Port du voile : à quoi correspondent les notions de neutralité et de laïcité ?
Pour débattre d’un sujet aussi sensible, que celui qui concerne la laïcité et la neutralité, il convient de savoir ce qui se cache derrière les mots.
Depuis plusieurs jours, le débat sur le port du voile a « masqué » celui sur les mesures contre le Covid-109. Il a repris de la vigueur suite à la condamnation de la Stib par le tribunal du travail de Bruxelles pour discrimination fondée sur les convictions religieuses et le genre. Tant sur les réseaux sociaux que dans les couloirs des partis politiques, les mots « neutralité » et « laïcité » sont brandis et mis à toutes les sauces.
La neutralité n’est pas dans la constitution
Que cachent-ils vraiment ? Caroline Sägesser, chargée de recherche au Crisp (Centre de recherche et d’informations socio-politiques) et spécialiste de la laïcité, fait le point avec nous : « La laïcité et la neutralité ne sont pas des concepts juridiquement établis en Belgique. Ce sont des concepts fonctionnels. J’entendais ce matin Rajae Maouane (co-présidente d’Ecolo) dire que la neutralité est inscrite dans la constitution, je ne l’y ai pas trouvée. La neutralité, dans notre ordre juridique, nous ne l’employons que dans l’enseignement. Nous avons l’habitude de qualifier notre régime des cultes de « neutre » pour le distinguer du régime français qui est laïque. Mais ce n’est pas explicité comme cela dans la constitution. »
Elle rappelle que « dans les deux cas, il y a un socle qui est la séparation de l’Église et de l’État. La neutralité est une obligation d’égalité de l’État qui doit considérer tout le monde et toutes les religions de la même façon. »
Pourtant, certains pensent que la neutralité est dans la constitution : « La neutralité est l’esprit de notre constitution qui sépare l’État et le culte. L’État regarde toutes les convictions de la même façon. Il n’en favorise aucune… »
Il manque aussi une loi : « Nous avons un principe de neutralité de service public et des agents des services publics. Nous manquons toutefois d’une loi qui viendrait détailler comment cette neutralité doit s’exprimer, y compris dans leur apparence. »
► Voir aussi : Whassup BX ! par Yassine Mossati, sur le port du foulard dans l’enseignement supérieur (24/01/2021)
Neutralité inclusive ou exclusive
Après, vient le débat sur la neutralité exclusive ou inclusive : « La neutralité exclusive souligne que pour que le caractère neutre de l’État soit rigoureusement respecté, il ne peut y avoir aucune marque de conviction religieuse, ni sur les bâtiments religieux, ni sur les fonctionnaires qui rendent un service public. Par contre, la neutralité inclusive précise que les gens doivent être traités de la même façon quel qu’ils soient. Mais qu’il convient de tolérer que, les fonctionnaires qui servent l’État, aient des marques qui indiquent leur origine culturelle ou religieuse… », précise Caroline Sägesser.
Un véritable casse-tête de terminologie qui n’est pas simplifié au niveau de la laïcité par le nom du Centre d’action laïque (CAL), selon elle : « Le CAL devrait se rebaptiser comme l’union des agnostiques et athées par exemple. En s’appelant l’action laïque, cela ne va pas amener les croyants à adopter le principe de la laïcité, comme principe neutre. »
► Voir aussi | L’édito de Fabrice Grosfilley sur “le voile et la justice” (25/05/2021)
La laïcité devrait être neutre
Dans ce débat, l’ancien ministre, recteur et président du CA de l’ULB, Hervé Hasquin, rappelle aussi que « la Constitution belge de 1830, énonce déjà toute une série de principes. La Belgique n’est pas la France, on les confond souvent. Cela a le don de m’énerver. Le grand principe chez nous, c’est qu’il y a une séparation de l’Église et de l’État. Quand on dit cela, on dit tout. En Belgique, on reconnaît toutes les libertés. Nous avons été un des pays les plus démocratiques au monde au XIXe siècle avec cette constitution. »
Il rappelle que « la laïcité devrait être neutre. La laïcité prend parfois des aspects antireligieux qui me dérangent. Le problème, c’est qu’en Belgique, la laïcité est à la fois une manifestation philosophique et politique. Vu les accents antireligieux et anticléricaux qu’il y a dans certains milieux laïcs minoritaires, cela crée des tensions, surtout dans la partie francophone du pays. »
Il a autorisé le foulard
Hervé Hasquin se souvient d’une autre époque : « J’ai autorisé, quand j’étais recteur, à l’Université Libre de Bruxelles que les étudiantes portent le foulard si elles le souhaitaient. Pendant trente ans, il n’y a jamais eu de problème à l’ULB avant qu’un professeur ne complique la situation. »
Il reconnaît « que le foulard peut être une attitude politique. D’ailleurs, on favorise cette attitude politique en en parlant autant. Je me suis suffisamment occupé de sociologie religieuse pour pouvoir aborder cette question : plus on en parle, plus on renforce les convictions. Je suis pour la liberté religieuse et de conviction à la condition que l’on respecte les lois de l’État belge. »
Face aux tensions actuelles, si l’on veut s’écouter et se comprendre, prendre le temps de peser chaque mot permettra aussi d’enrichir le débat et peut-être d’en sortir enfin vers le haut. En attendant, cette nouvelle flambée de tension amène « une vraie radicalisation des deux cotés », précisent-ils tous les deux.
À Malines, la neutralité doit émaner des actes et non de l’apparence
Sur son site internet, Unia.be évoque, pour donner un exemple de neutralité inclusive, la ville de Malines où le bourgmestre est le libéral flamand, Bart Somers : la Ville de Malines indique dans son code déontologique : “(… ) La neutralité doit émaner des actes et non de l’apparence des agents. C’est pourquoi il n’y a pas de restriction au port de signes convictionnels et ce, quelle que soit la fonction, sauf en cas de violation de la loi ou de l’ordre public (voir art. 104 et 105 du Règlement général administratif de police) ou en cas d’atteinte à la sécurité et à l’hygiène. Aucune plainte de citoyens/usagers ne peut donner lieu à une révision de ces instructions.”
V.Li – Photo : Belga/Nicolas Maeterlinck