L’édito de Fabrice Grosfilley : le PTB, d’épouvantail à partenaire ?

Dans son édito de ce jeudi 17 octobre, Fabrice Grosfilley revient sur les négociations avec le PTB dans divers commune.

Molenbeek-Saint-Jean, Forest, mais aussi peut-être Schaerbeek en Région Bruxelloise, Herstal en Wallonie. La liste des négociations auxquelles le PTB est désormais associé pour monter des majorités communales s’allonge. Quatre négociations, ce n’est pas énorme, nous ne sommes, en outre, pas du tout certains que ces négociations aboutiront. Il y a six ans, des contacts exploratoires avaient aussi eu lieu avec le parti de Raoul Hedebouw, mais aucun accord n’avait finalement été conclu. Les choses sont un peu différentes cette fois. D’abord à Molenbeek, parce que le PTB y est quasiment incontournable. Ensuite, parce que le PTB est devenu un instrument de la stratégie de négociation d’autres formations politiques, notamment du Parti socialiste. Un instrument qui permet de faire pression sur d’autres partenaires, à commencer par le Mouvement réformateur. Le PS se retrouve ainsi en position de parti pivot. Il a deux choix : soit il négocie avec les partis de gauche, y compris le PTB ou Team Ahidar, soit il négocie avec les partis de droite, comme le MR ou Les Engagés. Mais il a deux options et peut choisir celle qui lui est la plus favorable. Un luxe que n’ont pas ses partenaires, qui se retrouvent donc en position d’infériorité.

Cette situation nouvelle mérite qu’on s’y arrête, parce que c’est toute la force d’Ahmed Laaouej dans la séquence que nous sommes en train de vivre. Longtemps, la concurrence du PTB a été un handicap majeur pour le Parti socialiste. Voyant son électorat grignoté par l’extrême gauche, le PS a perdu sa position dominante. Il a dû céder la première place au Mouvement réformateur, en Wallonie comme à Bruxelles. Mais en ouvrant la perspective de négociations sérieuses avec le PTB, Ahmed Laaouej transforme ce handicap en atout majeur. Il peut s’appuyer sur le PTB pour prendre l’un ou l’autre mayorat. À l’exception de Molenbeek, on n’est pas du tout sûr que l’on aboutira réellement à des majorités PS-PTB ou PS-Ecolo-PTB. Mais le fait que cette possibilité existe est une arme de négociation dont le président de la fédération régionale du PS ne se prive pas, même s’il faut souligner que l’initiative de ces rapprochements appartient d’abord aux sections locales. À Molenbeek, à Forest, ce sont les élus locaux, poussés par les militants, qui mettent en piste ces options de gauche. Ils penchent clairement du côté de ce qu’on a appelé lors de la campagne électorale des “majorités progressistes”. Alors qu’à l’inverse, les états-majors, eux, sont plus frileux ; ils préfèrent souvent la stabilité d’une alliance avec des partenaires stables, connus et reconnus comme le MR ou Les Engagés.

C’est vrai que négocier avec le PTB, c’est un peu partir à l’aventure. On ne sait pas ce que veut vraiment le parti de Raoul Hedebouw. Quel degré de réforme attend-il en montant dans un exécutif ? Est-il capable de dissoudre un peu de sa radicalité dans l’exercice du pouvoir ? Est-il capable de respecter un budget par exemple ? Peut-on compter sur sa solidarité lorsqu’un collège échevinal aura une décision douloureuse à prendre ? Faire entrer le loup communiste dans la bergerie du collège échevinal, n’est-ce pas prendre le risque de rendre la commune ingérable, avec des polémiques sans fin et une majorité qui se déchire après quelques mois ?

Ces négociations avec le PTB commencent d’ailleurs déjà à provoquer quelques remous. Mariam El Hamidine, bourgmestre sortante de Forest, a ainsi annoncé hier qu’elle quittait le parti Ecolo. Et elle fait très clairement le lien avec la négociation en cours avec le PTB. “Les perspectives de majorité qui se dessinent à Forest sont contraires à mes convictions”, a-t-elle fait savoir à La Libre Belgique hier. Autre réaction, celle de Georges-Louis Bouchez : “Si le PS devait s’associer au PTB, il franchirait une ligne rouge aux yeux de tous les démocrates”, a écrit le président du Mouvement Réformatieur hier sur le réseau X, anciennement Twitter. “On ne peut donner les clés de la gestion publique à des gens qui soutiennent des régimes totalitaires et violent des principes démocratiques majeurs.” “De tels accords ne pourraient rester sans conséquence dans le champ politique belge”, a-t-il ajouté.

Ces réactions indiquent assez clairement que le PTB n’est pas encore devenu un parti comme les autres. Et c’est d’ailleurs tout l’enjeu pour lui : démontrer qu’il peut être associé à la gestion d’une commune, sans pour autant commencer à être perçu comme un parti traditionnel. Il lui faudrait donc être à la fois gestionnaire et radical pour réussir l’exercice. Un bon père de famille, qui n’aurait pas renoncé à ses idéaux de jeunesse. L’exercice est évidemment difficile. Ses partenaires le savent bien, et donnent quand même l’impression d’aller à reculons dans ces négociations. On se méfie du PTB. On lui demande des gages, une expression employée hier par Séverine De Laveleye, la nouvelle cheffe de file des Écolos forestois. Mais l’enjeu est énorme. Si le PTB démontre qu’il peut devenir un partenaire crédible et fréquentable, et non plus l’épouvantail ou le repoussoir qu’il était jusqu’à présent, c’est tout le paysage politique qui change. Un paysage où les partis de gauche sont aujourd’hui, en région bruxelloise, assez nettement majoritaires. Et où le Parti socialiste et les écologistes, tirant profit de ce glissement à gauche, pourraient se retrouver en position de parti pivot, s’associant une fois à droite, une fois à gauche, un peu dans le même rôle que tenait la famille social-chrétienne dans le passé. Pour l’instant, c’est de la politique-fiction. Si cela devient une réalité, ce sera une petite révolution.

Fabrice Grosfilley