“J’ai été gazée cinq fois en une semaine”: la réaction policière face aux manifestants de la Bourse est-elle disproportionnée ?

Depuis octobre 2023, des manifestations quasi-quotidiennes sont organisées sur la place de la Bourse, en soutien à la Palestine. C’était le cas samedi, alors que la Pride battait son plein dans la capitale. La police est intervenue avec force et a procédé à l’arrestation administrative de six personnes. Sur place, de nombreux témoins se disent choqués par la violence exercée par les forces de l’ordre. Un usage de la force qui, selon nos témoignages, reflète une situation qui se dégrade. Ce lundi, Rajae Maouane (Ecolo), conseillère communale à la Ville de Bruxelles, a demandé des explications au bourgmestre Philippe Close (PS).
Ce samedi, alors que la place de la Bourse était remplie de personnes venues célébrer la Pride, des manifestants pro-palestiniens s’y sont rassemblés, comme chaque jour à 19h. Mais les choses ont rapidement dégénéré.
Interviewé par nos confrères de Bruzz, Frederick Da Soghe, de Rainbow Village, explique qu’”une cinquantaine de manifestants pro-palestiniens se sont mêlés au public de la Pride“, alors qu’une scène avec un DJ y était installée.
La police de la zone Bruxelles-Capitale Ixelles précise que “les militants ont essayé d’entrer sur scène pour y poursuivre leur action. En raison de leur présence, la moitié des visiteurs de l’événement Pride ont quitté les lieux.“
Une version démentie par plusieurs collectifs et personnes présentes sur place, qui contestent ces faits sur les réseaux sociaux. Vidéos à l’appui, on peut effectivement voir que les manifestants ne sont pas montés sur scène, mais ont bien sauté les barrières qui séparaient le public de celle-ci.
Sur ces vidéos, on peut également voir des policiers encercler les manifestants pro-palestiniens et faire usage de la force pour les éloigner et les disperser. Un recours à la force que beaucoup jugent disproportionné, à l’image d’Elio De Bolle, ancien organisateur de la Pride de Bruxelles, qui, dans un post Facebook accompagné d’une vidéo, souligne que les manifestants ne semblent pas présenter de signes d’agitation ou d’agressivité.
Pour justifier une réponse musclée des forces de l’ordre, Frederick Da Soghe, de Rainbow Village, explique que “le DJ a été touché par un jet de bouteille en verre. Comme nous ne pouvions plus garantir la sécurité de nos employés, nous avons arrêté la musique.”
Dalila et Émilie, militantes pour la cause palestinienne présentes samedi place de la Bourse, contestent cette version. Pour elles, le jet de bouteille aurait eu lieu après l’intervention des policiers. “Si ça se trouve, c’était quelqu’un de saoul, ou peut-être quelqu’un qui s’est énervé et a jeté une bouteille”, expliquent-elles.
De nouveaux débordements qu’elles estiment révélateurs d’une forme de stigmatisation.
Une escalade de la violence ?
“Ça a commencé le 8 décembre au minimum, 2023. Ça, c’était ma première arrestation. Je me suis sentie très arnaquée par la police parce que, justement, à ce moment-là, j’avais encore confiance en eux”, explique Dalila.
Avec Émilie, elles participent aux manifestations en faveur de la Palestine depuis le début. Dalila, qui se définit comme une “citoyenne reporter”, connaît bien les forces de l’ordre et entretenait alors de bonnes relations avec elles.
Au début, les policiers demandent à la jeune femme de les aider à disperser les manifestants vers d’autres lieux, plus éloignés de l’hyper-centre, comme la gare Centrale. “Je les ai écoutés. Et j’ai fait ce qu’ils m’ont demandé. Et pourtant, ils ont encerclé ces manifestants (ndlr : la technique de la nasse) et les ont gazés, frappés, matraqués. Du coup, je leur ai dit de me prendre avec”, raconte Dalila. “Ça, c’est les techniques d’intimidation que nous, on connaît déjà depuis un an et demi. Et donc, tout remettre sur la Pride, ce n’est pas juste”, poursuit-elle.
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Une violence qui, selon les militantes, se serait intensifiée après les agressions commises par des hooligans contre des habitants de Molenbeek, en marge de la finale de la Coupe de Belgique, le 4 mai dernier. “En une semaine, j’ai été gazée cinq fois. Ce n’est pas rien. Surtout qu’on connaît les dégâts que ça peut provoquer”, déplore Dalila. “Ils se sont cachés derrière ça”, ajoute Émilie.
Les militantes pointent également un autre élément du doigt : “J’ai remarqué qu’après qu’on a annulé un rendez-vous avec le cabinet Close, il y a eu un revirement, comme pour dire : ‘si on ne peut pas négocier avec vous, alors on va recommencer à vous chasser.’”
Une situation complexe. Depuis un an et demi, la Ville de Bruxelles et les manifestants de la Bourse se livrent un véritable bras de fer.
Philippe Close interpellé
Ce lundi soir, lors d’un conseil communal, Rajae Maouane a interrogé le bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Philippe Close (PS), au sujet des débordements survenus lors de la Pride ce week-end.
Interpellé sur la proportionnalité de la force utilisée par la police, le bourgmestre a d’abord tenu à rappeler son attachement au droit et à la liberté de manifester. “Mais il faut respecter plusieurs règles, à commencer par l’obtention d’une autorisation administrative. Il y a donc une obligation d’introduire une demande de rassemblement”, explique Philippe Close.
Pour lui, l’interdiction de manifester et la répression exercée par la police au niveau de la Bourse se justifient notamment par la nature de certains slogans scandés lors des rassemblements. Lors du conseil communal, le bourgmestre de Bruxelles a diffusé l’enregistrement sonore d’une vidéo où l’on entend des manifestants pro-palestiniens scander : “Hamas, djihad et Hezbollah.” Dans le mot “djihad”, Philippe Close dit entendre une référence directe à des actes terroristes.
“On pense aussi que pour certaines personnes qui ont vécu d’autres choses, qui viennent de Palestine, du Liban, ça a une autre signification”, expliquent Dalila et Émilie. Au sens propre, “djihad” signifie “la lutte”.
“Il est fier de montrer cette vidéo, alors qu’avant ça, il y avait déjà des violences. Et ça, c’est vraiment injuste. Pour moi, ce n’est même pas un débordement. Mais si on adopte la définition absurde qu’en donne Philippe Close, alors quoi ? Deux débordements sur plus de 500 manifestations ? C’est insignifiant. Et pourtant, on s’en sert pour salir tout un mouvement. C’est révoltant.”, s’indignent les militantes.
Pour Philippe Close, les tensions pourraient être apaisées si les demandes d’autorisation étaient correctement introduites et si le lieu de rassemblement quotidien changeait. Mais ce n’est pas aussi simple, estiment les deux militantes.
“On ne sait pas si on est fichées comme terroristes“
Autre piste avancée par Philippe Close : rencontrer les deux militantes pour trouver des solutions. Identifiées comme porte-voix des manifestations pro-Palestine, Dalila et Émilie expliquent aujourd’hui ne plus être organisatrices à proprement parler de quoi que ce soit — même si elles restent perçues comme telles par les autorités.
Une identification qui les inquiète. “On a été interrogées par la cellule antiterroriste. On nous catégorise vraiment. On ne sait pas si on est fichées comme terroristes. On ne sait pas si on va être reconvoquées par la justice dans un an, deux ans, trois ans. Est-ce qu’on va aller en prison un jour parce qu’on dénonce ?”, s’interroge Émilie.
Pour elles, l’organisation d’une rencontre ne serait qu’une opération de façade. “Déjà, il s’agissait d’une rencontre avec le cabinet de monsieur Close et deux policiers. Lui ne devait pas être présent”, assure-t-elle. Après réflexion, les deux jeunes femmes ont préféré annuler leur rendez-vous avec le bourgmestre. “La veille du rendez-vous, parce qu’en parlant avec d’autres gens, on s’est rendu compte que c’était quand même se mettre fort à défaut par rapport à eux.”
Une rencontre pourrait être envisagée, mais sous certaines conditions. “Au moins un ou deux avocats, un ou deux journalistes présents pour voir ce qui est dit. Et là, oui, on veut bien prendre la parole”, expliquent Dalila et Émilie.
“Mais ça va être un peu compliqué, parce qu’on va toujours leur répondre qu’on n’est pas responsables de tout le monde, et qu’on veut bien relayer l’info, en discuter. Et puis on verra par la suite. Une décision ne peut pas être prise comme ça, avec juste nous”, concluent-elles.
Bryan Mommart
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