L’édito de Fabrice Grosfilley : grand écart

Des riches de plus en plus riches. Des pauvres qui ne s’enrichissent pas. Voici, résumé en deux phrases, le constat d’une étude de l’Université de Gand, relayée ce matin par le journal L’Écho. Cette étude est signée par Arthur Apostel, doctorant en économie. Il y établit que, depuis le début de ce siècle, les inégalités de patrimoine ne diminuent plus en Belgique. Les 1 % des Belges les plus fortunés possèdent autant que les 75 % les moins riches.

Comme il n’existe pas de cadastre des fortunes en Belgique, Arthur Apostel a dû se tourner vers d’autres sources pour tenter d’estimer le patrimoine des uns et des autres. Il a donc choisi de s’appuyer sur les données liées aux droits de succession. Cette base officielle permet de remonter jusqu’aux années 1930, mais elle reste imparfaite, car on sait que de nombreux Belges ont recours aux donations pour éluder l’impôt sur les successions. En étudiant ces données, le chercheur a pu constater que les inégalités avaient fortement diminué au cours du XXe siècle. Dans les années 1930, les 1 % les plus riches détenaient 40 % du patrimoine total en Belgique. Ce chiffre était tombé à environ 20 % dans les années 1990. Ce n’est pas une évolution spectaculaire, mais cela signifiait qu’à cette époque, l’écart de patrimoine entre les plus riches et les plus pauvres tendait à se réduire.

Au tournant du XXIe siècle, changement de tendance : la fracture patrimoniale ne se réduit plus, elle se stabilise, constate le chercheur. En 2022, les 10 % de Belges les plus fortunés possédaient 56 % de la richesse nette totale. Si l’on prend les 1 % les plus riches, ils détenaient à eux seuls 22 % du patrimoine de l’ensemble du Royaume, soit à peu près l’équivalent de ce que possèdent les 75 % les moins favorisés, explique Arthur Apostel au journal L’Écho — qu’on ne pourra pourtant pas soupçonner d’être un organe de propagande d’extrême gauche.

Devinez où les inégalités sont les plus criantes ? À Bruxelles, bien sûr. Notre ville paradoxale réunit à la fois des populations en situation de très grande précarité et des familles parmi les plus riches du Royaume. En matière de patrimoine, cela se traduit ainsi :
– Les familles les plus riches possèdent surtout des biens mobiliers, c’est-à-dire des actions, des fonds de placement, des produits d’épargne et d’assurance.
– Dans la classe moyenne, ce sont surtout les biens immobiliers — notamment l’habitation principale — qui pèsent dans le patrimoine total.
– Dans la classe moyenne supérieure, on peut ajouter une résidence secondaire ou un appartement mis en location.
– Dans la classe moyenne inférieure, cela se limite souvent à son propre appartement ou à sa propre maison.
– Et quand on fait partie des moins favorisés, on ne possède souvent aucun patrimoine.

Petit hasard du calendrier : c’est au moment où l’on découvre cette étude qu’ImmoWeb publie un communiqué basé sur les transactions enregistrées sur sa plateforme. Il en ressort qu’en matière immobilière, les 20 rues les plus chères des 12 plus grandes villes de Belgique se trouvent toutes à Bruxelles. En tête de liste : l’avenue des Châlets à Uccle, où le mètre carré se négocie en moyenne à 5.688 euros. C’est plus cher que les plus beaux quartiers de Gand, et plus de 2.000 euros au mètre carré au-dessus de la rue Saint-Jean à Namur, qui est la plus chère de Wallonie.

Toutes ces données confirment ce que les économistes et les sociologues savent depuis longtemps : il y a à Bruxelles des très riches et des très pauvres. Et l’écart entre ces deux mondes ne fait que croître. Ce n’est pas neuf, mais c’est utile de le rappeler. Les inégalités ne se corrigent pas toutes seules. Au moment où les partis politiques s’apprêtent à déposer leurs notes et — peut-être — à enfin négocier sérieusement un gouvernement régional, on invite tout le monde à méditer cette conclusion : il n’existe pas un seul Bruxelles qui ressemblerait au quartier dans lequel on vit. Bruxelles est une ville multiple. Elle a des atouts, elle a des difficultés. Cela signifie qu’il y a des patrimoines qu’on peut envisager de taxer, et aussi des poches de pauvreté qu’il conviendrait d’attaquer sérieusement.

À ceux qui mettent la dernière main à leur note, et à ceux qui approfondissent les contacts, on adresse donc ce message : ne réduisez pas la Région bruxelloise à une image d’Épinal. Il y a plusieurs quartiers à Bruxelles, et plusieurs problématiques. Le meilleur ministre-président sera celui qui saura les prendre toutes en compte.

Fabrice Grosfilley

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27 mai 2025 - 08h22
Modifié le 27 mai 2025 - 11h36

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