Game Of Thrones à l’Union belge, épisode 1 : la lutte pour le trône de fer

À première vue, la série Game Of Thrones n’a pas beaucoup de points en commun avec la plus grande fédération belge de football. Détrompez-vous. L’œuvre télévisuelle met en scène les jeux de pouvoirs et les combines existantes pour obtenir le Trône de fer. A une époque pas si lointaine, l’Union belge a connu une situation similaire. 

Au centre du jeu : Peter Bossaert, CEO de l’Union belge (2018 et 2022), et Paul van Den Bulck, président de la Fédération (2021-2023). Le premier refuse le contrôle du second. Ce qui entraîne une escalade des tensions entre le comité de direction, qui s’occupe des affaires courantes, et le conseil d’administration. 

Cette dispute du pouvoir au sein de l’URBSFA va entraîner le départ de ces deux fortes personnalités. Cette série de quatre articles vous emmènera dans les coulisses de l’une des plus grandes crises de l’Union belge. De la lutte pour le Trône, synonyme du pouvoir, à la chute des deux hommes. Jusqu’à la victoire finale de Peter Bossaert, avec un accord secret jusqu’ici. 

 

Game Of Thrones à l’Union belge : la lutte pour le trône de fer

“Cette décision constitue l’une des plus grandes crises dans l’histoire du football belge”. Ces mots prononcés par Sven Jacques lors de la réunion du conseil d’administration du 22 mars 2023 traduisent une réalité implacable.

Ce jour-là, cet administrateur délégué de l’URBSFA est convoqué, au même titre que l’ensemble de ses collègues. En cause : le rôle de Peter Bossaert en tant que CEO du comité de direction. En interne, on reproche à celui qui se trouve sur le trône de fer une gouvernance opaque et les relations difficiles qu’il entretient avec son conseil d’administration.

Peter Bossaert s’empare du Trône de fer

Pour comprendre ce qu’il s’est passé en 2023, il faut retourner en 2018, lors de la nomination de Peter Bossaert au sein de l’Union Belge. À l’époque, il doit faire face à une importante crise : le Football Gate. Des matchs truqués, des perquisitions, des équipes reléguées, une image tronquée… le football belge nage en plein chaos. En dehors de ce bourbier, l’équipe nationale connaît la période la plus faste de son existence. Elle sort d’une troisième place historique à la Coupe du monde en Russie et est reconnue pour sa formation. C’est dans ce contexte que Peter Bossaert est nommé en tant que CEO. “Les Diables rouges sont notre meilleur produit d’exportation et pourtant le foot belge est en crise. Quand on évoque aujourd’hui le football en Belgique, ce sont les mots organisation criminelle, pots-de-vin, blanchiment d’argent et match fixing qu’on entend. Il faut rétablir la confiance sans tabou, c’est notre responsabilité de dirigeant”, estime-t-il lors de sa prise de fonction.

Peter Bossaert : “Il y a beaucoup de politique à l’Union belge”

À la fédération, il arrive en terrain conquis puisqu’il a été choisi par Bart Verhaeghe, le président en place. Les deux hommes entretiennent des liens très forts et sont décrits comme des amis. De plus, ils partagent le Club de Bruges comme passion commune. Une fois introduit, Peter Bossaert veut les pleins pouvoirs pour remettre de l’ordre dans le football belge. “Il y a beaucoup de politique à l’Union belge”, disait-il en critiquant l’emprise des clubs au sein de la Fédé. “Ce n’est pas un problème tant qu’il ne s’occupe pas de l’opérationnel. Le politique peut discuter au niveau du conseil d’administration, mais le management est responsable pour l’exécution.” En d’autres termes, le CA aura désormais un rôle consultatif, mineur. Tandis que le comité de direction se charge de l’exécutif avec un seul chef à bord : Peter Bossaert.

De la modernité à la désunion

Dès le début de son mandat, Peter Bossaert met en place toute une série de réformes. Onze points sont au programme pour une fédération forte, indépendante et transparente. Il souhaite que les clubs belges possèdent moins de pouvoir au sein de la fédération. Le CA accepte et promet un nouveau budget nécessaire pour la refonte. En plus de cela, il déménage le vétuste centre administratif fédéral de Bruxelles vers les installations neuves de Tubize. Il met aussi en place un système d’audit annuel comme une grande entreprise et digitalise l’URBSFA. Bref, il effectue un véritable dépoussiérage vers la modernité.

Mehdi Bayat a connu ces changements de l’intérieur. Le président du Sporting de Charleroi a été celui de l’Union belge entre 2019 et 2021. Pour lui, le travail du CEO n’est pas à remettre en cause. “Sans discussion possible, Peter a été un très bon CEO”, commence-t-il. “Il a effectué un travail colossal et il a permis à la fédération de survivre dans une période très difficile. Que ce soit pendant le Football Gate ou la Covid. Son objectif a toujours été de travailler pour la fédération et ses intérêts.”

Mehdi Bayat avec Peter Bossaert en 2019. BELGA PHOTO VIRGINIE LEFOUR

Toujours dans cette optique de transparence, Peter Bossaert souhaite que le président de la fédération et son vice-président ne proviennent pas du sérail footballistique. Paul Van Den Bulck et Pascale Van Damme entrent en fonction le 20 juin 2022. Le début de la fin pour le CEO. Si les réformes ont plutôt apporté du positif dans l’ensemble, l’ambiance au sein de la fédération devient délétère. Elle est gangrenée par des luttes et des problèmes de gouvernance. Le linge sale est lavé dans la presse où les informations fuitent constamment. Cette guerre interne est couplée à une situation sportive explosive où les Diables rouges sortent d’une élimination sans gloire au Qatar. Le CA reproche déjà l’immobilisme de Peter Bossaert face à un climat qui s’est dégradé sous Roberto Martinez. Cette défaite est synonyme de fin pour la génération dorée comme pour Peter Bossaert. La Belgique vit un tournant de son histoire.

Le Roi refuse le contrôle par autrui

Pour écrire cette enquête, nous avons mis la main sur une série de documents confidentiels. Ils démontrent comment la fédération a vécu cette crise de l’intérieur. Dans les arcanes du football belge, plus personne ne souhaite aborder le sujet. “La crise est passée, mais les stigmates de cette période sont encore bien présents”, nous dit-on. Tout le monde veut oublier cet épisode qui a laissé des traces. À plusieurs reprises, on nous a présenté ce renvoi comme une guerre d’ego et une lutte de pouvoir entre Paul Van Den Bulck et son CEO. Si les désaccords sont réels, on découvre dans les documents que les problèmes sont aussi structurels.

Cela fait plusieurs mois que Paul Van Den Bulck tente d’obtenir le contrat de son CEO. En vain. Peter Bossaert refuse de le lui donner. En plus du contrat de base, Paul Van Den Bulck apprend qu’un avenant du document a été signé entre le CEO, Robert Huygens et Michaël Verschueren. Lors de cette période, soit le 24 février 2022, les deux hommes sont respectivement président et vice-président de l’Union belge. Ce nouveau contrat comprend deux choses : une indexation du salaire de base (500 000 euros) et une fixation des conditions d’obtention de la partie variable (100 000 euros). En plus d’opérer une rétention d’information, Peter Bossaert est accusé d’avoir négocié cet avenant avec son comité de direction et, surtout, sans l’accord de l’ensemble du CA. Ces deux éléments poussent Paul Van den Bulck à demander un audit de l’entreprise. Pour lui, Peter Bossaert refuse de se faire contrôler par son conseil d’administration. Pourtant, il s’agit bien d’une fonction qui lui est attribuée par les statuts de l’URBSFA qui sont publics.

Peter Bossaert discute avec Paul Van den Bulck. BELGA PHOTO ERIC LALMAND

Le 22 mars 2023 : le Royaume entre en guerre

Une fois l’audit de la fédération par le cabinet d’avocats NautaDutilh terminée, Paul Van Den Bulck veut évoquer le rôle de Peter Bossaert avec l’ensemble du CA. Le 22 mars 2023, tous les administrateurs sont convoqués ainsi que le CEO et Tom Borgions qui s’occupe des finances au sein du comité de direction. Le point 1 de cette réunion exceptionnelle est très transparent : “Clarification de la gouvernance et des relations entre le CA et le CEO”. Les avocats de NautaDutilh sont également présents pour expliquer les résultats de leur travail.

“Le président a choisi l’escalade”

La réunion commence à 19h50 tapantes avec la présentation de l’avis juridique de l’audit. Une fois cet exposé terminé, les murs de la fédération tremblent. Dans les PV du CA que nous nous sommes procurés, on remarque une chose : le CEO n’a pas l’habitude d’être remis en cause. Surtout, il refuse de rendre des comptes au CA. Et encore moins avec la présence de Paul Van Den Bulck. “Le but de cette convocation est unilatéral, à charge et vide de sens. De plus, le président joue à la fois le rôle de juge et partie. Je refuse que le CA évalue mon travail sans ma présence”, explique-t-il. “Monsieur Bossaert, je n’ai pas de reddition des comptes à faire envers vous. Par ailleurs, je suis le président du CA et ma présence ici est inscrite dans les statuts. Ce qui n’est pas votre cas puisque vous n’êtes pas administrateur, contrairement à ce qui est noté sur notre site internet”, lui rétorque le président pour prouver le rôle hybride que Peter Bossaert voulait jouer au sein de la fédération. “Je vous rappelle que vous êtes responsable de la gestion journalière de l’Union belge devant le Conseil d’administration et que vous êtes soumis au contrôle et à la surveillance de ce dernier. Avez-vous d’autres observations ou autres griefs à mon encontre ou celui de la fédération ?” Le cadre est posé, les échanges explosifs.

“Le président a choisi l’escalade plutôt que d’en parler directement”, reprend l’ancien CEO. “Mes services à l’URBSFA ont une valeur ajoutée.” La tension est plus que palpable entre les deux hommes. “Depuis 2018, la gouvernance de l’UB a changé et j’ai dû prendre des décisions qui n’ont pas contenté les parties prenantes. Je voyais l’arrivée de Paul Van den Bulck et Pascale Van Damme d’un bon œil comme personnes indépendantes. Mais j’ai très vite déchanté. Nos relations se sont dégradées à cause de plusieurs décisions à propos des relations de l’URBSFA avec la FIFA. Mon potentiel départ tourne autour de la conclusion de l’avenant. Cette potentielle fin sera, dans la mesure nécessaire, traitée en justice.”

Les deux hommes avant la guerre ouverte. . BELGA PHOTO DAVID CATRY

Paul Van Den Bulck tente de calmer les esprits et demande à Peter Bossaert de quitter cette réunion. Ce qu’il refuse. Le président assure qu’il répondra à toutes les questions du CA et insiste pour pouvoir poursuivre sans le CEO. Sur la défensive, Peter Bossaert préfère questionner son président à propos de leurs désaccords. Au bout de dix minutes intenses et électriques, Peter Bossaert quitte la réunion en compagnie de Tom Borgions. Une autre ère s’ouvre sans eux. Elle sera décisive pour Peter Bossaert.

 

Bossaert déchu de son trône

À 20h02, tous les administrateurs se retrouvent sur Teams. Comme écrit dans la retranscription de la réunion, c’est Sven Jacques qui prend la parole en premier sur cette situation déplorable. Et il n’y va pas de main morte. “Ces dernières années, nous avons tenté d’évaluer Peter Bossaert en dehors de sa présence. Mais cette volonté est restée vaine. Nous aurions dû résoudre les problèmes à ce moment-là. J’aimerais souligner son manque de transparence. En plus, le fait qu’il refuse de répondre sur les problèmes de fond prouve que son attitude ne répond pas à ce que l’on attend d’un CEO.” Rapidement, il est rejoint par Pierre Locht, le manager général du Standard. “Je regrette que le CEO ait choisi de contre-attaquer notre président plutôt que de répondre aux questions. Cet avenant devait être soumis au Conseil d’administration. Je pense qu’il y a eu de la rétention d’information de la part de Bossaert. Il évoquait la confidentialité comme raison, mais cela dure depuis trop longtemps. Ce n’est pas le rôle de Peter de vérifier si les administrateurs respectent leurs obligations. Nous ne pouvons pas poursuivre sur cette voie.”

Benjamin Vasseur lui emboîte le pas. “Nous nous focalisons sur le contrat de service, mais j’aimerais rappeler que notre CEO nous a caché certaines informations, notamment avec le contrat de Roberto Martinez. De plus, c’est Bart Verhaeghe qui promettait 100 000 euros par téléphone à chaque fois. Il y a également eu des contrôles fiscaux alors que les montants dépassaient 100 000 euros. Je n’ai plus confiance en lui. Monsieur Bossaert refuse d’engager sa responsabilité sur le manque de transparence et de respect. Pour le bien de la fédération, nous devons agir avec éthique et transparence.” Finalement, tous les administrateurs se joignent au constat. Le résultat est sans appel : le conseil d’administration décide de voter pour mettre fin au contrat de Peter Bossaert.

 

Gilles Joinau