L’édito de Fabrice Grosfilley : résoudre l’équation
Comment passer de l’incantation à l’action ? Comment traduire en actes et en mouvements concrets tous ces appels à sortir de l’impasse, ces grandes déclarations ou ces harangues à la prise de responsabilité, ces avertissements, exhortations, supplications ou communications en tout genre qui s’empilent depuis des mois sur la table des négociations en vue de former la prochaine majorité en Région bruxelloise ? Bruxelles est enlisée, il est minuit moins cinq, Bruxelles n’est pas à vendre, Bruxelles doit être gouvernée, Bruxelles mérite mieux, Bruxelles doit être gérée par les Bruxellois, Bruxelles est un marigot, Bruxelles n’est pas un terrain de jeu, Bruxelles est l’otage de la stratégie d’untel… etc., etc.
Évidemment, en politique, les appels sont toujours destinés aux autres. C’est à l’autre de bouger, à l’autre de lever ses exclusives et de faire le mouvement qu’il ne souhaitait pas faire. Et évidemment, quand on s’enferme dans un bras de fer, que les participants ont un peu d’ego et une estime de soi bien plus développée que l’empathie qu’ils peuvent éprouver pour les préoccupations de l’autre, cela finit par ressembler à un combat de coqs : Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier qui cédera battra en retraite.
Depuis trois semaines, Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer tentent donc de contourner ce bras de fer et de trouver une majorité qui permettrait enfin à la Région bruxelloise d’être gouvernée. L’équation, après neuf mois de tractations, est connue. Il faut une double majorité à Bruxelles : l’une dans le collège francophone et l’autre dans le collège néerlandophone. L’émiettement du paysage électoral rend les choses particulièrement compliquées du côté néerlandophone. Le manque de confiance entre partenaires n’a pas simplifié les discussions du côté francophone.
On a schématiquement deux pistes. Une avec la N-VA mais sans le PS. L’autre avec le PS mais sans la N-VA. Pour se passer du PS, il faudrait que DéFI et Écolo acceptent de prendre sa place. Pour se passer de la N-VA, il faudrait que les partis néerlandophones acceptent de prendre le CD&V. Pour compliquer encore un peu les choses, on notera aussi que le Mouvement Réformateur, fort de sa victoire électorale et privé de participation au pouvoir depuis 20 ans, est très désireux de faire pencher la région vers la droite. Il est donc lui aussi demandeur d’un scénario qui privilégierait la présence des nationalistes flamands pour limiter au maximum l’influence du PS, voire le renvoyer dans l’opposition si cela était possible. On rappellera quand même que le PS au Parlement bruxellois, c’est 16 députés, alors que la N-VA n’en a plus que 2. Et que les études des politologues établissent que de plus en plus d’électeurs francophones votent pour des partis néerlandophones. La situation de blocage qui résulte de ce mécanisme de protection accordé à la minorité néerlandophone est donc en grande partie provoquée par des votes francophones. On n’est pas la capitale du surréalisme pour rien.
Pour essayer de contourner le blocage, Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer ont donc rencontré tout le monde, testé plusieurs pistes, y compris celle d’un gouvernement minoritaire qui n’aurait donc pas la majorité soit dans le collège francophone, soit dans le collège néerlandophone. À tout prendre, on rappellera quand même que les francophones sont largement majoritaires en Région bruxelloise. Et qu’il serait tout de même très étrange que, pour garder la N-VA à bord, des partis francophones en viennent à sacrifier les intérêts francophones à ce point… mais c’est sans doute un détail.
Ce vendredi matin, il n’y a toujours pas de fumée blanche. Il y a des signaux encourageants, puisque plusieurs protagonistes se sont vus à plusieurs reprises ces derniers jours. D’après nos informations, Georges-Louis Bouchez et Ahmed Laaouej ont ainsi eu de nombreux contacts, et on sait que c’est de leur côté que viendra la solution si elle doit venir.
Initialement, la mission des deux informateurs devait durer deux semaines. On en est à la troisième, et il n’est pas exclu qu’une prolongation soit de nouveau envisagée jusqu’à la fin du week-end. La communication annoncée pour aujourd’hui pourrait donc être renvoyée à dimanche, voire à lundi. On n’est pas à 48 heures près…
Après, il faudra se rendre à l’évidence. Si cette mission d’information n’aboutit pas, on pourra toujours désigner un médiateur, un réconciliateur, un procrastinateur… La vérité, c’est que les deux schémas sur la table — avec la N-VA sans le PS ou avec le PS sans la N-VA — ne fonctionnent pas. Il faudra vraiment repartir de zéro et envisager sérieusement que des scénarios avec Team Ahidar dans le collège néerlandophone, ou avec Écolo, Défi voire le PTB dans le collège francophone, s’imposent à nous. Parce qu’après neuf mois, on ne peut plus rien écarter. Et ça, les négociateurs qui font la fine bouche doivent bien l’avoir en tête.