Game of Thrones à l’Union belge, épisode 2 : Peter Bossaert chute du trône
À première vue, la série Game Of Thrones n’a pas beaucoup de points en commun avec la plus grande fédération belge de football. Détrompez-vous. L’œuvre télévisuelle met en scène les jeux de pouvoirs et les combines existantes pour obtenir le Trône de fer. A une époque pas si lointaine, l’Union belge a connu une situation similaire.
Au centre du jeu : Peter Bossaert, CEO de l’Union belge (2018 et 2022), et Paul van Den Bulck, président de la Fédération (2021-2023). Le premier refuse le contrôle du second. Ce qui entraîne une escalade des tensions entre le comité de direction, qui s’occupe des affaires courantes, et le conseil d’administration.
Cette dispute du pouvoir au sein de l’URBSFA va entraîner le départ de ces deux fortes personnalités. Cette série de quatre articles vous emmènera dans les coulisses de l’une des plus grandes crises de l’Union belge. De la lutte pour le Trône, synonyme du pouvoir, à la chute des deux hommes. Jusqu’à la victoire finale de Peter Bossaert, avec un accord secret jusqu’ici.
Game of Thrones à l’URBSFA : l’avenant qui fera tomber Bossaert du trône de fer
Dans notre premier article, nous avons évoqué les problèmes de transparence et le refus de Peter Bossaert d’être évalué par son CA. Ce deuxième acte s’attaquera à la raison principale de son éviction : l’avenant de la discorde.
Avant la signature de cet avenant si controversé, le contrat initial semblait également poser problème. Dans le PV de l’assemblée générale qui scellera le sort du CEO, Michaël Verschueren affirme que lui et Robert Huygens n’ont jamais vu le contrat de service de Peter Bossaert. Curieux pour un président et un vice-président de la plus grande fédération belge de football. Nous avons tenté de contacter les deux personnes citées. Le fils de Michel n’a pas souhaité faire de commentaire public sans une réaction de la Fédération. Tandis que l’autre n’a pas répondu à nos sollicitations.
Selon Mehdi Bayat, président à l’URBSFA entre 2019 et 2021, le salaire de Peter Bossaert n’était pas un mystère et était connu de tous. Une affirmation qui ne semble pas du tout évidente à la lecture des documents que nous avons eus en notre possession.
“Une forme de conflit d’intérêts”
Dans son contrat, Peter Bossaert percevait une somme fixe de 500 000 euros par an et une autre variable de 100 000 euros maximum. Jusque-là, rien d’anormal même si ces sommes sont très élevées. Dans les documents que nous nous sommes procurés, on observe que Palumi, la société de Peter Bossaert, a bien reçu trois virements de 100 000 euros hors TVA pour les années 2019, 2020 et 2021. Pendant trois ans, il a donc perçu l’entièreté des bonus.
Une question est centrale : qui était compétent pour octroyer ou non ces bonus ? La réponse se trouve dans les statuts. “La délégation de la gestion journalière permet au CEO de poser une série d’actes de manière autonome et indépendante dans le cadre – et les limites – de la gestion journalière. Cette délégation n’empêche pas le conseil d’administration d’exercer lesdits pouvoirs de manière concurrente. Un devoir de surveillance de la gestion journalière est imposé au CA. À ce titre, le ROI impose notamment au CEO une obligation de soutien et de respect de la tâche de contrôle du CA ainsi qu’une attitude proactive vis-à-vis, du président à des fins de consultation régulière et de maintien d’un dialogue fondé sur le respect mutuel, la confiance et l’ouverture.”
Les statuts sont formels : le CA est compétent pour contrôler le CEO. Légalement, il a aussi pour mission de valider ou non les différents bonus octroyés. Pendant quatre ans, Peter Bossaert a donc fait valider ses bonus par son comité de direction composé de ses hommes de confiance. Ce qui constitue un problème de bonne gouvernance, comme noté dans l’audit de l’Union belge.
Dans ses conclusions, NautaDutilh, qui réalise cet audit de contrôle, est assez explicite. “S’agissant de la partie fixe, le CEO peut valablement demander le paiement de ses factures. En revanche, l’on pourrait estimer que celui-ci se trouve dans une forme de conflit d’intérêts, car ses factures sont émises sans possibilité de validation préalable et indépendante par le conseil d’administration. Ce dernier reste libre de mettre en place un processus adéquat pour la partie fixe de sa rémunération avant que tout paiement ne soit effectué par l’Union. S’agissant de la partie variable, l’Union est compétente afin d’adopter une décision visant à octroyer ou non la rémunération variable du CEO. Le CEO ne peut s’octroyer cette partie variable de manière unilatérale. Enfin, le contrat de service prévoit que les frais exceptionnels doivent être préalablement approuvés par le Conseil d’administration.”
Dans ce contexte, le 22 février 2022, Peter Bossaert signe un avenant. Ce nouveau contrat poursuit deux buts précis : une indexation des deux parties de son salaire et une fixation d’un cadre pour obtenir ses bonus. Désormais, trois clauses seront obligatoires pour se voir octroyer cette partie variable : la tenue d’au moins six réunions du conseil d’administration, un audit annuel de Good Governance par une tierce partie et des revenus commerciaux excédant la somme de 15 millions d’euros. En 2022, la Fédération repasse à la caisse et signe un chèque de 107 000 euros en 2022 qui correspondent au bonus perçu.
Dans sa note, NautaDutilh estime qu’il laisse “apparaître que les trois indicateurs clés de performance sont aisément réalisables. Ce qui est clairement le cas pour les deux premiers qui ne demandent aucun effort important de la part du CEO. En outre, les démarches pour la réalisation de ces deux premiers indicateurs sont plutôt de la compétence du conseil d’administration. (…) Enfin, le troisième est en réalité facilement atteint et ne constitue donc pas non plus une véritable clé de performance.”
En d’autres termes, les experts expliquent que ces trois indicateurs sont surtout là pour faire joli. Auparavant, Peter Bossaert s’octroyait lui-même ses bonus. Cet avenant fixait donc des clauses “légales”, mais d’aucune utilité puisque trop facilement atteignables.
Les règles du royaume pas respectées
Reste à répondre à une question : cet avenant était-il légal ? Ce nouveau contrat est l’élément déclencheur. Celui qui fera sauter Peter Bossaert. Pour NautaDutilh, la réponse est claire. “L’avenant a été conclu en méconnaissance des pouvoirs légaux réservés au conseil d’administration. (…) Le CEO, étant au courant du pouvoir réservé au conseil d’administration et du fait que l’avenant n’a pas été approuvé par le CA, peut-être considéré tiers complice en droit, permettant dès lors à l’URBSFA de demander l’annulation de l’avenant”. Dans un autre paragraphe, NautaDuthil précise que “la clause d’indexation de l’avenant est entachée d’une irrégularité sanctionnée par la nullité de l’article 1 de l’avenant. (…) On pourrait estimer que celui-ci (Peter Bossaert) se trouve dans un conflit d’intérêt, car ses factures sont émises sans possibilité de validation préalable et indépendante de la part du Conseil d’administration.”
En plus de cet avenant, on lui reproche également certains frais très élevés qu’il facturait via sa société. Entre décembre 2021 et novembre 2022, il a facturé plus de 650 000 euros de frais… toujours sans le consentement du CA. “Enfin, le contrat de service prévoit que les frais exceptionnels, comme les frais de déplacements, de voyages à l’étranger ou de repas au restaurant, doivent être préalablement approuvés par le Conseil d’administration”. Cela n’a jamais été le cas. Et la note est salée.
Peter Bossaert méritait-il de sauter de son trône ?
Certes, la légalité de cet avenant peut être contestée. Mais cela vaut-il un licenciement ? Ce sujet est très sensible en droit. Il est surtout très dur à déterminer. Nous avons posé la question à Me Vangansbeek. Selon ce spécialiste du droit du travail, la réponse à cette question se trouve dans le contrat. “Les parties prenantes sont libres de prévoir des clauses dans le contrat qui encadrent cette faculté de rupture unilatérale pour manquement de l’autre partie. On parlera de ‘clause résolutoire express’”, commence l’avocat. “De telles clauses devaient très probablement exister dans le cadre qui nous occupe. Elles devaient préciser la notion de manquement à ce point grave qu’il justifiait immédiatement la rupture du contrat sans préavis ni indemnité.”
“Il n’y a pas de définition légale de ce qui est un tel manquement grave”
Impossible de donner une réponse précise à propos de la justification de la décision. “Il n’y a pas de définition légale de ce qui est un tel manquement grave. Le juge devra se référer aux dispositions du contrat et les interpréter à la lumière des circonstances particulières de la situation donnée.” Peter Bossaert méritait-il de se faire virer de la Fédération ? Impossible à dire aux yeux de la loi. En revanche, cette affaire aurait pu avoir des répercussions sur à peu près tout le monde à la fédération.
Tout le royaume aurait pu sauter
L’avenant et sa signature sont les nœuds du problème. Selon Paul Van den Bulck, ils symbolisent les frictions qui existent entre le CA et le CEO. Ce sont d’ailleurs ces deux éléments, en plus d’une série de différends dont nous parlerons plus tard, qui vont pousser le président de l’époque à demander un avis juridique extérieur à propos de la gouvernance à l’URBSFA.
Cependant, le timing interroge. Sportivement, les Belges sont au fond du gouffre et sortent de leur pire tournoi depuis l’entrée au 20e siècle. Une crise institutionnelle, au moment où l’unité doit être de mise, est dangereuse pour l’avenir de la Fédération. “J’ai préféré utiliser la voie juridique parce que, pour des raisons techniques, il était impossible de vous en parler avant”, ajoute le président devant ses administrateurs. “Il y a deux groupes d’administrateurs. Les deux signataires de l’avenant qui engagent potentiellement leur responsabilité et le reste des administrateurs. Je souhaitais une égalité du traitement des informations en les donnant au même moment à tout le monde. De plus, j’ai attendu, en raison des autres problèmes à gérer comme l’après Martinez et le mauvais tournoi qatari. Je ne voulais pas faire imploser l’URBSFA a ces moments-là.”
Pour l’ancien président, le sujet du contrat était une bombe à retardement. Et il n’a pas eu tort. Pourquoi existe-t-il deux types d’administrateurs, si on reprend ses propos ? Tout simplement parce que le président de l’époque et le vice-président ont bel et bien signé cet avenant. Et que les autres n’en avaient pas connaissance.
Présents lors de la réunion, Michaël Verschueren et Robert Huygens se défendent face à cette situation. C’est le second qui commence : “On m’a demandé de signer cet avenant. J’ai demandé si nous devions l’examiner en conseil d’administration. Mais on m’a répondu par la négative.” Président depuis le 5 juin 2021, d’abord ad interim après le départ de Mehdi Bayat, Robert Huygens avait évoqué le sujet avec le département juridique.
C’est Pegie Leys qui est à sa tête. C’est une femme qui fait partie du clan Bossaert. “Selon Pegie, je ne devais pas montrer l’avenant au CA parce qu’il ne dépassait pas le montant de 100 000 euros et que cette somme rentrait dans les clous du budget.” Michaël Verschueren acquiesce. “Nous avons signé ce document de bonne foi”, assure-t-il. “Financièrement, on nous a expliqué qu’il n’y avait aucune augmentation du budget. Nous n’avons jamais vu le contrat de service de M. Peter Bossaert. Mais nous avions confiance en lui, en Pegie Leys et Tom Borgions.” Le dernier cité est également un homme de Bossaert et s’occupe du département financier de la fédération.
Paul Van den Bulck entend les arguments, mais se montre ferme. “Contrairement à ce que dit Pegie Leys et Tom Borgions, ce contrat de service et son bonus doivent obligatoirement être soumis au conseil d’administration. Nous avons le droit de disposer du contrat.” Après ces échanges, Robert Huygens se dit même prêt à faire un pas de côté, si l’honneur de la Fédération est touché. Il se rétractera par la suite, mais cela prouve qu’il a conscience que cette situation pourrait faire sauter le CA.
Face à ces nouvelles révélations, comment réagissent les autres administrateurs ? La responsabilité des deux hommes est engagée. Comme l’explique NautaDutilh dans sa note. “Tout acte engageant l’Union doit faire l’objet d’une délibération, permettant ainsi d’éclairer les administrateurs quant à la décision à prendre. Cette décision doit ensuite être adoptée en connaissance de cause.” En terme juridique, le CA a “le pouvoir de décision et est défini par un organe collégial. La responsabilité des administrateurs signataires de l’avenant est dès lors engagée.”
Pourtant, Michaël Verschueren et Robert Huygens sont restés à la Fédération. Ce qui n’est pas illogique puisqu’ils avaient le soutien de l’ensemble du CA. Globalement, ils n’ont donc pas été mis en cause. “Je suis certain qu’ils ont agi de bonne foi”, dit Sven Jacques lors d’une réunion. Ils ont d’ailleurs obtenu une décharge pour se prémunir d’éventuelle sanction. Elle a été approuvée par tous les administrateurs, ce qui sauve leur place au sein du CA…
On ne trahit pas sa famille
Le 30 mars 2023, soit une petite semaine après le départ de Bossaert, le CA s’est réuni pour une autre réunion. On a déjà évoqué la place prise par le président et le vice-président de l’époque lors de la signature de l’avenant. Reste à déterminer quel est le rôle joué par le comité de direction dans cette histoire. Lors de cette réunion, les membres du conseil constatent et regrettent une fuite d’informations vers la presse. Ils évoquent la signature d’un NDA, une proposition de convention de confidentialité. Certains sont en faveur de ce type de contrat, d’autres non.
“Le climat est nocif”
Pour Paul Van den Bulck, une longue guerre commence entre le clan Bossaert et celui du CA. “Nous sommes dans un marathon face à Peter Bossaert, Tom Borgions et Pegie Leys.” La fracture entre les deux camps est totale. “Désormais, j’enverrai les mails sensibles à partir de mon adresse e-mail d’avocat et non depuis celle de l’Union. Le comité de direction, dont Peter Bossaert, a accès à mes emails ou mon calendrier”, déclare le président, preuve que l’ambiance est très hostile. “Si chacun fait preuve de professionnalisme, ce NDA n’est pas nécessaire. Mais avec les fuites dans la presse, il y a une nécessité de confidentialité sur le long terme.” Cette proposition démontre également que des frictions existent au sein même du CA. “Le climat est nocif”, explique Peter Willems.
Lors de cette réunion, on apprend également que Pegie Leys a demandé un autre avis juridique extérieur à Baker McKenzie concernant la gouvernance au sein de l’URBSFA. “Les conclusions confirment celles de NautaDutilh”, assure Paul van Den Bulck. “Ce rapport a été transmis à Peter Bossaert et Tom Borgions. Puis, la presse a affirmé à tort que le comité de direction disposait d’un avis contraire. Madame Pegie Leys nous a envoyé les correspondances dans le cadre de la demande d’avis au cabinet d’avocats Baker McKenzie en précisant qu’elle n’avait jamais eu de contacts avec la presse.” Le CA discute de l’avenir des autres membres du comité de direction. Faut-il les virer aussi ?
Présent à la réunion, un avocat de chez NautaDutilh prend la parole. “Une distinction doit être faite entre monsieur Bossaert et les autres membres. Le premier est lié à un contrat de service via sa société, tandis que les deux autres sont liés par un contrat de travail. La question qui se pose, par rapport aux faits, est de savoir s’il s’agit d’une faute grave. Les faits ne sont pas encore clairs en ce qui concerne les instructions données à Madame Pegie Leys et Monsieur Tom Borgions lors du système qui avait été mis en place.”
Ils décident donc d’auditionner les deux membres pour éclaircir la situation et prendre des décisions en connaissance de cause. L’un comme l’autre ont juré fidélité à l’URBSFA. “J’ai toujours travaillé de bonne foi depuis une vingtaine d’années”, commence Tom Borgions. “Pour la partie bonus, il s’agit d’un contrat de services qui avait été rédigé par le juriste M. Bart Veraeghe. Une “facture additionnelle” avait été reçue. J’ai payé cette facture sur instruction de M. Bart Verhaeghe, puis Mehdi Bayat.”
De son côté, Pegie Leys a tenu à rappeler sa loyauté envers l’institution. “Malgré les nombreux éléments mentionnés dans la presse, l’URBSFA peut compter sur moi à l’avenir. Je continuerai à respecter mes obligations déontologiques en vertu de mon contrat de travail. Si j’ai demandé un autre avis juridique, c’était uniquement pour le bien de l’institution.” Une autre série de réunions sera organisée. Mais le CA décide finalement de conserver les deux éléments. Ce qui sera finalement fatal à un autre homme : Paul Van den Bulck.
Gilles Joinau