avant les affaires courantes. Ce dont les budgets ont été planifiés. Et nous effectuons les opérations de maintenance habituelles“. C’est par exemple le cas du chantier Sainctelette, Stalle/Neerstalle ou Barrière de Saint-Gilles.
“Dans l’état actuel des choses, il n’y aura jamais l’argent pour cette ligne“
Un déblocage politique devrait donc permettre d’y voir plus clair à moyen terme pour les projets tels que Meiser ou Charles Quint. Mais l’état des finances bruxelloises pose de nombreuses questions pour les grands projets d’infrastructure dans la capitale. Le Métro3 en est le plus emblématique, mais il y en a de nombreux autres. Citons par exemple le tram 15 amené à relier la gare centrale à Belgica via la gare du Nord. Une demande de permis a été déposée en juin dernier (en 2019, le projet était prévu pour 2024). Mais un interlocuteur proche du dossier est clair : “Dans l’état actuel des choses, il n’y aura jamais l’argent pour cette ligne“.
Intéressons-nous justement au quartier Nord. Le périmètre de la gare est l’une des zones régionales considérées comme un “pôle stratégique“. Il fait l’objet de “Projets d’aménagement directeur” et de “Contrats de rénovation urbaine”. Différentes tours de bureaux ont déjà fait le fruit de réhabilitation de la part d’entrepreneurs privés. Mais pour recréer de la vie entre les tours de 17h à 8h du matin, des lignes de transports en commun sont nécessaires, des parcs, des écoles. Brefs, des fonds publics.
Filons de l’autre côté de Bruxelles pour un dernier exemple : quel avenir pour la zone Herrmann-Debroux ? Le viaduc doit être détruit autour de 2027-2028, mais sa destruction est conditionnée à la construction d’un Park & Ride et d’une ligne de tram. Ces deux projets sont au frigo. Il manque 40.000 euros pour terminer une étude sur la faisabilité du Park & Ride. Bref, le viaduc a encore de beaux jours devant lui. Question commune à tous ces projets : avec quel argent donner vie aux belles images en réalité virtuelle publiées il y a déjà si longtemps ?
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“Il va falloir être créatif”
La réponse est si simple (hum…) et partagée de tous bords politiques : “Il va falloir être créatif“. Evidemment, aujourd’hui, les capacités d’emprunt sont mises à mal par le déficit. Une piste envisagée, les fameux partenariats publics-privés. Remis au gout du jour grâce (hum… encore) au marasme du Projet-De-Métro-Dont-On-Ne-Peut-Plus-Dire-Le-Nom. “Un partenariat public-privé, c’est d’ailleurs ce que nous faisons aujourd’hui avec le tunnel Annie Cordy“, illustre Camille Thiry. “Il est aujourd’hui géré par une société privée“. C’est aussi une piste soulevée par Ophélie Durand, urbaniste chez Arcadis, qui travaille aujourd’hui sur l’avenir du quartier Nord. “Dans les années 90, le boulevard Albert 2 a été aménagé par le privé, des entrepreneurs se sont répartis le boulevard en fonction des surfaces de bureau qu’ils voulaient développer. C’est à l’avantage des promoteurs. Un quartier qui vit, qui est qualitatif, avec de bons transports en commun, ce sont des critères de réussite pour leur projet immobilier“. Comme leviers, il y a notamment les charges d’urbanisme imposées aux développeurs de projets d’empleur pour contribuer aux besoins de la collectivité.
Une piste intéressante, mais qui a aussi de nombreuses limites : “C’est toujours difficile d’estimer la rentabilité d’un projet immobilier, pour venir y imposer des charges d’urbanisme supplémentaires“, indique Marc-Jean Ghyssels (PS), député bruxellois et ancien bourgmestre de Forest. “Et puis cela correspondrait à un budget dérisoire, à côté du coût total d’une ligne de tram“. Un constat partagé par Matthieu Pillois (Défi) échevin en charge de l’Urbanisme à Auderghem, qui ajoute : “Si on les augmente, on risque de faire fuir les investisseurs ou on risque de faire augmenter le prix des logements“.
Du côté des investisseurs, Nextensa, à la manœuvre sur le site de Tour & Taxis, se dit timidement prêt à participer dans le cadre des règlements d’urbanisme. “Le tram 15 serait en effet bénéfique pour le site et les habitants des quartiers, mais notre projet tient aussi la route sans cette ligne“, nous glisse-t-on. Bref, ce n’est pas gagné.
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Des capacités d’emprunt “intelligentes”
Une autre manière “d’être créatif”, c’est de dégager des capacités d’investissement différentes. C’est peut-être quelque chose qui a péché sur le projet de métro, relevait d’ailleurs Pauline Deglume, journaliste à L’Echo dans Le Tram. “Le modèle d’investissement “cash” ne permettait pas d’encaisser des surcouts importants. A Paris, une société a été créée pour gérer le financement du Grand Paris Express. Ils ont émis des Green Bonds, des obligations vertes, ce qui leur permet d’acheter du temps en considérant leur métro comme un asset durable sur le long terme. La pause forcée actuelle pourrait permettre de repenser le modèle de financement de ce projet“. Cette piste est-elle en tête des négociateurs du budget. Impossible à savoir tant les uns et les autres avancent en ce moment à pas feutrés pour éviter de crisper les partenaires.
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Fermer les tunnels?
Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra également “revoir nos ambitions à la baisse sur certains projets de réaménagement globaux“, s’accordent à dire différents interlocuteurs politiques. “Et revoir le fonctionnement de la Région sur certains points“, ajoute un autre qui remet en question l’intérêt de certains grands projets : “L’auvent de Schuman est-il indispensable ? Les questions d’accessibilité de la station gare Centrale étaient essentielles, mais le réaménagement onéreux en surface l’était-il ? N’a-t-on pas visé la démesure pour les stations du métro 3 ? Ce sont à chaque fois des questions anecdotiques portant sur des éléments revenus dans l’actualité ces dernières semaines, mais ce sont des questions qu’il faudra systématiquement se poser à l’avenir“, au risque de jeter à la poubelle certains projets.
Un point de vue partagé il y a quelques semaines par Elke Van den Brandt. “Tout est une question de priorités politiques“, nous indiquait-elle. “La rénovation des tunnels capte une grande partie du budget de Bruxelles Mobilité“. Faut-il pour autant les fermer ? L’idée était mise sur la table par Bruxelles Mobilité lui-même, avec le bureau d’étude Stratec fin 2024. “La fermeture de cinq tunnels bruxellois d’ici 2030 permettrait d’économiser plusieurs dizaines de millions d’euros, sans avoir d’impact majeur sur la mobilité“, concluait l’étude. “Il y a matière à débat“, nous ajoutait à ce propos la ministre bruxelloise de la Mobilité. Mais là encore, le dossier est explosif. Evitons peut-être de le relancer alors que d’éventuels partenaires de gouvernement sont (enfin) réunis à une table de négociations budgétaires.
Thomas Dufrane
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