Emir Kir et Philippe Close accusés dans une pièce sur la prostitution au Théâtre National
Cachez cette prostitution que je ne saurais voir. Seulement, les prostitué.e.s n’ont absolument pas envie de se cacher. Au contraire. Elles/ils s’exposent en vitrine, dans la rue et aussi sur scène. Pendant près de deux semaines, au Théâtre National, le collectif théâtral La Brute a donné la paroles à ces femmes et ces hommes qui ont décidé de se servir de leur corps pour gagner leur vie. Dans la pièce “Paying for it”, la troupe clame la parole des travailleuses et travailleurs du sexe belges ou français.es, d’une chercheuse, d’un policier du quartier Nord de Bruxelles… Au passage, ils en profitent pour attaquer nommément deux bourgmestres socialistes bruxellois, Emir Kir (Saint-Josse) et Philippe Close (Ville de Bruxelles). Un fait plutôt rare dans le monde artistique.
Remettons d’abord les choses dans leur contexte. “Paying for it” est du théâtre-documentaire. Pendant trois ans, les membres du collectif ont collecté la parole des prostituées. On retrouve Sonia Verstappen, cofondatrice du mouvement belge Utsopi (union de travailleuses du sexe organisées pour l”indépendance), un transsexuel brésilien qui tapine dans le quartier de l’Alhambra, une gérante et serveuse dans un bar à champagne à Gembloux, un prostitué sado-masochiste, un autre prostitué et membre d’un collectif en France, une chercheuse, une artiste performeuse prostituée, une prostituée du sud de la France qui exerce chez elle et un policier du quartier Nord de Bruxelles. La diversité des profils est ainsi bien représentée et les discours empreints d’une réalité déconcertante. Au fil de la pièce, il devient d’ailleurs très compliqué de se dire qu’il s’agit d’acteurs.
Le discours aussi est violent. Les abolitionnistes, qu’ils soient hommes ou femmes, en prennent pour leur grade. Pour les personnages présents, cela n’est qu’une manière de détourner la prostitution du regard des honnêtes gens. Les travailleurs se cachent pour exercer. Les femmes sont alors moins en sécurité. Les discours abordent également la question du consentement de la prostituée, de sa connaissance des conditions même quand il s’agit de jeunes femmes qui viennent du Nigéria comme c’est le cas de la très grande majorité des Africaines présentes dans les carrées de Saint-Josse, de ses conditions de travail. Mais surtout, ils reviennent sur les décisions prises par Saint-Josse et la Ville de Bruxelles pour éradiquer cette activité du quartier Nord et de l’Alhambra.
Emir Kir : “je veux éradiquer la prostitution du quartier”
Depuis des décennies, le quartier Nord est un lieu de prostitution. A Schaerbeek, on compte 90 salons et carrées répartis sur les rues d’Aerschot, Linné et Plantes. En 2011, Schaerbeek a mis en place un règlement d’urbanisme et de police pour que les établissements respectent certaines normes. En 2015, tout le monde s’était mis en ordre et on peut dire que la situation est sous contrôle.
Par contre, du côté de Saint-Josse, le bourgmestre Emir Kir (PS), n’a pas réussi à faire de même. Il ne part pas avec la même approche. Là où Bernard Clerfayt veut régulariser l’activité, lui souhaite l’éradiquer. Ses règlements, plus strictes, ont été cassés plusieurs fois par le conseil d’Etat. Conclusion, aujourd’hui, plusieurs femmes peuvent occuper une même carrée et plus aucun certificat de conformité n’est demandé.
Emir Kir avait aussi eu la volonté de mettre en place une villa Tinto comme à Anvers. Dans un même lieu, toutes les prostituées auraient été regroupées. Seulement, cela demande un budget de 40 à 50 millions. “Nous n’avons pas été suivis par les autres niveaux de pouvoir et nous n’allons pas payer cela tout seul”, précise Emir Kir. “Je ne suis pas pour la prostitution et je lutterai toujours contre la traite des êtres humains. J’entends les plaintes de riverains. Nous devons sécuriser le quartier et je refuse de parler avec des gens qui méprisent totalement les habitants et voient seulement leur intérêt.”
Actuellement, Emir Kir tente de racheter des immeubles où se trouvent des carrées pour les transformer en logements. “Il rachète trop cher des lieux et il n’en fait rien, explique Zoé Genot (Ecolo), conseillère communale à Saint-Josse. Aucun travaux n’a commencé. Là, il rachète le café Vox qui annonce l’entrée du quartier mais il ne peut pas le fermer tant qu’il y a un bail. Ce n’est pas de la gestion correcte. Il ne veut rien entendre. D’ailleurs, lorsque nous avons voté une motion contre la violence faite aux femmes, il n’a pas voulu inscrire un amendement qui demandait une attention particulière pour les travailleuses du sexe, ni que les femmes sans-papier ne puissent venir déposer plainte sans que le policier n’examine leur légalité sur le territoire.”
Actuellement, un renforcement des contrôles de police est mené dans le quartier Nord. Le plan d’action Nord vise surtout le trafic de drogue et d’armes. Les chiffres de vols avec violence et les coups en blessures sont en baisse selon les statistiques de la police mais cela ne veut pas dire que le sentiment d’insécurité n’est pas important. Pour le moment, la police ne souhaite pas communiquer plus de chiffres et préfère attendre d’avoir un peu plus de recul pour tirer un bilan du plan d’action.
Philippe Close, l’abolitionniste
A la Ville de Bruxelles, la prostitution est tout autre. Elle se situe dans la rue, dans le quartier Alhambra, entre Yser, la rue de Laeken, le KVS, le théâtre National. Dès qu’Yvan Mayeur est devenu bourgmestre de la Ville de Bruxelles, le règlement de police s’est renforcé pour répondre au comité de quartier de chasser les femmes des trottoirs. Philippe Close a poursuivi et même amplifié le phénomène. Clairement abolitionniste, le bourgmestre est accusé d’avoir augmenté l’insécurité pour les prostituées. Les clients sont contrôlés par la police et les amendes envoyées au domicile. Du coup, ils sont moins nombreux et les femmes acceptent des clients qu’elles n’auraient jamais faits par le passé.
Philippe Close ne souhaite pas réagir à la pièce “Paying for it”. Cependant, les chiffres de la police sont interpellant. Les actions policières se sont multipliées qu’il s’agisse des contrôles des établissements horeca, la sécurité routière, les enquêtes judiciaires…Par rapport à 2018, on constate une augmentation de 14% des PV. Pas moins de 18 actions de sécurisation ont eu lieu en septembre dernier. Les gardiens de la paix circulent aussi beaucoup pour proposer des circuits de sortie de la prostitution. Ce mois-ci, un bar a aussi été fermé pour une problématique de drogue. Mais force est de constater, qu’un mardi, vers 19h, en passant par là pour se rendre au Théâtre National, elles étaient encore nombreuses à attendre un client.
Philippe Close a décidé d’organiser une réunion tous les deux mois avec les habitants du quartier. La première aura lieu ce mercredi soir. Les hôtels de passe seront au cœur de la première réunion. Evidemment, le comité de quartier souhaiterait les voir disparaître. Mais où iront-elles? “Dans les coulisses ou les toilettes du KVS et du Théâtre National” comme le clame les comédiens de “Paying for it”.
Vanessa Lhuillier – Photo: Belga