L’édito de Fabrice Grosfilley : on n’ose pas imaginer
Il n’est pas tout à fait au bout de ses peines, David Leisterh. Il y a certes désormais un chemin qui se dessine pour former une nouvelle majorité en région bruxelloise. Mais il va falloir maintenant emprunter ce chemin et manœuvrer avec suffisamment de doigté pour que la négociation ne cale plus en cours de route.
Ce chemin, on vous en a déjà parlé dans cet éditorial, consiste donc à faire entrer le CD&V dans les négociations pour pouvoir finalement se passer de la N-VA et récupérer ainsi le soutien du Parti socialiste. À ce stade, c’est la seule hypothèse qui permettrait d’avoir une majorité à la fois dans le collège francophone et dans le collège néerlandophone. La seule hypothèse permettant de former un gouvernement bruxellois de plein exercice. David Leisterh a donc tout intérêt à ce qu’elle puisse réussir s’il souhaite pouvoir devenir ministre-président.
Avant que cette hypothèse ne devienne une réalité, il y a plusieurs étapes à franchir. Aucune d’entre elles n’est gagnée d’avance. Même si ceux qui prendraient le risque de faire à nouveau capoter la négociation porteraient alors la lourde responsabilité d’envoyer la région bruxelloise dans une forme de chaos démocratique et budgétaire dont on ne mesure pas encore les conséquences.
Premier écueil : l’adhésion des partis néerlandophones à cette nouvelle formule qui consiste à faire entrer le CD&V dans la majorité au détriment de la N-VA. C’est un désaveu pour Elke Van den Brandt, qui affirmait que le CD&V avait dit non, encore non et toujours non. C’est délicat pour Vooruit, qui est l’allié de la N-VA à la région flamande et au gouvernement fédéral. C’est inconfortable pour l’Open VLD, qui voudrait la majorité la plus à droite possible et qui se cherche un avenir électoral tout en étant coincé entre la N-VA et le CD&V. Il va falloir que ces trois partis néerlandophones acceptent de défaire leur alliance avec la N-VA. Et la N-VA risque, bien sûr, de les menacer de mesures de rétorsion. Mais on n’ose pas imaginer que ces trois partis néerlandophones n’acceptent pas la main tendue du CD&V. Dans le cas contraire, ils démontreraient que c’est bien la minorité néerlandophone qui bloque les institutions bruxelloises.
Deuxième écueil : l’imprévisible président du Mouvement réformateur, Georges-Louis Bouchez. Dans une désormais subtile distribution des rôles, David Leisterh est formateur et Georges-Louis Bouchez, chef de délégation. C’est lui qui incarne la position du MR autour de la table. Ces derniers jours, Georges-Louis Bouchez a martelé qu’il n’y avait pas d’autres solutions que d’accepter la N-VA à bord et qu’une participation du CD&V était inenvisageable. Les dernières 48 heures lui ont donné tort. On notera cependant que les relations entre le MR et le PS sont désormais extrêmement tendues, et que le président du MR souhaite tellement marquer la période par un glissement à droite de tous les niveaux de pouvoir qu’il n’est pas exclu qu’il tente de faire obstacle à la solution qui se dessine, puisqu’elle n’avait pas sa préférence. On n’ose pas imaginer que Georges-Louis Bouchez soit celui qui torpille la négociation et prive David Leisterh de toute chance de devenir ministre-président. Ce serait une politique de la terre brûlée qui renverrait le MR dans l’opposition, alors qu’il attend depuis 21 ans de pouvoir remonter au pouvoir. Ce serait aussi un abandon en rase campagne des électeurs qui ont voté pour le MR en région bruxelloise.
Troisième difficulté : la probable obligation de créer un poste de secrétaire d’État si l’on veut que le CD&V et aussi l’Open VLD soient autour de la table du gouvernement régional. Pour cela, il faut créer un poste ministériel supplémentaire. Les négociateurs devront être créatifs pour que cela n’alourdisse pas le budget. L’idée est donc de diminuer la facture pour tous les cabinets ministériels afin que l’opération soit au minimum neutre. Mais si l’on peut faire des économies, c’est encore mieux. Il faudra aussi que cette création de postes soit validée par un vote des deux tiers au Parlement bruxellois. Au total, la coalition potentielle compte 54 sièges sur 89. Il lui manquerait donc quelques suffrages à aller chercher du côté de l’opposition. Écolo, DéFI, mais aussi Team Ahidar ou le PTB sont des options possibles. Bien sûr, il n’est pas facile pour un parti d’opposition d’aller dépanner une majorité à laquelle il ne participe pas et de rompre le traditionnel équilibre entre francophones et néerlandophones. Mais là, il y a quand même une porte de sortie honorable qui pourrait satisfaire tout le monde. On pourrait créer ce quatrième poste de secrétaire d’État pour une législature seulement. À circonstance exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Surtout, les partis de l’opposition pourraient ne pas voter pour la création du poste, mais simplement s’abstenir : huit abstentions suffiraient. Dans le chef d’Écolo, qui a fait le choix de l’opposition, mais qui n’aurait rien à gagner à être responsable d’un blocage démocratique, on n’ose pas imaginer qu’il ne puisse pas s’abstenir.
On n’ose pas imaginer ces scénarios du pire. Et pourtant, on va rester prudents. Depuis huit mois en région bruxelloise, ou plus largement lorsque le monde politique privilégie ses seuls intérêts partisans ou se laisse dominer par des inimitiés personnelles, quand les hommes et les femmes d’État préfèrent s’effacer derrière les stratèges à la petite semaine, les pulsions négatives l’emportent trop souvent sur les projets positifs. Il y a une petite lumière au bout du tunnel. Il faut retenir son souffle et marcher prudemment si l’on ne veut pas qu’elle s’éteigne avant d’avoir pu l’atteindre.
Fabrice Grosfilley