Procès des attentats de Bruxelles : Abrini affirme n’avoir jamais voulu se faire exploser à Zaventem

Les accusés du procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles sont interrogés sur les faits à partir de ce jeudi. Les interrogatoires sont menés de façon croisée, ce qui signifie que les accusés ne sont pas questionnés un par un, mais invités à intervenir ensemble autour de thématiques précises.

La première journée consacrée aux interrogatoires des accusés avait été menée de manière plus classique, chacun d’entre eux répondant tour à tour aux questions de la présidente de la cour d’assises à propos de leur personnalité.

À partir de ce jeudi, la cour entrera dans le vif du sujet, en abordant tout d’abord les faits du 22 mars 2016 à Zaventem et à Maelbeek. À l’inverse de l’audience de mercredi, les neufs hommes pourront rester assis durant cette séquence, pour laquelle deux semaines ont été prévues.

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Les accusés Mohamed Abrini, Salah Abdeslam, Sofien Ayari, Ali El Haddad Asufi, Bilal El Makhoukhi, Hervé Bayingana Muhirwa ainsi que Smail et Ibrahim Farisi participent à cette séance de questions-réponses. Seul Osama Krayem restera silencieux et a annoncé par la voix de son avocate, Me Gisèle Stuyck, qu’il invoquait son droit au silence. Le Suédois a également refusé de communiquer sur la raison de ce refus.

Dix hommes sont jugés pour leur implication dans les attentats de Zaventem et Maelbeek. Oussama Atar, qui serait mort en Syrie, fait défaut. Huit autres sont accusés de participation aux activités d’un groupe terroriste, d’assassinats terroristes sur 32 personnes et de tentatives d’assassinat terroriste sur 695 personnes. Le neuvième, Ibrahim Farisi, ne doit répondre que de participation aux activités d’un groupe terroriste.

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10h45 – Ibrahim El Bakraoui disposait de deux bombes au moment où il s’est fait exploser

Après avoir questionné Mohamed Abrini sur le déroulé de la matinée avant l’arrivée des terroristes à l’aéroport, la présidente de la cour Laurence Massart a demandé à “l’homme au chapeau” pourquoi Ibrahim El Bakraoui portait un sac à dos en plus du grand sac contenant la bombe. “Il avait une cocotte-minute dans son sac“, a-t-il répondu. Le premier kamikaze disposait donc de deux bombes : une faite de 30 Kg de TATP, comme Najim Laachraoui et Mohamed Abrini, et une autre de 20 kg dans le sac à dos.

Avant cela, l’accusé a expliqué à la présidente les raisons pour lesquelles il avait renoncé à déclencher sa bombe. “On me montre du doigt et je vois la file (où il doit aller se faire exploser, NDLR). Je fais demi-tour immédiatement et c’est là que je décide de leur dire. Je vois des femmes, des enfants. Je les vois de loin, je fais demi-tour directement. Je leur dis que je ne fais pas ça.”

À ses yeux, les personnes présentes ce jour-là à l’aéroport ont été doublement victimes, à la fois de la politique étrangère de l’Occident contre l’Orient mais aussi de celle de l’organisation terroriste État islamique.

Mohamed Abrini, lors du procès des attentats du 22 mars 2016 – Dessin : Belga/Jonathan De Cesare

Mohamed Abrini a répété qu’il n’avait jamais eu l’intention de se faire exploser le 22 mars. “Ça s’est déroulé tellement vite, c’est très compliqué. On a été dépassés par les événements. Il ne devait jamais y avoir d’attentat en Belgique. Le plan initial était de refrapper à Paris (…) pour faire annuler l’Euro.”

Une déclaration qui va dans le sens d’un message audio retrouvé sur un ordinateur des terroristes et où Najim Laachraoui expliquait que l’objectif était en effet d’attaquer une nouvelle fois la France. “Étant donné que Salah (Abdeslam, NDLR) a été arrêté, ça s’est enchaîné très rapidement. Le plan A tombe à l’eau et il faut frapper ici. Mais je savais que, même pour Paris, je n’allais pas y aller. Je suis d’accord pour certaines choses, pas pour d’autres. Je sais qu’il va y avoir un drame”, raconte l’accusé.

“Vous étiez au courant qu’il y allait y avoir un attentat ?”, a alors interrogé la présidente. “Oui, les testaments avaient été envoyés. Il y avait les photos avec le drapeau de l’État islamique. Pas besoin d’un diplôme pour comprendre que c’est le package du djihadiste qui va passer à l’action”, lui a répondu Mohamed Abrini, assurant savoir qu’il s’agirait d’un double attentat le 22 mars mais ignorer où aurait lieu la seconde attaque. “Moi, je leur montrais que j’étais déterminé, mais pas du tout en fait. Ça se passe tellement rapidement… On croit que ça se fait calmement, mais ça va très vite”, a encore expliqué “l’homme au chapeau”.

“À aucun moment vous ne vous dites que ‘je ne monte pas dans ce taxi’?”, a demandé Laurence Massart. “Je ne vais pas jusqu’à aller dire que, sans moi, il y aura moins de morts. Mais je savais que je n’allais pas me faire exploser”, a une nouvelle fois dit Mohamed Abrini, confiant sa “surprise” en apprenant, une fois à l’aéroport, qu’il devait être le premier à déclencher sa bombe.

Pour l’accusé, qui avait pour objectif de retourner en Syrie dès le lendemain des attentats du 13 novembre à Paris, les personnes présentes ce jour-là à l’aéroport (et dans le métro à Maelbeek) ont été doublement victimes, à la fois de la politique étrangère de l’Occident contre l’Orient mais aussi de celle de l’organisation terroriste État islamique. “C’est pour ça que je vous ai dit hier que vous n’êtes pas apte à juger une telle affaire”, a alors lancé “l’homme au chapeau”.

“Cette affaire nous dépasse tous”, avait-il affirmé mercredi lors de l’interrogatoire de personnalité. “Qu’est-ce que vous voulez juger une affaire où des chefs d’État ont décidé quelque chose, dont ceux de l’État islamique, et au milieu il y a nous ?” Pour Mohamed Abrini, la présidente de la cour est soumise à une “énorme pression” pour satisfaire l’opinion publique. Laurence Massart lui a rétorqué qu’elle était nommée comme juge à titre permanent et qu’elle ne “risquait donc rien” sur le plan professionnel, étant inamovible à son poste. “Nous ne subissons donc aucune pression sur nos carrières”, lui a-t-elle assuré. “Mais il faut toujours rester vigilants dans nos États…”, a-t-elle conclu.


12h37 – Mohamed Abrini n’a pas envisagé d’essayer de désamorcer sa bombe

Mohamed Abrini a expliqué, lors de son interrogatoire devant la cour d’assises de Bruxelles chargée de juger les attentats du 22 mars 2016, qu’il n’avait à aucun moment envisagé de désamorcer sa bombe avant de s’enfuir de l’aéroport, de peur que celle-ci n’explose.

Durant sa description du déroulement des faits, jeudi, l’accusé a répété qu’il n’avait jamais eu l’intention de se faire exploser à l’aéroport. Après qu’Ibrahim El Bakraoui ait déclenché sa charge, celui qu’on surnommera “l’homme au chapeau” pousse son chariot contre un pilier et se met à couvert en se bouchant les oreilles, en attendant la seconde détonation, celle de Najim Laachraoui. Il prend ensuite la fuite en laissant sa bombe sur place.

“Pourquoi ne pas avoir essayé d’enlever la pile, de désamorcer la bombe ?”, a alors demandé la présidente de la cour, Laurence Massart. “Je pense que ça aurait très dangereux, le bouton-poussoir était au fond du sac, il fallait bouger les fils… Najim Laachraoui m’avait dit que le produit était très instable et que même de l’électricité statique aurait pu le faire exploser. Juste pousser le chariot contre le pilastre était dangereux”. “Je n’ai même pas pensé à la désamorcer”, a ajouté Mohamed Abrini. “Le simple fait de pousser ce chariot sur les carrelages de l’aéroport, qui sont séparés par des joints… J’avais peur que ça explose.”

Laurence Massart lui alors fait remarquer qu’en agissant de la sorte, il avait mis en danger les survivants et les secouristes. “Je sais, mais il y avait le stress, c’était la pagaille. Il y a beaucoup de facteurs qui rentrent en jeu.” Au moment de sa fuite, l’accusé a confessé avoir eu peur. “Pour votre vie ou de vous faire arrêter ?”, a interrogé la présidente. “C’est un mélange de tout et bien plus que ça”, a-t-il répondu.


12h54 – Mohamed Abrini critique la Sûreté de l’État : “Ce sont des gens incompétents”

Mohamed Abrini a refusé jeudi, lors de son interrogatoire au procès des attentats du 22 mars 2016, de répondre à des questions sur des écoutes effectuées par la Sûreté de l’État à la prison de Bruges, où il a été incarcéré au lendemain de son arrestation. L’accusé a répondu qu’il ne savait pas comment la Sûreté de l’État avait pu écouter ces conversations et que, selon lui, ce sont “des gens incompétents”.

“L’homme au chapeau” a eu plusieurs conversations avec Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attentat du 24 mai 2014 au Musée juif, et le co-accusé Bilal El Makhoukhi dans le quartier de haute sécurité à la prison de Bruges en 2016. Des discussions qui ont fait l’objet d’écoutes. “À mon retour de Syrie, j’étais surveillé 24 heures sur 24 par la Sûreté de l’État. Et malgré ça, il y a eu Paris et Bruxelles”, a constaté Mohamed Abrini. “Ce sont des gens incompétents”, a-t-il ajouté. “Ils ont échoué dans beaucoup de choses.”

Un peu plus tôt dans l’interrogatoire, la présidente de la cour, Laurence Massart, avait évoqué une conversation interceptée à Bruges dans laquelle Mohamed Abrini déclarait se demander pourquoi Ibrahim El Bakraoui n’avait pas réduit en mille morceaux l’ordinateur de la rue Max Roos, qui s’est avéré être une mine d’or pour les enquêteurs. L’accusé a affirmé n’en avoir “aucune idée”, mais a indiqué qu’il ne répondrait pas aux questions concernant les conversations interceptées. “L’homme au chapeau” a en effet déploré que la Sûreté de l’État prenne des écoutes et les lui “colle”. “Pour moi, ce n’est pas carré, je ne vais pas répondre aux questions concernant ces écoutes.”


13h28 – Salam Abdeslam n’est pas revenu de Paris à Bruxelles pour participer à un autre attentat

Salah Abdeslam n’est pas revenu de Paris, où il aurait dû se faire exploser le 13 novembre 2015, à Bruxelles pour participer aux attentats du 22 mars 2016. C’est ce qu’il a soutenu jeudi, lors de l’interrogatoire croisé des accusés, devant la cour d’assises chargée de juger les attaques survenues à Zaventem et à la station de métro Maelbeek.

“Mon retour en Belgique n’était pas prévu. J’avais quelque chose à faire là-bas, je ne devais pas revenir”, a expliqué l’accusé français. Il y a quelques semaines, son avocate, Me Delphine Paci, avait déjà indiqué à la cour que son client devait se faire exploser dans un café – et non au stade de France – le soir du 13 novembre 2015. Sa ceinture explosive était cependant défectueuse.

 

Salah Abdeslam Procès Attentats de Bruxelles 22 mars 2016 - Belga Jonathan De Cesare
Salah Abdeslam au procès des attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 – Belga/Jonathan De Cesare

“J’ai surpris tout le monde quand je suis revenu ici. Ça en a choqué plus d’un. Dans l’imprévu, il fallait prendre une décision et on a accepté de me cacher. C’est dans ce contexte-là que je suis parti rejoindre la cellule de Paris”, a exposé Salah Abdeslam, insistant bien sur le fait qu’il ne s’agissait pas de la cellule terroriste de Bruxelles.

L’accusé est donc allé se réfugier dans une planque de l’avenue Henri Bergé, à Schaerbeek. “Je ne savais pas quoi faire, c’était le seul refuge que je pouvais trouver”, a-t-il dit, affirmant être alors dans un état de choc, exténué, fatigué et perdu. Salah Abdeslam venait alors de perdre son frère, Brahim, l’un des kamikazes des attaques à Paris. “Je ne reviens pas pour participer à quoi que ce soit et participer au 22 mars”, a assuré le Français, avant de déplorer une nouvelle fois avoir l’impression d’être jugé une seconde fois pour des faits commis à Paris.


16h11 – Ibrahim El Bakraoui savait “dissimuler les choses”, affirme Ali El Haddad Asufi

Ibrahim El Bakraoui était “quelqu’un qui savait dissimuler les choses”, a affirmé Ali El Haddad Asufi en réponse à une question de la présidente de la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats à Bruxelles, Laurence Massart.

Questionné sur les versions divergentes qu’il avait présentées lors de ses auditions à propos des signes de radicalisation d’Ibrahim El Bakraoui, Ali El Haddad Asufi a expliqué : “Quand on m’a demandé la première fois si Ibrahim avait changé après sa sortie de prison, il venait de se faire exploser. Du coup, j’ai dit oui, car ça me paraissait évident”, a raconté l’accusé.

“Mais en refaisant le film dans ma tête, je me suis dit que je n’avais pas vraiment vu de changement en fait. En même temps, c’est quelqu’un qui vient du grand banditisme, il savait dissimuler les choses.” La présidente de la cour s’est également étonnée qu’Ibrahim El Bakraoui ait emmené Ali El Haddad Asufi au 4 rue Max Roos, à Schaerbeek, alors que les autres membres de la cellule n’étaient vraisemblablement pas encore au courant de l’existence de l’appartement.

“Quand je suis allé là-bas, il n’y avait personne, c’était vide. Peut-être qu’il me montre l’appart parce qu’il n’avait pas encore décidé de l’utiliser.” “Il se dit peut-être que, comme je ne suis au courant de rien d’autre, il peut me montrer l’appartement. Ou alors il pense que je suis persuadé qu’il est à la recherche d’une planque pour ses histoires de grand banditisme”, a complété l’accusé. Ce dernier a également assuré qu’il n’avait aucun moyen de contacter celui qu’il décrit comme son ami. “Il ne m’a donné aucun numéro de GSM, c’est lui qui me contactait ou j’allais avenue des Casernes. Je n’avais aucun moyen de le contacter”, a-t-il dit, ajoutant qu’il n’avait que rarement véhiculé le futur kamikaze.

Au sujet de son omission volontaire de l’appartement de l’avenue des Casernes lors de sa première audition, Ali El Haddad Asufi a expliqué qu’il ne savait pas qui vivait encore là et qu’il ne voulait pas mettre Smail Farisi, qui avait sous-loué les lieux aux terroristes, en difficulté. “J’ai vu les images de Max Roos dans les médias et je me suis dit que l’adresse des Casernes n’apporterait rien, qu’ils savaient déjà tout. Je me protégeais aussi.”

Enfin, l’accusé a reconnu avoir décollé l’étiquette apposée sur l’une de ses clés USB par les enquêteurs de la Federal computer crime unit (FCCU) pour la coller sur une autre clé afin de faire croire que cette dernière avait déjà été analysée. “C’était une clé USB problématique, celle avec le testament pour la mère d’Ibrahim (El Bakraoui). Et tout ce qui touche à Ibrahim à ce moment-là est radioactif, il faut s’en éloigner le plus possible.” “Après, ça n’a pas vraiment marché. C’est bien la preuve que je ne suis pas un génie du crime. Si j’avais caché d’autres choses, ça aurait été découvert”, a conclu Ali El Haddad Asufi, non sans humour.


17h34 – Témoignage d’un terroriste déjà condamné

La fin de journée de jeudi au procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles a été marquée par un débat sur la possibilité d’organiser par vidéoconférence le témoignage d’un individu condamné en France pour terrorisme. Le parquet fédéral souhaiterait recourir à cette méthode, tandis que, du côté de la défense, certains privilégient plutôt de les faire venir jusqu’au Justitia.

La demande initiale du parquet concernait quatre témoins : Bilal Chatra, qui aurait dû participer à l’attentat déjoué dans le Thalys à l’été 2015 avant de prendre la fuite quelques jours auparavant ; Ayoub El-Khazzani, qui avait été mandaté par l’organisation terroriste État islamique pour perpétrer cette attaque dans le train ; et Muhammad Usman et Adel Haddadi, qui n’avaient pas pu rejoindre à temps les commandos terroristes du 13 novembre 2015. Tous ont été condamnés à de lourdes peines de prison en France, où ils sont incarcérés dans des centres pénitentiaires différents.

Seul l’un d’eux, Ayoub El-Khazzani, a accepté être entendu par vidéoconférence, a expliqué la procureure fédérale Paule Somers. D’après le parquet fédéral belge, citant ses collègues français, il est trop coûteux et dangereux de déplacer ces personnes jusqu’en Belgique, raison pour laquelle la vidéoconférence est privilégiée. Cela sans savoir si l’intéressé s’exprimera bel et bien, a relevé son collègue Bernard Michel.

Certains avocats de la défense ont toutefois déploré cette position, rappelant que le parquet est une partie au procès et demandant à ce que des pièces prouvant qu’un tel déplacement est en effet trop dangereux et coûteux leur soient apportées.

La cour rendra son arrêt à ce sujet mardi prochain, en début d’audience.

■ Reportage de Camille Tang Quynh, Charles Carpreau et Timothée Sempels.

Avec Belga – Photo : Belga/Jonathan De Cesare