L’édito de Fabrice Grosfilley : le Parlement européen lève le tabou de l’embargo total
Un embargo total et immédiat sur le gaz et le pétrole russe. C’est le vœu formulé par le Parlement européen au travers d’une résolution votée ce jeudi à Strasbourg. Un vœu qui va donc beaucoup plus loin que ce que les autorités européennes ont osé envisager jusqu’à présent.
Cette résolution, on va le préciser tout de suite, n’a pas de caractère contraignant. C’est un souhait, pas une décision. Dans notre système de gouvernance, ce sont les états membres qui décident des mesures de sanctions, sur proposition de la Commission européenne, pas le Parlement. Ce vote, ce n’est donc qu’un symbole. Mais un symbole fort : 513 voix pour, 22 contre et 19 abstentions, il est très rare que le Parlement européen affiche une majorité aussi large. Massive, même, on est ici à 92% de votes favorables.
Cette résolution appelle donc à s’affranchir des conséquences négatives qu’un tel embargo pourrait avoir pour notre propre économie. Les eurodéputés se prononcent pour l’arrêt immédiat de l’importation de tous les combustibles venant de Russie. Le charbon, le gaz, le pétrole et même l’uranium. Ils vont bien plus loin que la proposition d’Ursula Von der Leyen qui ne vise à ce stade que le charbon en provenance de Russie. Dans la foulée, la résolution demande aussi à exclure toutes les banques russes du système d’échange Swift et aussi à revoir à la hausse les sanctions contre le Bélarus, ce pays qui est l’allié de la Russie dans ce conflit.
Couper le cordon énergétique qui nous relie à la Russie, l’Union Européenne se refusait jusqu’à présent à le faire. Certains états membres, comme l’Allemagne, continuent de dépendre des importations russes. En 6 semaines de guerre, ce sont pas moins de 35 milliards d’euros qui ont été payés à la Russie en échange de ce gaz. « Il est inacceptable qu’au lieu de payer un petit prix pour la liberté, nous payions pour les balles utilisées à Boutcha. Si l’Europe n’en fait pas assez, l’histoire ne nous verra pas comme un spectateur ; l’histoire saura que nous étions complices », ce sont les propos d’un député espagnol coauteur de ce texte.
Pour la petite histoire, vous retiendrez que le député européen du PTB (Marc Botenga) fait partie des 19 abstentions sur le vote final de la résolution. Que 5 autres Belges ont fait part de leur réticence sur l’amendement qui a étendu cet embargo à tous les combustibles, un socialiste francophone (Marc Tarabella) et deux Vlaams Belang qui ont voté contre, et deux N-VA (Assita Kanko et Geert Bourgeois) qui se sont abstenus. Il n’est pas inutile de rappeler que cet embargo, s’il était appliqué, aurait des conséquences pour l’économie belge, et notamment le complexe gazier du port de Zeebruges.
À l’annonce des résultats de ce vote symbolique, il y a eu aujourd’hui une standing ovation à Strasbourg. « C’est une étape significative qui vient d’être franchie », a commenté la présidente du Parlement Roberta Metsola. Une étape qui indique que pour les représentants des peuples de l’Union Européenne, notre confort de vie et nos intérêts économiques ne doivent plus être placés au-dessus de la volonté de sanctionner la Russie. Que les représentants élus fassent ainsi pression sur les décideurs que sont les chefs d’État n’est pas anodin. Cela veut dire que l’embargo total, avec toutes ses conséquences, ne peut désormais plus être un tabou au sein de l’Union Européenne.