L’édito de Fabrice Grosfilley : règlements de compte dans l’IA

Que se passe-t-il dans le monde des développeurs et chercheurs en intelligence artificielle ? Ceux qui sont en train de façonner notre monde de demain sont en train de se déchirer et de passer d’une société à l’autre, une concurrence exacerbée sur fond de contrat mirobolants. C’est Dallas à la Sillicon Valley, ou Borgen chez les informaticiens, The Crown au royaume de ChatGPT  pour prendre des références plus récentes. Dernier épisode en date : le recrutement de Sam Altman par Microsoft. Sam Altman, 38 ans, était jusqu’à la semaine dernière le patron de OpenAI, la société mère de Chat GPT, ce robot conversationnel qui est un peu la star des intelligence artificielle, la première application grand public qui a mis cette technologie à la portée de monsieur et madame tout le monde, une sorte d’équivalent de Tesla pour la voiture électrique.

Sam Altman était donc  jusque vendredi denier une sorte de Bill Gates de l’intelligence artificielle. Auditionné par le congrès américain, donnant des conférence et des interviews, il incarnait son entreprise, et même le secteur de l’IA. Mais vendredi, révolution de palais  : Sam Altman est renversé par le conseil d’administration d’OpenAI. Apparemment une divergence de vue stratégique, presque philosophique, opposait Sam Altman aux autres administrateurs (et en particulier le chercheur Ilya Sutskeve membre du CA) sur la conduite de l’entreprise. Il faut savoir qu’au départ Open IA est une entreprises non lucrative (avec un statut de fondation) , plutôt orienté vers la recherche et qui se pose des questions sur les éventuelles dérives que l’intelligence artificielle pourrait entrainer. Sam Altman, plus dans une démarche de businessman, y a accolé une activité entrepreneuriale. C’est lui qui a amené des investisseurs extérieurs à investir dans l’entreprise. D’un coté les savant en blouse blanche, de l’autre les hommes de Wall Street et leur attachés-cases. Esprit labo contre appétit de croissance, le clash était inévitable,  il a donc eu lieu.

Là ou le feuilleton commence à concurrencer les scénario de Netflix c’est que le débarquement de Sam Altman a suscité une levée de boucliers à l’intérieur même de OpenAI. Qu’une partie des employés a menacé de se mettre en grève. Que celle qui avait été nommée pour le remplacer à titre intérimaire, a finalement essayé de le retenir…. En vain,  Sam Altman a finalement retrouvé du boulot chez l’un des investisseurs d’OpenAI :  Microsoft. Sam Altman est donc désormais le directeur du département de recherche sur l’intelligence artificielle de Microsoft. Lequel Microsoft reste l’un des actionnaire de référence d’OpenAI, dont il a permis le développement et qui dépend d’ailleurs du cloud de Microsoft pour fonctionner. Le problème c’est que Sam Altman ne part pas tout seul, une partie des cadres pourraient le suivre. On pourrait donc assister à un transfert de matière grise conséquent. Finalement c’est l’ancien patron de Twitch, le réseau social des gamers et streamers, un certain Emmett Shear, qui prend la direction d’OpenAI. Vous êtes un peu perdu ?  c’est normal, c’est Dallas.

Au delà de ces querelles de personnes, et de la position centrale que Microsoft est en train de prendre dans ce domaine de l’intelligence artificielle, se pose surtout la question de savoir ce que nous voulons faire de l’intelligence artificielle. De l’impact que ces super-ordinateurs vont avoir sur notre futur. Il ne s’agit plus seulement de stocker des informations, d’avoir accès à une documentation illimitée ou à des super calculateurs. L’intelligence artificielle est en mesure de créer et de décider à notre place. Une intelligence qui pourrait s’autonomiser et finalement prendre le contrôle du monde et de l’humanité. Le scénario relève de la science fiction pensez-vous ? Certains créateurs de ChatGPT  (ceux qui s’opposent à Sam Altman) pensent que ce scénario est désormais plausible.

Voir Sam Altman rejoindre Microsoft n’est pas férocement rassurant, et l’idée que ce conflit philosophique soit tranché par le board des entreprises ou les investisseurs ne l’est guère plus. S’il y a une chose que la puissance publique, le politique, ne peut pas laisser au marché et aux multinationales, c’est justement cette question-là, celle du futur de l’humanité.