L’édito de Fabrice Grosfilley : l’Arizona, gouvernement conservateur
Comment qualifier le nouveau gouvernement fédéral, et où doit-on positionner Bart De Wever et la N-VA sur un échiquier politique traditionnel classé de la gauche à la droite ou de la droite à la gauche ? Ces deux questions méritent qu’on s’y arrête ce matin. Nommer correctement les choses fait partie du travail des journalistes. Savoir où se situe politiquement un responsable est indispensable pour comprendre son action et décrypter ses propos.
Du gouvernement Arizona, on dit souvent qu’il est aujourd’hui de “centre droit”. Centre droit, c’était la même étiquette qu’on avait accolée à la coalition suédoise menée par Charles Michel entre 2014 et 2018. Parler de centre droit, c’est une manière de dire que les partis de droite ne sont pas seuls à bord et qu’ils ont donc dû faire des concessions. Et c’est vrai : il y a, dans la coalition Arizona, deux partis centristes – Les Engagés et le CD&V – ainsi qu’un parti qu’on qualifiera de centre-gauche, les socialistes néerlandophones de Vooruit.
Ces questions d’étiquette relèvent avant tout de la communication propre à ces partis. La plupart du temps, les formations politiques revendiquent une position plus ou moins centriste. C’est un argument qui permet de séduire un électorat indécis, qui pourrait se méfier de propositions trop radicales. C’est aussi un moyen de se positionner en opposition à l’extrême droite et à l’extrême gauche. En votant pour un parti qui se réclame du centre, l’électeur s’assurerait d’une gestion « en bon père de famille » et se prémunirait des excès d’une politique trop volontariste. En Belgique, où le scrutin est proportionnel et où les gouvernements sont systématiquement des coalitions, la notion de centre est inscrite dans les gènes de presque chaque exécutif. Les partis centristes jouent régulièrement le rôle de pivot et sont souvent indispensables à la constitution d’une majorité.
Une fois ce constat posé, il est tout de même utile d’étudier les rapports de force. Avec 14 députés pour Les Engagés et 11 pour le CD&V, les partis du centre représentent un gros tiers de la nouvelle majorité. Avec 24 députés pour la N-VA et 19 pour le Mouvement Réformateur, les partis classés à droite pèsent plus de la moitié des parlementaires. Vooruit, avec seulement 13 députés, n’est numériquement pas un parti dominant. On peut parler d’une coalition de centre droit, mais il faut garder à l’esprit que les partis les plus à droite y sont prépondérants. Cela se ressent sur toute une série de thèmes comme l’immigration ou la sécurité, où leurs idées et leur vocabulaire se sont imposés.
Même si Vooruit et Les Engagés peuvent se vanter d’avoir posé des garde-fous – sur l’indexation des salaires, qui sera maintenue, ou encore avec la taxation sur les plus-values obtenue par les socialistes flamands – les libéraux, eux, obtiennent une série de dérégulations, par exemple sur les flexi-jobs ou le travail de nuit. Au-delà du chapitre socio-économique, on sent bien que, sur les grands débats de société – la place des femmes, le climat, la lutte contre les discriminations –, cette coalition est bien plus conservatrice que progressiste.
Parce qu’il est le chef d’orchestre de cette nouvelle majorité, la position personnelle de Bart De Wever et celle de son parti, la N-VA, méritent aussi d’être questionnées. La N-VA et son président, qui font partie du paysage politique depuis plus de 20 ans, sont devenus une sorte d’institution. Mais il ne faut pas oublier que, dans le passé, leur émergence avait été perçue comme un choc par les francophones. Aujourd’hui encore, malgré une forme de banalisation, la question de savoir si Bart De Wever et la N-VA flirtent avec l’extrême droite reste un sujet de débat. Sur les réseaux sociaux ou dans les discussions militantes à gauche, Bart De Wever et son parti ne sont pas perçus comme facilement fréquentables.
Pour trancher ce débat, on peut évidemment se tourner vers les politologues. Pour qualifier un mouvement d’extrême droite, ils appliquent plusieurs critères : le nationalisme, la xénophobie, un discours populiste critique du système démocratique et l’aspiration à un pouvoir fort. La N-VA coche plusieurs cases, mais pas toutes. Le nationalisme, bien sûr. La xénophobie, en revanche, ne figure pas dans le programme du parti, même si certains de ses membres tiennent parfois des propos qui s’en approchent. Enfin, si Bart De Wever est critique envers le fonctionnement de la démocratie belge, il n’aspire pas à un pouvoir autoritaire. Dire que la N-VA ou Bart De Wever sont d’extrême droite serait un raccourci erroné. Dire qu’il s’agit d’un mouvement nationaliste avec une communication parfois populiste serait plus juste.
Si l’on n’est pas politologue – ce qui est probablement votre cas –, on se fondera sur d’autres éléments, plus subjectifs. Il y a, par exemple, cette photo de Bart De Wever posant, très jeune, aux côtés de Jean-Marie Le Pen. Cette image entretient une ambiguïté, mais Bart De Wever s’en est expliqué et a pris ses distances. Ce qui est moins subjectif et plus révélateur, en revanche, c’est l’appartenance de la N-VA au groupe ECR du Parlement européen – le groupe des Conservateurs et Réformistes européens, un des deux groupes qu’on peut classer à l’extrême-droite.
Aux côtés de la N-VA, on y trouve Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni, ainsi que les Démocrates de Suède et du Danemark, qui sont des formations d’extrême droite. Le PiS, parti de droite populiste polonais, en fait aussi partie, tout comme Marion Maréchal, qui, elle, est indiscutablement une personnalité d’extrême droite. En choisissant d’adhérer à ce groupe parlementaire, la N-VA a donné le bâton pour se faire battre. Oui, la question de savoir si la N-VA est d’extrême droite – et donc fréquentable ou non – peut se poser. Pour l’instant, on aurait tendance à répondre non. Mais en politique, les réponses ne sont jamais définitives.
En mettant tous ces éléments ensemble, on mesure à quel point l’étiquette « centre droit » peut sembler trompeuse ou imprécise. On pourrait donc se référer au groupe ECR du Parlement européen : si le terme n’était pas si négativement connoté, l’appellation de gouvernement conservateur serait sans doute plus juste et plus précise.
Fabrice Grosfilley