L’édito de Fabrice Grosfilley : toujours plus profond
Dans son édito de ce vendredi 7 février 2025, Fabrice Grosfilley revient sur le blocage de la formation bruxelloise.
On pensait avoir touché le fond. Il y avait pourtant moyen de couler plus profondément encore. L’interview de Zakia Khattabi dans Bonjour Bruxelles ce jeudi matin a mis en lumière, de manière particulièrement crue, l’absence totale de perspective des négociateurs bruxellois. Paralysie, impasse, blocage, stagnation, léthargie, coma… On pourrait puiser dans tout un dictionnaire des synonymes pour décrire la situation. La vérité brutale, mise en évidence par Zakia Khattabi, c’est qu’on cherche moins à conclure un accord qu’à tirer un profit politique du blocage, en rejetant la responsabilité sur le camp d’en face et en évitant de prendre des risques pour soi-même.
Dans notre studio, Zakia Khattabi a donc clairement déclaré que certains négociateurs avaient un agenda caché, qui consistait à prétendre qu’on attendait le Parti socialiste alors qu’en réalité, on préférerait s’en passer. Et que, s’il était exclu de se priver de la N-VA pour faire monter le PS à bord, on pourrait en revanche envisager cette option s’il s’agissait d’Écolo. La désormais cheffe de groupe des écologistes à la Région bruxelloise n’a pas voulu désigner qui que ce soit, mais on devine que son assertion vise la famille libérale. Et comme elle l’a elle-même souligné, ce sont des choses qui, habituellement, ne se disent pas sur la place publique. En levant un coin du voile sur l’aspect caché des négociations, Zakia Khattabi confirme un sentiment que nous pouvons tous avoir : celui que les deux formateurs, David Leisterh et Elke Van den Brandt, ne font pas le maximum pour essayer de contourner le mur qui s’est dressé devant eux depuis que le PS a décidé de quitter les négociations. Ils attendent que le PS change d’avis, et puis c’est tout.
Évidemment, hier, le Parti socialiste s’est immédiatement saisi de cette interview pour renvoyer la pression vers David Leisterh et Elke Van den Brandt. Dans un communiqué, la fédération bruxelloise du PS dénonce une stratégie d’exclusion aux, je cite, “conséquences dramatiques pour la formation d’un gouvernement bruxellois“. Le PS voit dans ces manœuvres d’exclusion une volonté de faire avancer l’agenda de la coalition fédérale MR-N-VA, un “projet ultralibéral qui affaiblirait les acquis des Bruxellois” (on cite toujours). Le parti d’Ahmed Laaouej appelle donc les deux formateurs, David Leisterh (MR) et Elke Van den Brandt (Groen), à “sortir de l’impasse dans laquelle ils se sont enfermés” et à formuler des initiatives pour réunir une majorité parlementaire.
On ne peut pas dire qu’avec de tels propos, le PS cherche l’apaisement. Mais les socialistes ne sont pas les seuls à jeter de l’huile sur le feu. Frédéric De Gucht, le nouveau chef de file de l’Open VLD, qualifiait hier sur le réseau X les propos de Zakia Khattabi de “théorie du complot” et affirmait qu’il n’existe “aucun scénario où l’Open VLD serait prêt à échanger la N-VA contre un autre parti”. Il ne contribue ainsi pas à apaiser le débat, bien au contraire : il apporte de l’eau au moulin des socialistes. Il existerait donc un “bloc conservateur” qui ne souhaiterait plus se passer de la N-VA.
Ce vendredi, on doit donc poser le constat confirmé d’une déchirure. Le MR ne veut plus faire une majorité avec le PS. Le PS ne veut plus non plus monter dans une majorité avec le Mouvement réformateur. Bien sûr, l’un et l’autre diront le contraire. Mais en observateurs ayant un peu appris à compter, nous savons que les alternatives ne sont pas légion. Si MR et PS continuent à se tourner le dos, ce sera donc l’aventure : soit une hypothétique majorité très marquée à gauche, mathématiquement possible, mais politiquement irréaliste, soit l’absence d’un gouvernement en bonne et due forme. Ce ne sont ni les appels du roi Philippe ni ceux de Bart De Wever qui y changeront quelque chose.
Le sursaut ne pourra visiblement pas venir du monde politique, enfermé dans ses stratégies partisanes. Il pourrait venir de l’extérieur. Au moment où les fusillades se multiplient dans les rues de Bruxelles, il faut que nos décideurs prennent conscience que c’est aussi sur ce terrain-là qu’on les attend. Face à cette flambée de violence, il faut l’union sacrée. La stratégie de l’immobilisme et du pourrissement n’est pas acceptable. Il ne suffit pas d’appeler à la tolérance zéro de manière incantatoire. Il faut des moyens, des décisions, de la coordination. On ne peut pas laisser la Région bruxelloise sans gouvernement quand la mafia de la drogue ouvre le feu jour après jour. On ne peut pas non plus laisser la Région se débrouiller seule face à des réseaux qui la dépassent. Ceux qui pensent l’inverse se tirent une balle dans le pied.
Fabrice Grosfilley