L’édito de Fabrice Grosfilley : l’arrogance ou la mémoire ?

Cela ressemblerait presque à une blague Carambar ou à une question pour les Grosses Têtes : entre Donald Trump candidat et Donald Trump président, quelle est la différence ? Réponse : aucune. Le fait d’avoir prêté serment et de se retrouver à nouveau aux commandes n’a rien changé au comportement de Donald Trump. Entre ses harangues de campagne électorale et son premier discours en tant que 47e président des États-Unis, il n’y a pas l’ombre d’un changement. Mêmes expressions, mêmes slogans, mêmes outrances. Même la présence, à quelques mètres de lui, de Joe Biden et Kamala Harris n’a rien changé.

Donald Trump continue d’affirmer que ceux qui l’ont précédé ont trahi l’Amérique et la démocratie, promettant de rétablir la liberté d’expression. « J’ai été sauvé par Dieu pour rendre sa grandeur à l’Amérique », lance-t-il, en référence à la tentative d’assassinat dont il a été la cible en juillet dernier. Il promet une révolution du bon sens, évoque Martin Luther King en assurant que son rêve va se réaliser, et proclame que l’âge d’or de l’Amérique commence maintenant. Des slogans, des promesses, des annonces martiales destinées à galvaniser les foules. En revanche, pas de chiffres, pas de détails concrets, et évidemment pas de formule diplomatique. Donald Trump ne se comportera pas différemment parce qu’il est devenu président.

Une fois la cérémonie d’investiture terminée, il a donc commencé à signer une première série de décrets présidentiels. Parmi ses premières décisions : la déclaration de l’état d’urgence à la frontière avec le Mexique ainsi que la reprise de la construction d’un mur pour séparer les deux pays. Un décret de grâce a également été signé pour plus de 1 500 manifestants ayant participé à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Quatorze autres émeutiers, condamnés pour des faits graves, voient leur peine commuée en une période de prison déjà purgée.

Parmi les annonces surprises, on note le retrait de l’Organisation mondiale de la santé, le nouveau président accusant l’agence onusienne d’avoir « escroqué » le pays, ainsi que la sortie des accords de Paris sur le réchauffement climatique. À cela, s’ajoutent le report, pour 75 jours, de l’interdiction du réseau social TikTok aux États-Unis, la hausse de 25 % des droits de douane pour les produits importés du Canada ou du Mexique à compter du 1ᵉʳ février, la relance des forages d’hydrocarbures sous prétexte d’une urgence nationale, et l’inscription des cartels de drogue sur la liste des organisations terroristes. Enfin, après avoir déclaré lors de son discours d’investiture qu’« il n’y a que deux sexes, masculin et féminin », le président américain a signé un décret supprimant le genre « X » pour les personnes non-binaires et mis fin aux politiques de diversité en faveur des personnes transgenres.

Les parapheurs s’enchaînent, les invités applaudissent, et ces signatures sont retransmises en direct. La mise en scène est celle d’un pouvoir hors norme, d’un hyper-président que rien n’arrêtera. Après avoir montré à la foule ses premières décisions, Donald Trump quitte la scène en lançant des stylos à ses supporters, comme un footballeur offrirait son maillot. Si l’expression « politique spectacle » n’existait pas déjà, il faudrait l’inventer pour Donald Trump.

Hier, on aura noté la présence, autour du président, des hommes d’affaires les plus riches d’Amérique, donc du monde : Elon Musk, bien sûr, mais aussi Mark Zuckerberg (Meta), Jeff Bezos (Amazon), Tim Cook (Apple), Sundar Pichai (Google)… même Shou Zi Chew, le PDG de TikTok, était là. Donald Trump est le président des États-Unis d’Amérique, mais il sera aussi le président des plateformes, le premier représentant des multinationales, dans un mélange des genres où pouvoir politique et intérêts des grandes entreprises s’entremêlent comme jamais auparavant.

À propos d’Elon Musk, justement on retiendra son intervention lors d’un meeting politique quelques heures après l’investiture. « C’est ça, la victoire ! Et pas une victoire ordinaire. Nous étions à un croisement sur la route de la civilisation humaine. Il y a des élections plus ou moins importantes, mais celle-ci comptait vraiment. Je veux simplement dire merci, merci de l’avoir fait ! Pour remercier les partisans de Donald Trump, joignant le geste à la parole Elon Musk commence par se taper la poitrine, puis il tend le bras, un peu plus haut que l’horizontale, main ouverte, paume vers le bas. Ce geste ressemble étrangement à un salut nazi. En avait-il conscience à ce moment-là ? Si oui, ce serait très grave et extrêmement révélateur. L’a-t-il fait sans en mesurer la portée ou sans connaître sa signification historique ? Ce n’est pas impossible. Mais ce geste illustre bien l’énorme fossé qui nous sépare : d’un côté, une Amérique toujours plus arrogante, et de l’autre, un continent européen qui devra, plus que jamais, avoir de la mémoire.

Fabrice Grosfilley