Procès des attentats de Bruxelles : “J’ai connu l’enfer” dit Karen Northshield, Abrini s’excuse auprès d’une victime

Les témoignages des victimes des attentats bruxellois du 22 mars 2016 devant la cour d’assises chargée de juger ces attaques touchent progressivement à leur fin.

Une avant-dernière journée de récits a lieu ce mercredi, tandis que les derniers témoins seront entendus lundi matin. L’interrogatoire croisé des accusés débutera ensuite.

 Profil des accusés, rappel des faits, témoignages de victimes : notre dossier sur le procès des attentats de Bruxelles


9h00 – Leila Maron pointe “l’irrespect” des assurances et de l’Etat

Leila Maron se trouvait dans la même voiture du métro que le kamikaze qui s’y est fait exploser le 22 mars 2016. Sept ans plus tard et un long chemin de reconstruction entamé, la victime – et collègue de Lauriane Visart de Bocarmé qui est décédée à Maelbeek ce jour-là – a pointé l'”irrespect” des assurances, “qui ne semblent vouloir prendre la mesure du préjudice subi“, mercredi matin devant la cour d’assises de Bruxelles.

A côté des symptômes de stress post-traumatique persistants, qui l’obligent à travailler quasi exclusivement en télétravail, elle souffre d’acouphènes et d’hyperacousie, de fatigue chronique.  “C’est difficile à vivre ce sentiment qu’ils ont réussi à nous atteindre, malgré notre volonté d’arriver à nous en sortir“, a-t-elle déclaré à la cour.

Ils ont fait de nous des victimes, pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. Ils ont initié une perte de confiance en cet Etat, qui ne méritait pas qu’on trinque à sa place.”  Sept ans plus tard, son constat est limpide: “L’Etat a failli, il n’a pas réussi à protéger ses citoyens. Il nous a oubliés et (…) se dédouane encore à de nombreux égards, notamment en remettant la responsabilité sur les assurances.”

Des assurances au sujet desquelles, à l’instar de nombreuses autres victimes venues témoigner devant la cour, la survivante de Maelbeek n’a pas grand-chose de positif à dire.  “Leur expertise, c’est de respecter le moins possible les victimes et leurs droits.” Des inepties, elle en a trop entendues, comme ces commentaires sur ses difficultés à tomber enceinte alors qu’il suffisait “qu’elle arrête de ressasser“, ou son supposé manque d’ambition professionnelle puisqu’elle travaille dans une mutualité.

Le système est gangréné par l’argent, le but est de donner le moins possible“, et qu’importe l’indécence et le manque de respect des experts envoyés, a-t-elle déclaré.

C’est en entendant d’autres victimes témoigner qu’elle s’est décidée à venir livrer elle aussi son récit à la cour. “J’ai compris que j’étais moi aussi peut-être une pièce du puzzle pour d’autres victimes“, a-t-elle expliqué, racontant son besoin de connaître l’histoire des 16 personnes décédées à Maelbeek, dont certaines ont permis qu’elle ait la vie sauve en servant de bouclier humain entre elle et “cette foutue bombe“.

Du procès, elle espère qu’il permettra qu’on parle des “véritables enjeux“: “des causes qui poussent des gens nés ici, qui ont vécu ici, à être tellement désespérées et haineuses” que leur seul but est de tuer des innocents. “Je suis désolée et triste pour les terroristes, d’être arrivés à un tel point de non-retour (…) J’espère que ceux qui sont encore en vie trouveront un autre chemin.”

Aujourd’hui je peux répéter que les terroristes n’auront pas le dernier mot, je me sens plus vivante que jamais“, a conclu la mère d’une “merveilleuse fille” qui deviendra bientôt grande soeur.


12h20 – Sandrine Couturier : “Je me sentais du côté des morts, il m’a fallu reconstruire un chemin vers les vivants”

Sandrine Couturier, directrice d’une association, se trouvait, le 22 mars 2016 à 09h10, dans la deuxième voiture de la rame de métro où se trouvait le kamikaze Khalid El Bakraoui. Elle a livré son témoignage d’une voix douce, posée, ponctué de quelques notes d’humour. “J’ai pris le métro à Demey. J’étais assise côté fenêtre donnant vers le quai. Nous sommes arrivés à la station Maelbeek. J’étais sur mon GSM, je n’ai donc pas vu le jeune homme porteur d’un sac à dos. Il y avait quatre rangées de sièges qui nous séparait. Le métro a redémarré. Je me rappelle me sentir être attirée vers l’avant. À ce moment-là, ça a explosé. Je me souviens de la violence d’un choc sur le haut de ma poitrine, et d’avoir vu le toit du wagon qui s’ouvre comme une boîte de conserve. Mon cerveau a alors fonctionné très très vite et je n’avais qu’un seul but: sortir“, a relaté la rescapée.

Sandrine a été évacuée en ambulance vers l’Hôpital Militaire de Neder-over-Heembeek. “On a soigné mes brûlures au visage et aux mains. Un médecin m’a dit que c’était des brûlures au deuxième degré et que je pouvais rentrer chez moi. Ensuite, mon mari et mes filles sont venus me chercher et on a fondu en larmes dans les bras les uns des autres“, a-t-elle décrit, photos d’elle le visage rouge et gonflé à l’appui, prises à l’hôpital.

La victime s’est ensuite rendue tous les jours auprès de son médecin pour soigner ses brûlures et enlever les petits éclats métalliques qui s’étaient logés dans son visage. “Il m’en reste encore“, précise-t-elle. Sandrine avait également un tympan perforé et subit une perte auditive permanente. Après avoir été soignée pour ses blessures, elle a entamé un long cheminement pour retrouver un équilibre psychologique. “Je me sentais du côté des morts, il m’a fallu reconstruire un chemin vers les vivants“, a-t-elle confié, ajoutant avoir pensé à un moment donné que la mort pourrait être une délivrance.

Elle a pu surmonter ce sentiment de fatigue profonde et de tristesse grâce à sa famille, à un suivi psychologique et à un travail réalisé avec une journaliste qui a consigné ses émotions et celles d’autres victimes, au jour le jour durant un an, aboutissant à l’écriture d’un livre. C’est aussi le “groupe des petites copines“, qui la lie à quatre autres femmes rescapées des attentats, qui l’a aidée.

On s’est beaucoup moquées du kamikaze qui s’était trompé de sens en prenant le métro [à la station Pétillon]“, a-t-elle raconté en guise d’anecdote. Au travers de son témoignage, Sandrine Couturier a évoqué aussi la répercussion de ces attentats sur la vie de ses proches. “Pendant plus de deux ans, mon mari et mes deux filles ont tout gardé pour eux. Pour ma fille cadette, qui avait 16 ans en 2016, une mère qui a été dans les attentats dont tout le monde parle était un fardeau“, a-t-elle notamment déclaré.

Elle a aussi, comme beaucoup d’autres victimes, dénoncé le manque d’empathie des médecins conseils, qui évaluent l’incapacité de travail. “Aucun d’entre eux n’a cherché à savoir vraiment comment j’allais. Ils jouent de manière ignoble sur les réponses qu’on donne et posent des questions dirigées vers la minimisation de nos maux“.

Au-delà d’une reconstruction psychique, c’est aussi une reconstruction sociétale que cette rescapée des attentats a entrepris. Celle-ci est passée par la rencontre de mères de jeunes qui avaient rejoint le Djihad en Syrie. “C’était un engagement pour construire une autre société, basée sur la connaissance de l’autre, et pour retisser du lien social. Ça m’a fait du bien. J’ai retrouvé une place dans la société et j’ai accepté d’affronter la complexité du monde pour construire un autre avenir”, a-t-elle calmement relaté.


12h45 – Mohamed Abrini remercie une victime pour son témoignage

L’accusé Mohamed Abrini a tenu à prendre la parole après les témoignages d’une victime de l’attentat de Maelbeek et de son mari, victime collatérale de l’attaque, mercredi devant la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès du 22 mars. Depuis le début des témoignages des victimes il y a plusieurs semaines, c’est la première fois qu’un accusé exprime de l’empathie pour l’une d’entre elles.

Je tiens à remercier Madame Couturier pour son témoignage“, a-t-il déclaré à la présidente de la cour, Laurence Massart. “Je veux lui dire que je suis désolé qu’elle ait eu à traverser cette épreuve (…) Dans le box des accusés, je pense que tout le monde pense pareil”, a-t-il dit, ajoutant qu’il lui souhaitait “le meilleur pour l’avenir“.


14h00 – “Maman blessée dans attentat dans métro”: le SMS d’une victime collatérale à sa fille

Quelques instants après l’explosion du métro à Maelbeek le 22 mars 2016, Olivier Lecomte reçoit un appel de son épouse, qui se trouvait dans le même wagon que le kamikaze. La conversation fait l’effet d’une “bombe” sur sa vie, a-t-il raconté mercredi devant la cour d’assises de Bruxelles. Il envoie alors un SMS à sa fille: “Maman blessée dans attentat dans métro“.

Olivier est une victime collatérale des attentats de Bruxelles. Le père de famille a raconté avec émotion la stupeur vécue au moment de l’annonce, puis la tension éprouvée pendant plusieurs heures avant de pouvoir retrouver sa femme blessée et traumatisée. Puis ce fut le temps de la convalescence et de la reconstruction. “Pendant deux longues années, les filles et moi nous sommes complètement centrés sur Sandrine”, a-t-il livré. “Sandrine ne parle que de ce qui lui est arrivé. Elle n’est plus disponible que pour ça. Il n’y a pas de place ni pour les filles, ni pour moi pendant deux ans.” En conséquence, Olivier s’oublie, il refoule ses émotions. “Il faut que j’assure, que je sois à l’écoute. Il faut qu’elle puisse se reposer sur moi.”

Olivier s’occupe de tout le travail administratif que sa compagne est incapable de fournir.  “Je l’accompagne la plupart du temps chez les médecins conseils. Leurs expertises la ravagent. Elle se sent considérée comme un facteur de coûts, jamais comme victime, ce qui engendre tristesse et colère.”

Trois ans après la déflagration, un traumatisme vieux de 40 ans ressurgit à la conscience de l’ingénieur civil. “Ce jour-là je l’ai raconté à Sandrine et j’ai décidé qu’il était temps que je m’occupe aussi de moi.” Olivier Lecomte a souligné que les victimes des attentats avaient vécu les mêmes événements, mais que ceux-ci s’ajoutaient à autant de vies et de traumatismes passés.

C’est valable aussi pour les victimes collatérales.” Le sexagénaire s’interroge régulièrement sur sa légitimité en tant que victime. “Un psychiatre entendu dans le cadre du procès a expliqué dernièrement que le traumatisme se définissait par un effet de surprise, un sentiment d’impuissance, le sentiment d’abandon… En fait, je coche toutes les cases. C’est pour cela que je me considère comme victime des attentats et pas seulement comme le mari de Sandrine qui était dans le métro ce jour-là.”


15h00 – Après l’explosion, le déni et le désespoir pour Alphonsine

J’avais la sensation que les flammes autour de moi me léchaient et allaient me dévorer”, a déclaré Alphonsine Sorozo Umubyeyi devant la cour d’assises de Bruxelles, mercredi. Elle se trouvait dans le 3e wagon du métro au moment de l’attentat à Maelbeek, le 22 mars 2016. Après s’être dégagée de la rame et être remontée à la surface, elle décide de partir à pied pour retourner chez elle. Trois jours plus tard, elle sort du déni et se rend à l’hôpital.

C’était l’enfer sur terre“, a-t-elle dit à propos des instants qui ont suivi la déflagration. “Je me suis dit: je vais mourir.” Au bout d’un moment, les flammes laissent la place à la fumée, qui la terrifie tout autant. “La fumée s’est dissipée et j’ai vu que je n’avais pas brûlé.”

En quittant la station, Alphonsine est frappée par le regard d’une blessée, qui l’a “hantée” jusqu’en 2018, lorsqu’elle a pu la revoir sur pied. Après avoir traversé la ville à pied, elle rentre chez elle et “sombre dans le déni“. Elle se rend à son travail le surlendemain. Trois jours après l’explosion, elle apprend l’arrestation d’un accusé en regardant le journal télévisé.

“Ça fait ’tilt’ dans ma tête. Je me suis trouvée mal”, s’est souvenue Alphonsine. Elle demande à un voisin de l’amener à l’hôpital.  “Quand je suis rentrée, j’ai commencé à faire des cauchemars. J’ai revu toutes les images: les blessés, les morts, les yeux de la dame. Je ne supportais pas un bruit.”

Et comment vous sentez-vous aujourd’hui ?”, a demandé la présidente de la cour. “Je gère les conséquences. Je vis toujours dans la peur. Je me méfie de tout. Tout ce qui vous faisait plaisir vous effraie. C’est la survie plutôt que la vie.


16h00 Une victime décrit la “sensation d’avoir toutes les cellules du corps qui crépitent”

Une dame qui se trouvait dans la voiture de la rame de métro qui a explosé à Maelbeek a parlé d’une “sensation d’avoir toutes les cellules du corps qui crépitent”, lors de son témoignage devant la cour d’assises de Bruxelles mercredi après-midi, au procès des attentats du 22 mars 2016. Patricia, une psychomotricienne de 54 ans, a survécu à cette explosion, s’en sortant avec des blessures qui ont aujourd’hui cicatrisé.

“Ce jour-là je me rendais au travail. J’ai eu le métro de justesse. Je suis montée dans la deuxième voiture, car c’était la plus proche des escalators. J’étais à 2,40 mètres de Khalid El Bakraoui. Orphée, qui est aussi venue témoigner, et moi, on s’est fait des politesses pour prendre une place assise. C’est moi qui me suis finalement assise. Je me suis littéralement enfoncée dans le siège. C’était un petit moment de repos, tout le contraire d’un état d’alerte”, a raconté Patricia.

Khalid El Bakraoui a ensuite déclenché sa charge explosive. La victime a décrit une “sensation d’avoir toutes les cellules du corps qui crépitent”. Elle était brûlée au deuxième degré. “Je suis parvenue à me dégager de la pression d’un corps sur moi. Depuis janvier, je sais maintenant de qui il s’agissait”, a poursuivi la victime.

En dehors de la station de métro, Patricia a pu compter sur un secouriste volontaire qui se trouvait dans les parages et qui est venu prêter main forte. “Philippe est venu vers moi et est resté près de moi. Je lui en suis très reconnaissante. Ce fut capital pour moi de me reposer sur lui. Je lui ai demandé de faire couler de l’eau froide sur mon visage. J’avais aussi de très fortes douleurs thoraciques”.

La quinquagénaire a poursuivi en racontant qu’elle s’était ensuite coupée du monde, restant cloîtrée à la campagne, chez sa maman. Après une période de léthargie, elle a entamé une lente remontée pour reprendre le contrôle de sa vie. La victime n’a pas épargné les assurances.

“Je sais que ce n’est pas le lieu ici, mais je voudrais exprimer de la colère concernant les assurances. Les médecins rémunérés par celles-ci ne sont pas indépendants, et ce sont les mutuelles qui assument ce que les assurances n’assument pas. Je suis heurtée d’être écrasée comme une petite fourmi par un système gigantesque. Pour les assurances, je serais responsable de mon impuissance à aller mieux. C’est un soulagement d’être ici sur le banc de la partie civile. Chacun semble enfin à sa place”, a-t-elle dit.


17h00 Je n’ai pas connu la mort mais l’enfer, témoigne une victime grièvement blessée

Karen Northshield allait enregistrer ses bagages quand une bombe a explosé à côté d’elle à l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016. Elle est venue livrer le récit de son calvaire, qui dure depuis sept ans et “qui est loin d’être fini”, mercredi devant la cour d’assises de Bruxelles.

Je n’ai pas connu la mort mais bien l’enfer, a-t-elle tenté d’expliquer à la cour dans un témoignage empreint d’une puissante rage de vivre. “Vous ne saurez jamais tout ce que j’ai subi, et c’est un mot trop faible pour décrire toute l’atrocité qui fait dorénavant partie de moi.”

Karen Northshield, 30 ans à l’époque, passera 79 jours aux soins intensifs entre coma et état second, suite entre autres à la pulvérisation de sa hanche. Quand elle se réveille enfin, elle est “une femme presque morte, brisée et meurtrie” dans son âme et dans sa chair, intubée et branchée à un “tas de machines qui la maintiennent en vie”.

Pendant près de quatre ans, les visites à l’hôpital sont régulières voire quotidiennes. Elle subit une soixantaine d’opérations en tous genres. Des pièces de la bombe sont entrées dans son corps à tout jamais, dont une posée sur le nerf sciatique.  “J’avais 30 ans quand ma vie a explosé, je mène un combat qui ne devrait pas être le mien”, a-t-elle affirmé. “J’assume des responsabilités qui ne devraient pas être les miennes (…) Je pense que toutes les personnes impliquées, pas seulement les accusés, devraient maintenant prendre leurs responsabilités en main.”  “Je suis remplie d’une grande tristesse, d’une grande incompréhension pour ce que certains ont fait et ce que d’autres ont laissé faire et laissent encore faire.” Les victimes “sont seules dans leurs peines, leurs traumas et leur reconstruction”, a-t-elle dénoncé. “Ça n’aurait jamais dû arriver, et vous le savez”, a-t-elle poursuivi alors qu’elle délivrait son témoignage à la cour, aux accusés mais aussi à l’État belge et aux assurances.

Comme de nombreuses autres victimes, elle a dénoncé la lourdeur administrative du processus d’expertise. “C’est complètement absurde d’encore devoir, sept ans après, prouver mes séquelles par de nouvelles expertises. Ce manque d’humanité, ça ne fait que rallonger ma peine.”  C’est aussi pour les “victimes qui ne sont plus parmi nous ou qui n’ont pas pu témoigner”, les membres de sa famille “foudroyée”, et tout le personnel soignant qui ne l’a “jamais abandonnée” que Karen Northshield a tenu à livrer son récit devant la cour.

“Toute ma vie a été anéantie, mais ça ne s’arrête pas à ma vie”, a-t-elle glissé. “Si ce n’était pas pour les centaines de personnes qui ont été là pour moi, qui m’ont aidée, il est clair que je ne serais pas là aujourd’hui”, a conclu celle qui avait entamé sa prise de parole en se présentant comme invalide de guerre.


18h00 J’ai connu deux attentats, l’un des terroristes, l’autre de l’Etat (victime)

Roberto Spitzer a le sentiment d’avoir vécu deux attentats: celui commis à Zaventem le 22 mars 2016 par les terroristes; et l’autre par l’Etat qui a “noyé” les victimes à un “niveau incroyable”.

L’homme se trouvait dans l’allée 11 de l’aéroport lorsqu’une bombe a explosé, le plongeant dans un “cauchemar”, une douleur toujours vive et des problèmes urinaires. C’est ce qu’il a raconté mercredi après-midi devant la cour d’assises de Bruxelles.

“Je ne comprends pas pourquoi essayer de faire le plus mal possible. Il n’y a aucune religion du monde qui dit qu’il faut tuer, faire mal”, a déclaré la victime. Roberto Spitzer a pointé les éclats de métal que contenait la bombe, “pas là pour tuer plus fort”, mais pour “faire mal aux survivants”. “Pourquoi faire mal à des innocents ?” 

Le récit de M. Spitzer s’est ensuite concentré sur les violences infligées par l’Administration de l’Expertise médicale (Medex) lors de différents rendez-vous médicaux. Les médecins rencontrés dans ce cadre “nous ont traités de menteurs, étaient toujours très agressifs et pas compréhensifs. Mais les victimes, on n’est pas des menteurs, on vient de traverser l’enfer.” L’homme a ensuite regretté avoir dû payer des sommes importantes avant de recevoir une aide financière “d’urgence” insuffisante et cinq mois après les attentats.

Il a dénoncé la froideur de sa mutuelle lorsqu’il demandait de l’aide face à son incapacité de travailler. Ses interlocuteurs ne semblaient pas comprendre qu’il avait été victime d’un attentat, et pas d’une “grippe”. Au bout de plusieurs procédures, M. Spitzer s’est vu octroyer un taux de handicap de 13%. Aujourd’hui, il affirme fournir de “gros efforts” pour oublier la douleur et vivre sa vie. Il a ajouté être venu témoigner devant la cour dans une tentative d’évacuer sa “rage”. “J’espère que ça va me faire du bien.”


19h00 – Le calvaire enduré par Karen Northshield a figé toute la salle d’audience

La journée d’audience mercredi, au procès des attentats du 22 mars 2016, devant la cour d’assises de Bruxelles, a été marquée par le témoignage glaçant de Karen Northshield. Cette Belgo-américaine de 37 ans, ancienne athlète de haut niveau, a été touchée de plein fouet par la première bombe qui a explosé dans le hall des départs de l’aéroport de Bruxelles à Zaventem, le 22 mars 2016 peu avant 08h00. Grièvement blessée, elle a miraculeusement survécu, au prix d’une souffrance physique intense tout au long d’un parcours médical très lourd. Aujourd’hui encore, elle souffre d’importantes séquelles.

“Je suis invalide de guerre.” Ce sont les premiers mots de Karen Northshield devant la cour, à la question de procédure: “quelle est votre profession?” Le ton est donné. La victime n’épargnera pas les parties sur le calvaire qu’elle a subi au plan physique. Karen Northshield est la victime qui est restée hospitalisée le plus longtemps, après avoir passé 79 jours aux soins intensifs entre coma et état second, entre la vie et la mort. La bombe a détruit sa hanche et une partie d’une de ses jambes.

Les médecins, a-t-elle raconté, étaient persuadés qu’elle ne survivrait pas. “Je n’ai pas connu la mort mais bien l’enfer”, a-t-elle formulé, les dents serrées, la rage visible dans ses traits. “Vous ne saurez jamais tout ce que j’ai subi, et c’est un mot trop faible pour décrire toute l’atrocité qui fait dorénavant partie de moi.” Plusieurs photos d’elle ont accompagné son témoignage sur les écrans géants de la salle d’audience. Elles montrent la jeune femme athlétique qu’elle était avant le 22 mars, puis les dégâts sur son organisme après l’attentat, son hospitalisation aux soins intensifs et son corps meurtri aujourd’hui.

C’est pour les “victimes qui ne sont plus parmi nous ou qui n’ont pas pu témoigner”, les membres de sa famille “foudroyée”, et tout le personnel soignant qui ne l’a “jamais abandonnée” que Karen Northshield a tenu à livrer son récit devant la cour. Et comme de nombreuses autres victimes, elle a dénoncé la lourdeur administrative du processus d’expertise.

“C’est complètement absurde d’encore devoir, sept ans après, prouver mes séquelles par de nouvelles expertises. Ce manque d’humanité, ça ne fait que rallonger ma peine.” Mercredi, la cour a également entendu trois femmes qui se trouvaient dans la seconde voiture de la rame de métro qui a explosé à la station de métro Maelbeek. Deux d’entre elles ont été brûlées au visage. Si leurs blessures physiques ont cicatrisé, leurs souffrances psychiques ont été plus longues à soigner.

Chacune de ces trois victimes directes ont également visé les assureurs pour leur manque d’empathie et pour la pénibilité administrative des démarches destinées à les indemniser. “Le système est gangréné par l’argent, le but est de donner le moins possible”, et qu’importe l’indécence et le manque de respect des experts envoyés, a déclaré Leila Maron.  “Aucun [des médecins conseils] n’a cherché à savoir vraiment comment j’allais. Ils jouent de manière ignoble sur les réponses qu’on donne et posent des questions dirigées vers la minimisation de nos maux”, a affirmé Sandrine Couturier.

Quant à Patricia Mercier, elle a dit sa “colère” contre les assurances. “Les médecins rémunérés par celles-ci ne sont pas indépendants, et ce sont les mutuelles qui assument ce que les assurances n’assument pas. Je suis heurtée d’être écrasée comme une petite fourmi par un système gigantesque.” Enfin, mercredi, l’accusé Mohamed Abrini a tenu à prendre la parole après un témoignage, celui de Sandrine Couturier et de son mari. “Je tiens à remercier Madame Couturier pour son témoignage. Je veux lui dire que je suis désolé qu’elle ait eu à traverser cette épreuve (…) Dans le box des accusés, je pense que tout le monde pense pareil”, a-t-il dit, ajoutant qu’il lui souhaitait “le meilleur pour l’avenir”. Depuis le début des témoignages des victimes il y a plusieurs semaines, c’est la première fois qu’un accusé exprime de l’empathie pour l’une d’entre elles.

 

 

 

 

► Reportage de Thomas Dufrane, Nicolas Scheenaerts et Timothée Sempels

Rédaction avec Belga – Dessins : Belga/Jonathan De Cesare – Photo : illustration Belga/Christophe Licoppe