Confinement : que deviennent les personnes “libérées” des centres fermés ?

Depuis jeudi 19 mars, les centres fermés procèdent à des libérations de personnes détenues afin de pouvoir respecter les règles de confinement. Des “libérations progressives” qui se poursuivent à un rythme quotidien. Avec quelle destination ? Que deviennent ces déboutés du droit d’asile une fois dehors ? 

Pour chaque centre, la capacité d’accueil a diminué de 50%, voire plus“, indique Dominique Ernould, la porte-parole de l’Office des Étrangers. “Dans ces conditions, on rend possible la vie dans un milieu clos tout en respectant les règles sanitaires et de distanciation sociale.” Ainsi le centre 127 bis à Steenokkerzeel compte aujourd’hui 38 résidents, pour une capacité de 120 places. Les chiffres varient chaque jour puisque si certains sont libérés, de nouvelles personnes arrivent également quotidiennement.

Les sans-papiers sont “relâchés” avec un ordre de quitter le territoire (OQT) valable 30 jours “auquel ils seront tenus d’obtempérer dès qu’ils seront en mesure de le faire, dès que les activités aéroportuaires seront assurées. Mais on sait que pour l’instant c’est impossible“, convient Dominique Ernould. Où vont-elles, une fois libérées ? Réponse de l’Office des Étrangers : “Nous on libère avec un OQT, mais on ne sait pas ce qu’il se passe ensuite.”

Libérer mais qui et comment, et sur base de quels critères ? S’agit-il de personnes vulnérables? Symptomatiques ? “Nous n’avons aucune information, d’autant moins que les visites non-indispensables dans les centres ont désormais été suspendues. Nous n’avons donc plus aucune vue sur la situation à l’intérieur“, dénonce Sotieta Ngo, la directrice du CIRE (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers). Les libérations se font au cas par cas, répond-on à l’Office des Étrangers : des personnes au profil à risque en termes de santé, en fonction du délai de détention, ou encore de la possibilité d’éloignement ou pas.

En outre, donner un OQT de 30 jours, sachant qu’il est impossible de passer les frontières pour l’instant, est inconséquent. Pourquoi ne pas, au vu des circonstances, accorder une autorisation de séjour temporaire ou un OQT sans délai, pour que la personne puisse sécuriser sa présence sur le territoire ?“, interroge encore Sotieta Ngo.

Le nombre d’hébergés à la porte d’Ulysse augmente de manière exponentielle

Certaines personnes, implantées depuis longtemps sur le territoire, ont un réseau et peuvent faire appel à de la famille ou des proches. Mais d’autres, arrivées beaucoup récemment, ne bénéficient pas de contacts. Elles se retrouvent alors lâchées dans la nature, sans recours et sans ressources. “On va en faire des sans-abri“, conclut Sotieta Ngo.

La situation sur le terrain est d’autant plus critique que le réseau d’accueil de Fedasil ferme lui aussi peu à peu ses portes. Le Petit Château n’accepte plus de nouveaux résidents depuis mardi dernier. Les réfugiés ne peuvent plus introduire de nouvelles demandes d’asile. Cela pousse vers la rue une série de personnes destinées en principe au réseau de Fedasil. “Il y a là un véritable déni du droit d’asile. Nous réfléchissons à introduire une action en justice“, prévient le CIRE.

On a appris par la presse flamande que le 127 bis se vidait d’une partie de ses détenus. On a aussi entendu que Kurt Ryon, le bourgmestre NVA de Steenokkerzeel, avait pris un arrêté pour éviter que ces personnes ne s’installent dans sa commune. Et cela nous a inquiété.”, réagit Marc Weber. Le chef de cabinet de Cécle Jodogne (DéFI), la bourgmestre f.f. de Schaerbeek, évoque les efforts fournis pour empêcher la constitution d’un nouveau camp de migrants gare du Nord. La commune craignait un afflux de personnes sur son territoire. Cela ne s’est finalement pas produit. “Reste que cette situation est symbolique du manque total de gestion du fédéral dans ce domaine. Au moment où on confine les uns, on déconfine les autres. On aurait dû trouver une autre solution. C’est presque de la non assistance à personnes en danger. “, conclut Marc Weber.

Il s’en trouve probablement chez nous“, observe Mehdi Kassou, de la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. Depuis samedi, explique-t-il, le nombre de personnes hébergées augmente de manière exponentielle, en raison en partie de l’évacuation jeudi dernier du parc Maximilien. En plus des 325 migrants accueillis à la Porte d’Ulysse (qui héberge désormais 24h sur 24) et des 100 à 120 à l’hôtel mis à disposition dans le centre-ville, avec le soutien financier de la Région, 250 personnes viennent aux distributions de nourriture. “Parmi elles, 70 viennent du Samusocial, les autres viennent d’ailleurs. Plusieurs nous ont dit avoir été libérés d’un centre fermé.”

Bref, libérés mais sans plan de route, les détenus des centres fermés sont priés de se débrouiller. Ceux qui le peuvent, sont accueillis par des proches. Mais certains n’auront d’autres choix que de rejoindre les rangs des sans-abri. Sachant que le 31 mars marque la fin du plan hiver, et donc la baisse des capacités d’accueil. Dans six jours.

Sabine Ringelheim – Photo : Belga/Dirk Waem