Neutralité à la STIB : des principes aux réalités de terrain

Comment la diversité culturelle et religieuse se vit-elle à la STIB ? Certaines pratiques spécifiques y trouvent-elles leur place ? Au-delà des débats politiques et juridiques suscités par la récente décision du tribunal du travail de Bruxelles qui a condamné la STIB pour discrimination, comment le principe de neutralité affiché par la société de transport se traduit-il sur le terrain ?

La STIB est l’un des premiers employeurs de la Région et son personnel se caractérise par une grande diversité. La société de transport a mis en place une politique de diversité depuis 2007, et dispose dans ce cadre d’une “diversity manager” et d’un Comité diversité, où siègent représentants de la direction, des syndicats, travailleurs, experts externes.

En matière de diversité, la STIB applique le principe de neutralité. Comment celui-ci se traduit-il sur le terrain ?

A quoi correspondent les notions de neutralité et de laïcité ?

Tenues vestimentaires

Ce principe s’applique notamment sur le plan vestimentaire. Les signes convictionnels sont interdits. Et cette interdiction est suivie de manière absolue en pratique, nous indiquent les délégations syndicales CSC et CGSLB (nous n’avons pas réussi à joindre la CGSP, mais il nous revient que sur ces questions les syndicats sont unis). Le port de l’uniforme est obligatoire pour les travailleurs. « Cela s’applique aussi bien aux femmes qui souhaitent porter le foulard, elles doivent le retirer pendant le service, qu’aux hommes qui voudraient porter un pantacourt. Impossible, puisque l’uniforme est de rigueur », nous indique Christian Eckert, délégué syndical CGSLB.

L’interdiction des signes convictionnels ne figurent pas tel quel dans le règlement de travail, que nous avons pu consulter. Celui-ci indique « le port de tout insigne autre que de service est interdit », sans davantage de précisions, ce qui laisse place à de multiples interprétations. L’interdiction des signes convictionnels est spécifiée en revanche dans une charte, un texte indépendant du règlement de travail. Mais celle-ci a été refusée par les représentants des travailleurs au conseil d’entreprise « car elle va trop loin en matière d’atteintes à la liberté d’expression », nous explique un de ses membres, par ailleurs favorable à l’autorisation du port du voile islamique.

Touria El Asri, une électromécanicienne, engagée récemment, que nous avions rencontré à l’occasion d’un reportage, arbore un foulard, sous sa casquette de travail. « A ma connaissance c’est la seule, et par ailleurs cela ne pose aucun problème » : pour Christian Eckert, délégué CGSLB, le port du foulard dans ce cas spécifique, peut découler de raisons de sécurité, liées au travail en atelier.

Sur le terrain, plusieurs revendications ou demandes, en lien avec la diversité, religieuse mais pas seulement, ont été portées ces dernières années, souvent soutenues par les organisations syndicales. « Les choses évoluent », assure Mohammed Arrahmouni, délégué CSC et membre du Comité diversité.

Repas halal

Ainsi, par exemple, des travailleurs musulmans ont réclamé il y a quelques années le droit de pouvoir disposer d’un menu halal. Cette demande était soutenue par les trois représentations syndicales, ainsi que par des travailleurs non-musulmans qui estimaient qu’il était injuste que leurs collègues ne puissent se restaurer sur leur lieu de travail, explique Youssef Handichi. Le député bruxellois PTB a travaillé comme chauffeur de bus pendant 11 ans avant d’être élu en 2014 au parlement bruxellois. Il était également délégué syndical CSC. « Ils subissaient une discrimination en ne pouvant pas se restaurer dans les restaurants de l’entreprise », renchérit notre interlocuteur au conseil d’entreprise. La demande a été entendue et le principe est désormais acquis. Les restaurants de la STIB proposent en plus du menu ordinaire, une formule halal.

Des locaux séparés entre les femmes et les hommes

David Leisterh, le président des MR bruxellois, postait hier un tweet s’inquiétant de rumeurs concernant la revendication de locaux séparés entre hommes et femmes.

C’est exact, nous confirment les différents délégués syndicaux, mais cette demande émane des travailleuses elles-mêmes, musulmanes comme non musulmanes, qui souhaitent pouvoir disposer d’espaces de détente où elles se sentent à l’aise, observe à son tour Youssef Handichi. « Ces espaces sont mixtes, tout comme les sanitaires. Il est normal, alors que le nombre de femmes travaillant à la STIB est en augmentation, que celles-ci puissent disposer de pièces où se reposer tranquillement, sans avoir à subir des comportements déplacés vis-à-vis des femmes. » Cette revendication n’a rien à voir avec les convictions religieuses, réagit encore notre représentant au comité d’entreprise. Elle est soutenue par les syndicats. Mais elle n’est pas à l’ordre du jour.

Locaux de prière

Dans son tweet, David Leisterh mentionne aussi des demandes qui viseraient la mise en place de locaux de prières. « Il y a différentes revendications pour l’aménagement de salles de silence, des lieux où des personnes croyantes, quelles que soient leur religion, puissent se recueillir en toute discrétion », rapporte notre interlocuteur au conseil d’entreprise. Mais les syndicats n’ont jamais porté de revendication pour la mise en place de lieux de prière, clarifie Mohammed Arrahmouni.

« Il est toutefois indéniable que certains travailleurs font leur prière dans l’entreprise », relevait le chercheur et spécialiste de la diversité culturelle Younous Lamghari, dans une étude réalisée en 2013 sur la manière dont l’islam se vit à la STIB.

La gestion pragmatique de la diversité à la STIB, au regard des réalités de terrain, montrait selon son analyse, que compte tenu des pratiques de certains travailleurs, le strict principe de neutralité ne s’appliquait en réalité pas tel quel sur le terrain, indiquait-il. Sans doute, en va-t-il toujours de même.

S.R.

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03 juin 2021 - 09h30
Modifié le 04 juin 2021 - 23h31