Rue de la Loi : après le KO…. le chaos ?

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Officiellement leur mission ne s’achèvera pas avant lundi, quand ils feront à nouveau rapport au Roi… mais depuis le communiqué des bleus et des verts, elle ne tient plus qu’à un fil. Libéraux et écologistes ont mis les présidents des deux plus grands partis du pays dans les cordes.  Un uppercut bien placé alors que l’on sentait depuis quelques jours déjà que le match allait être difficile. Aux fuites dans la presse, s’ajoutaient les déclarations : celle de Thierry Bodson dans l’Avenir (et une autre du syndicat socialiste dans la presse néerlandophone), celle de Maxime Prévot qui sentait le malaise communautaire s’amplifier et tenait à rappeler qu’il n’y avait pas d’accord… Il fallait avancer, et vite. En dézinguant le fond (le menu institutionnel) et la forme (le fait de se tourner alternativement vers les uns et les autres pour voir qui craquerait le premier), ce communiqué turquoise ressemble à une fin de non recevoir définitive. Alors que libéraux et écologistes étaient toujours invités (au moins formellement) à discuter et qu’on a quand même affaire à la première mission parrainée par le Palais depuis longtemps, l’acte de rébellion tient du camouflet, limite du bras d’honneur. Paul Magnette et Bart De Wever ont donc du encaisser le coup : sur base de ce  spectaculaire communiqué conjoint, si les mots ont un sens, ils ne trouveront pas de majorité. En tout cas pas si ils ne revoient pas de fond en comble leur chapitre institutionnel… et ça… ça revient à demander à Bart De Wever de retirer son pantalon.

Dans la bulle des cinq on n’a donc pas apprécié et c’est un euphémisme. C’est vrai pour les partis néerlandophones qui ont très vite communiqué en ciblant le Mouvement Réformateur. Mais les critiques sont partagées côté francophone aussi, même si elles ne s’exprimeront pas publiquement.”Georges-Louis Bouchez est l’homme qui bloque toutes les solutions. Il a fait échouer la première mission Magnette, il était contre la tripartite classique, maintenant il torpille une initiative PS-NVA“. Comme du coté flamand, nos interlocuteurs francophones soupçonnent le président libéral de n’avoir qu’un seul objectif : garder le plus de ministres possibles.  On serait tenté d’en ajouter un autre : empêcher Paul Magnette de prendre le leadership sur le camp francophone. En attendant, dans les rangs  des socialistes francophones, tous les ténors l’ont plutôt mauvaise : “on nous demande pendant des mois de parler à la N-VA, ce qu’on ne veut pas. On finit par y aller au nom de l’intérêt du pays, et on se fait tirer dessus… ce n’est pas honnête”.  Un centriste abonde : “c’est plus facile d’être dehors que dedans. Mais c’est dedans qu’on peut amender, bloquer, orienter… Nous, on a pris des risques, et on se prend des baffes dans la gueule”. 

Ce jeudi soir les critiques n’épargnaient pas Ecolo. “Ecolo a gagné les élections, et qu’en ont-ils fait ? La presse est très complaisante avec ce parti qui reste au balcon”. Ou encore “pour aucun parti francophone, ce n’est facile d’aller avec la N-VA. Ce n’est pas notre choix. Après, c’est une question de courage politique. A Ecolo ils n’en ont pas.”  Si ses lieutenants ne cachaient pas leur amertume, mais toujours en “off”,  Paul Magnette se refusait lui toujours à communiquer. Parce qu’il voulait encore y croire ? C’est en tout cas la tonalité employée par Maxime Prévot, qui se fend d’un appel de la dernière chance par l’intermédiaire d’une interview à l’Echo : “ la porte est ouverte aux deux familles et c’est à elles de dire si elles acceptent de venir travailler à nos côtés.” Ce matin, Jean-Pascal Labille, patron de Solidaris en appelle lui à la responsabilité des écologistes dans la Libre : ” je dis à mes amis écologistes : “Ne vous trompez pas de chemin”. Ce n’est pas avec des politiques libérales que nous changerons la donne. Chez les libéraux par exemple, le refinancement des soins de santé n’est plus du tout à l’ordre du jour. Or il est indispensable de refinancer la protection sociale.” Ou encore, en soulignant les convergences de fond entre socialistes et écologistes  :“avec le MR, cela ne marchera pas. En matière de protection sociale, il prône exactement l’inverse de ce que nous, Solidaris, demandons.”

Restent les critiques sur le fond et ces fameuses concessions communautaires faites à la N-VA. Maxime Prévot a déjà eu l’occasion de dire que rien n’était validé et que la discussion devait encore avoir lieu. Il ne changeait pas de position hier soir, soulignant toujours qu’il n’avait toujours pas de note écrite, et donc qu’il lui était impossible de marquer un accord sur quoi ce soit. Côté socialiste, on assurait que plusieurs informations parues dans la presse étaient inexactes, que le PS n’avait jamais donné son feu vert à une discussion sur les facilités par exemple. Que le détricotage de ce qui reste de l’arrondissement électoral de BHV était juste une provocation de De Wever à destination du MR et que la régionalisation de fait de certaines compétences était beaucoup plus limitée que ce qu’on en avait écrit “le paragraphe précise bien que tout doit se faire dans le cadre de l’Etat fédéral” nous assure un interlocuteur qui estime que les quelques politiques visées très concrètement “seraient plus efficaces si elles étaient gérées au niveau des territoires“… et que tout cela se trouvait dans le programme du PS, ni plus ni moins. Un autre soulignait que faute d’une majorité des deux tiers, on était dans des réformes light mais qu’il en fallait un minimum… Paroles des uns contre appréciation des autres, en l’absence de texte écrit et d’accord réel on se perd en conjoncture. Bref, la bulle des 5 aurait surtout perdu la bataille de la com’… même si un socialiste reconnaissait quand même que “l’erreur est de s’embarquer dans du communautaire sans une discussion préalable entre francophones”.

A moins d’un miraculeux retournement de situation, la situation est donc à nouveau bloquée. Ce n’est pas la première fois me direz-vous, sauf que cette fois-ci c’est le tandem Magnette-De Wever qui est aux commandes. Et que si les deux principaux partis n’arrivent pas à former une majorité alors qu’ils ont mis suffisamment d’eau dans leur vin pour s’accorder entre eux, le constat lucide est de reconnaître qu’aucune majorité n’est possible. Vivaldi, arc-en ciel élargi, tripartite classique, on peut encore essayer ou réessayer… la donne n’aura pas changé et les rapports entre présidents de parti plus délétères que jamais après cet épisode ne vont pas inciter à faire des concessions. On voit donc le scénario de la prolongation du gouvernement Wilmès se préciser. Début septembre, on y sera vite, la famille libérale pourra donc proposer de partir de l’équipe en place pour former un gouvernement minoritaire (sur le thème, l’heure est grave, vienne nous aider qui veut). L’avantage pour la famille bleue est donc de garder la main sur le 16 rue de la Loi (pour Sophie Wilmès ou pour Alexander De Croo). L’inconvénient sera d’être face à un parlement incontrôlable. Et une réforme de l’Etat qui risque de revenir comme un boomerang aux élections suivantes. Ce jeudi soir, amers, certains francophones reprenaient un raisonnement qu’on a déjà entendu souvent dans la bouche d’hommes politiques néerlandophones, en particulier au CD&V :  “L’intérêt supérieur, pour tout le monde, c’est de conserver la N-VA dans le camp démocratique. Cela passe par le fait de gouverner avec elle”.