Procès des attentats : le taximan raconte la course des kamikazes vers Zaventem, l’audience se finit dans l’hilarité

Mohamed Abrini Homme au Chapeau Images Vidéosurveillance Brussels Airport Police - Belga Eric Lalmand

De nouveaux témoins ont été entendus ce mardi devant la cour pour contextualiser les attaques de Brussels Airport et le profil des accusés

Le procès des attentats du 22 mars 2016 à Zaventem et Maelbeek se poursuit ce mardi au Justitia, à Haren. La cour d’assises de Bruxelles a accueilli plusieurs nouveaux témoins, allant de proches des accusés au chauffeur de taxi qui a mené les kamikazes Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui, ainsi que l’accusé Mohamed Abrini à Brussels Airport.

Portrait des accusés et des victimes, retour sur les faits… : notre dossier complet sur le procès des attentats du 22 mars 2016


11h42 – El Haddad Asufi avait “beaucoup d’humour”, selon un ex-collègue

Ali El Haddad Asufi était une personne qui avait “beaucoup d’humour“, avec qui “on rigolait énormément“, a affirmé mardi, devant la cour d’assises de Bruxelles, un ancien collègue de l’accusé. Le témoin a également avancé que les mesures de sécurité à l’aéroport de Zaventem laissaient à désirer avant les attentats du 22 mars 2016.

J’ai rencontré Ali quand on a travaillé ensemble dans une société de catering à l’aéroport de Zaventem“, a expliqué celui qui est désormais dispatcheur pour une société de taxis. “On s’entendait bien, il n’y avait jamais de problème avec lui. Je me souviens de beaucoup d’humour, c’était quelqu’un avec qui on rigolait énormément.” Le jour des attentats, les deux hommes ont échangé plusieurs messages vocaux. “Cela faisait environ six mois qu’on ne travaillait plus ensemble, (…) mais on a gardé des contacts sur WhatsApp. Ce jour-là, on a communiqué juste avant les explosions.

Ali El Haddad Asufi – Photo : Belga/Pool/Didier Lebrun

Questionné sur la sécurité entourant la société de catering dans laquelle l’accusé a côtoyé le témoin, ce dernier a pointé un manque de vérifications. “On avait des discussions entre collègues, on avait l’impression qu’ils ne contrôlaient pas” suffisamment.


12h50 – Le chauffeur de taxi livre sa version de la dernière course des kamikazes

C’est avec quelques réticences que le chauffeur de taxi ayant mené le duo de kamikazes et l’accusé Mohamed Abrini à Zaventem, le matin du 22 mars 2016, s’est finalement présenté ce mardi devant la cour d’assises de Bruxelles. D’une voix traînante, le trentenaire a rassemblé ses souvenirs, sans parvenir à faire la lumière sur l’état d’esprit de “l’homme au chapeau”.

L’ex-chauffeur a pris en charge le trio vers 07h00 au numéro 4 de la rue Max Roos, à Schaerbeek. Il se souvient d’un “gros” volubile et détendu, le kamikaze Ibrahim El Bakraoui, d’un grand mince identifié comme Najim Laachraoui et d’un troisième passager coiffé d’un chapeau, Mohamed Abrini (photo d’illustration).

Les trois hommes chargent eux-mêmes leurs bagages dans le coffre du véhicule, sans précautions particulières mais “proprement”, a décrit le témoin. Celui-ci remarque toutefois une “matière gluante” et persistante, ainsi que de la poudre blanche sur les sacs de ses clients. Et une odeur chimique. “On ne peut pas oublier cette odeur. C’était puissant.”

Le trio s’installe ensuite à l’arrière. Sur la route, Ibrahim El Bakraoui lance la conversation avec le chauffeur. “De quoi parlait-il ?”, l’a interrogé la présidente. “Ben, des Américains”, a lâché le témoin dans un petit rire. “Madame, de mauvaises choses : qu’ils sont coupables, qu’ils font ce qu’ils veulent. (…) Mais, moi, je n’ai pas voulu creuser le truc”, a-t-il ajouté, sourcils froncés. Les deux autres ne lui ont “jamais adressé la parole. Ils étaient crispés, c’est tout”.

Vers 08h30, ayant entendu les nouvelles sur les attaques, le témoin s’est rendu à la police pour y faire une déposition. Celle-ci permettra de retrouver rapidement l’appartement où les explosifs furent fabriqués, et de mettre la main sur un ordinateur aux informations précieuses pour l’enquête.


16h17 – Un ami d’enfance d’El Makhoukhi peu loquace

Venu témoigner devant la cour d’assises de Bruxelles, un ami d’enfance de Bilal El Makhoukhi s’est montré moins loquace à la barre que durant l’enquête. “À vous entendre aujourd’hui, soit vous n’avez pas envie d’être bavard, soit la mémoire s’estompe avec le temps”, lui a lancé le procureur Bernard Michel, avant de le confronter à ses propos en audition.

Interpellé par la présidente, le témoin a par exemple affirmé durant l’audience ne pas se souvenir que l’accusé lui ait confié s’être marié puis avoir divorcé en Syrie. C’est pourtant ce qu’il décrit dans une audition de 2018, assurant que Bilal lui avait parlé de “sa vie là-bas”. Devant la cour, le témoin a aussi indiqué ne pas savoir ce que son ancien ami faisait exactement en Syrie, se référant vaguement à la possibilité d’une aide humanitaire. “C’est ce qu’il me disait”, a-t-il ponctué. En audition, l’homme avait néanmoins soutenu que Bilal El Makhoukhi “était fier d’avoir combattu là au sein d’un groupe, mais il n’expliquait pas en détails ce qu’il y avait fait”.

Le procureur a ensuite relevé l’absence du numéro de Bilal El Makhoukhi dans son téléphone au moment de l’enquête. “J’ai changé de téléphone et le numéro était peut-être sur le téléphone et pas la carte” SIM, avait supposé le témoin, après une question du vice-président de la cour. Pourtant, “vous avez affirmé en audition que c’était pour couper les ponts car vous n’aviez pas le même islam”, a pointé Bernard Michel. “J’ai pu dire ça, c’est possible”, a reconnu le témoin.

“Vous avez peur de parler ?”, a demandé la présidente au témoin, apparemment peu à son aise. Après un moment de réflexion, l’ancien ami a souligné qu’il y avait “des gens dans la salle qui cherchent des réponses. J’essaie d’être le plus clair possible”.

Bilal El Makhoukhi – Photo : Belga / Laurie Dieffembacq

17h45 – Une connaissance d’El Makhoukhi évoque une personne “calme” et “très réservée”

Une connaissance de Bilal El Makhoukhi a ensuite évoqué ses souvenirs de l’accusé. “À l’époque, on faisait de la boxe anglaise ensemble. C’était après l’école, on était dans la vingtaine. C’était quelqu’un de très calme, très réservé, qui n’aimait pas les ennuis. Ce n’était pas un voyou, il faisait ses affaires et il rentrait chez lui”, a décrit le témoin. “Je savais qu’il avait quitté la Belgique, mais je ne savais pas pour aller où. Je ne lui ai pas demandé pourquoi.” L’homme a également soutenu n’avoir jamais noté de changement dans le comportement de Bilal El Makhoukhi.

Il a ensuite confirmé avoir travaillé avec ce dernier, avant son départ pour la Syrie, dans une association d’aide aux démunis où ils ont croisé Jean-Louis Denis, soupçonné d’avoir embrigadé de jeunes Belges pour combattre en Syrie. “On parlait beaucoup de religion dans cette association”, a confirmé le témoin. “On disait qu’il fallait aider les pauvres, aider son prochain. On disait que la démocratie était un leurre, que c’était la raison pour laquelle il y avait des pauvres, qu’elle n’était pas compatible avec l’islam. Il y avait pas mal de jeunes qui venaient aider cette association. Moi, je venais juste faire ma bonne action, je suis contre tout ce qui est sectaire.”

Comment son numéro s’était-il retrouvé dans le téléphone de Hervé Bayingana Muhirwa, qu’il a dit ne pas connaître ? Le témoin a affirmé n’en avoir aucune idée. La procureure a émis l’hypothèse que l’accusé ait pu récupérer le numéro du témoin à l’époque où ce dernier travaillait pour l’association. Me Juliette Lurquin a, elle, souligné que le témoin vendait des voitures et que son client pouvait s’être procuré le numéro dans cette optique.


18h13 – Des messages entre Ali El Haddad Asufi et son ex-collègue déclenchent l’hilarité

Une fois n’est pas coutume, l’audience s’est refermée dans la bonne humeur au procès des attentats du 22 mars 2016. La cour a écouté les messages vocaux échangés le matin des attaques entre l’accusé Ali El Haddad Asufi et un ancien collègue de l’aéroport, provoquant l’hilarité dans la salle.

En matinée, cet ex-collègue qui ravitaillait également les avions en repas avait décrit Ali El Haddad Asufi comme une personne ayant “beaucoup d’humour”, “quelqu’un avec qui on rigolait énormément”. Les procureurs avaient toutefois relevé des messages où le témoin reprochait à l’accusé d’avoir “disparu” et de “ne plus répondre aux messages” depuis que Salah Abdeslam avait été arrêté. “C’est vrai que c’est un peu choquant d’entendre ça mais ça n’a vraiment aucun lien avec les attentats”, avait répondu le témoin. “Pour plaisanter, on disait parfois l’inverse de ce qu’on pensait. Il suffit d’écouter les vocaux, vous allez comprendre.”

Aussitôt dit, aussitôt fait. À la demande d’une jurée suppléante, ces messages vocaux échangés sur la messagerie Whatsapp entre 7h35 et 7h57 le matin des attentats – soit jusqu’à une minute avant la double explosion – ont été exhumés des cartons et diffusés dans la salle d’audience en fin de journée.

Les deux comparses s’y taquinent, s’accusant l’un l’autre de ne pas donner assez de nouvelles et ponctuant leurs échanges de la rengaine : “T’es un fou, t’es un malaaaade”, dans laquelle transparaît le fort accent bruxellois d’Ali El Haddad Asufi. Combinés aux rires des deux protagonistes, ces éléments n’ont pas tardé à mener la salle d’audience à l’hilarité.

“Nous sommes quasiment à la fin” du dossier et “on découvre encore des éléments à décharge pour mon client, c’est magnifique !”, s’est exclamé l’avocat de l’accusé, Me Jonathan De Taye. À l’écoute de ces messages, “ça me semble évident qu’on a là deux potes qui rigolent comme n’importe qui rigolait ce matin-là avant les attentats. Un humour particulier, c’est vrai”, a concédé le pénaliste, qui souligne depuis le début de procès qu’Ali El Haddad Asufi n’a jamais été au courant de la préparation des attaques.

Avec Belga – Photo : Belga/Eric Lalmand