L’édito de Fabrice Grosfilley : le tournant ?

C’est peut-être un tournant, et enfin la possibilité d’apercevoir une petite lumière au bout du tunnel. En l’espace de 24 heures, les négociations pour former une majorité capable de gouverner la région bruxelloise sont passées de l’enlisement morose à une sensation de déblocage fragile. On piétinait et on tournait en rond ; on a désormais la possibilité de mettre un pied devant l’autre. Ce ne sont que de petits pas, pas de grandes enjambées, mais cela change la donne, et il n’est plus interdit d’espérer que le formateur David Leisterh puisse, dans les prochains jours, enfin réunir un groupe de partis qui accepteraient de travailler ensemble tout en ayant une majorité au sein du parlement régional.

Ce tournant, on le doit à une série de déclarations de Sammy Mahdi et Benjamin Dalle, les deux hommes forts du CD&V : l’un au niveau du parti, l’autre au niveau de la région bruxelloise. Tous deux ont déclaré ou réaffirmé hier qu’une participation du CD&V à ces négociations était tout à fait envisageable. Pour cela, les sociaux-chrétiens flamands posent malgré tout deux conditions.

La première, c’est d’être bien présents dans ce gouvernement et de pouvoir peser dans la prise de décision. Comprenez que le CD&V demande à obtenir un poste de secrétaire d’État pour pouvoir être associé à toutes les décisions. On rappelle qu’un gouvernement prend ses décisions sur une base collégiale, même si chaque ministre peut se voir déléguer des compétences particulières.

La deuxième condition est que ce potentiel gouvernement opère un virage par rapport à ce qui se faisait sous la précédente législature. Le CD&V pointe ici deux priorités : un virage budgétaire, pour assainir des finances régionales qui sont aujourd’hui dans le rouge, et un virage sécuritaire, puisque le CD&V estime que la région n’a pas été assez offensive dans ce domaine. Hier après-midi, Benjamin Dalle a donc présenté ces conditions à David Leisterh. Si ce qui s’est dit à l’intérieur de la réunion est bien conforme à ce qui se dit à l’extérieur, cela ouvre sérieusement le jeu.

Jusqu’à présent, Elke Van den Brandt, la formatrice néerlandophone, estimait qu’il n’était pas possible de faire une majorité avec le CD&V. Elle affirmait avoir essayé, mais que le CD&V s’y refusait. C’est ce qui avait poussé Groen, Vooruit et l’Open VLD à passer un pré-accord avec la N-VA. Cette thèse, selon laquelle le CD&V était impossible à convaincre, était également martelée ces derniers jours par le président du Mouvement Réformateur, Georges-Louis Bouchez. Pour lui, il fallait prendre la N-VA, car jamais le CD&V ne bougerait. Et même s’il bougeait, il exigerait que la N-VA soit quand même à bord.

Hier, Benjamin Dalle a tordu le cou au récit libéral. Non, le CD&V n’exigera pas la présence de la N-VA. Et même si Benjamin Dalle estime honteux et antidémocratique le fait que le PS ait posé un veto contre les nationalistes flamands, il est disponible pour une négociation. Tout en précisant que c’est maintenant aux partis néerlandophones qu’il revient de défaire leur accord avec la N-VA pour l’inviter à la table des discussions.

Du côté de ces partis néerlandophones, on s’est un peu étranglé hier. Attendre huit mois pour voir le CD&V enfin assouplir sa position, même si le CD&V affirme qu’il ne fait que répéter ce qu’il dit depuis le début, cela a été vécu comme un retournement de veste. Soit le CD&V n’a pas toujours été aussi clair, soit certains partenaires néerlandophones n’avaient pas envie de le comprendre.

La réaction la plus virulente est venue de l’Open VLD, via Frédéric De Gucht, qui affirmait sur les réseaux sociaux que le CD&V avait refusé toute concession pendant cinq mois et qu’aujourd’hui, il “dansait au rythme du PS“. Il ajoutait que son parti ne participerait pas à “ce marchandage”. Il faut noter que Clémentine Barzin, cheffe de groupe MR au parlement régional, a repartagé ce tweet. Il y a donc une ouverture, mais la famille libérale se montre, à ce stade, au moins sceptique, voire réticente.

La suite des opérations dépend donc en partie des autres formations néerlandophones. Groen, Vooruit et l’Open VLD acceptent-ils de laisser tomber la N-VA ? C’est une condition préalable pour pouvoir aller plus loin. Si la réponse est oui, il faudra ensuite que les francophones acceptent de créer un poste de secrétaire d’État supplémentaire côté néerlandophone, pour que les quatre partis aient chacun la possibilité de siéger au gouvernement. Si cette deuxième condition est acceptée, alors on pourra lancer des négociations sur le fond.

Et là, il faudra satisfaire aux demandes du CD&V sur le budget et sur la sécurité. Pour la plupart des partenaires, cela ne devrait pas poser trop de problèmes. À une exception près : le Parti socialiste, qui va devoir accepter une trajectoire d’assainissement budgétaire qui n’est pas dans ses gènes. En réussissant à renvoyer la N-VA dans l’opposition et en démontrant qu’elle n’était pas du tout indispensable, comme le prétendaient certains, Ahmed Laaouej vient de remporter un point. Mais demain, ce sera à lui de faire des concessions. Dans une négociation, on ne peut pas gagner tout le temps.

Fabrice Grosfilley 

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12 février 2025 - 10h12
Modifié le 12 février 2025 - 10h12