Procès des attentats de Bruxelles : Mohamed Abrini est coupable, “il le dit lui-même”, pointe sa défense

Me Laura Pinilla et Me Stanislas Eskenazi auront la parole mardi matin pour défendre leur client, Mohamed Abrini, devant la cour d’assises chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles. Ce sera ensuite au tour de la défense d’Osama Krayem.

Le ministère public avait requis, fin mai, la culpabilité des deux hommes pour participation aux activités d’un groupe terroriste ainsi que pour assassinats et tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste. Mohamed Abrini comme Osama Krayem ont tous deux porté des bombes mais ont renoncé à se faire exploser, le premier à l’aéroport de Zaventem et le second dans le métro à Maelbeek.

Abrini a abandonné sa charge à Brussels Airport, tandis que Krayem s’est débarrassé du TATP dans les toilettes de l’appartement de l’avenue des Casernes.

Notre dossier sur le procès des attentats de Bruxelles 

Dix hommes sont accusés dans le procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles. Oussama Atar, qui serait mort en Syrie, fait défaut. Huit autres – Mohamed Abrini, Osama Krayem, Salah Abdeslam, Sofien Ayari, Bilal El Makhoukhi, Hervé Bayingana Muhirwa, Ali El Haddad Asufi et Smail Farisi – sont accusés de participation aux activités d’un groupe terroriste, d’assassinats terroristes sur 32 personnes et de tentatives d’assassinat terroriste sur 695 personnes. Un neuvième, Ibrahim Farisi, ne doit répondre que de participation aux activités d’un groupe terroriste.

Le 22 mars 2016, deux explosions ont retenti à 07h58 dans le hall des départs de l’aéroport de Bruxelles-National à Zaventem. Une troisième bombe a été découverte sur les lieux un peu plus tard, que les services de déminage ont fait exploser après avoir évacué les services de secours et de police encore sur place. Une heure plus tard, une nouvelle explosion s’est produite, cette fois à Bruxelles, dans la station de métro Maelbeek.


12h08 – Mohamed Abrini est coupable, “il le dit lui-même”, pointe sa défense

“On va se détendre tout de suite: vous cocherez coupable aux trois infractions qui sont reprochées à Mohamed Abrini”, à savoir la participation aux activités d’un groupe terroriste, les assassinats et tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste, a d’emblée adressé au jury l’avocat de “l’homme au chapeau”, en début de plaidoirie mardi devant la cour d’assises de Bruxelles. “Mais je refuse d’entendre dire qui que ce soit que M. Abrini ne prend pas ses responsabilités”, a ajouté Me Stanislas Eskenazi au procès des attentats du 22 mars 2016.

“Mohamed Abrini était bien derrière un charriot” chargé d’explosifs à l’aéroport de Zaventem, le matin des attaques qui ont fauché 32 vies à Brussels Airport et dans la station de métro Maelbeek.

Déjà lors de son arrestation le 8 avril 2016, l’accusé avait reconnu son implication, a rappelé celui qui l’assiste depuis cette journée dans les locaux de la police fédérale. Au procès des attentats de Paris, l’homme au chapeau n’a pas cherché à se dédouaner et a admis qu’il était prévu pour les attaques du 13 novembre 2015, a ajouté son conseil. Sa responsabilité, “il la paiera. Mais personne ne lui enlèvera le fait qu’il l’assume”, alors qu’un avocat de la partie civile avait affirmé en plaidoirie, début juin, que Mohamed Abrini n’assumait “rien du tout”.

Pourquoi ces aveux?, s’est interrogé Me Eskenazi. Le jour de son arrestation, Mohamed Abrini “m’a dit: ‘je suis soulagé’. Eh bien moi, je suis soulagé (…) car quand vous motiverez, ce sera sur de bonnes bases.” C’est en effet la délicate question de la motivation qui a poussé l’avocat à prendre la parole alors que la culpabilité de son client ne fait de doute pour aucune des parties, défense comprise.

L’homme de loi est revenu sur les conditions de détention et de transfert des accusés, les mises à nu, fouilles et génuflexions, qui ont fait couler beaucoup d’encre avant et pendant le procès. “On lui a mis du métal à fond dans un casque, durant deux heures pour les transferts depuis la prison d’Arlon. Puis, on vous le place, cet homme, devant un juge d’instruction et on lui demande de parler. Imaginez ça, les yeux bandés dans une voiture à 160 km/h. C’est insoutenable”, a résumé Me Eskenazi qui, a-t-il affirmé, s’est soumis à l’expérience pendant une dizaine de minutes.

Dans ces conditions, comment l’accusation peut-elle exiger d’un accusé un discours sans incohérence? “Si l’on voulait qu’il soit constant et à même de se rappeler plein de petits détails, il faillait le mettre dans les conditions adéquates”, a embrayé sa consœur Me Laura Pinilla. “Charité bien ordonnée commence par soi-même”, a-t-elle lancé.

“Commençons par revoir nos conditions de détention et de transfert, par ne pas les soumettre à des heures de musique métal avant de les interroger, à ne pas les tabasser – car M. Abrini a été tabassé -, par ne pas les priver de sommeil en venant vérifier toutes les 15 minutes qu’ils dorment effectivement.”

La justice a fait son oeuvre en statuant contre des conditions de détention et de transfert “inhumaines”, a pointé Me Eskenazi. “Et vous allez répondre présents en motivant correctement, pour faire taire tous ceux qui ont voulu que ce procès soit un fiasco”, a souligné le pénaliste, le regard fixé sur le jury populaire.

Sa consoeur Me Laura Pinilla a ajouté que Mohamed Abrini ne plaiderait pas le renoncement volontaire, contrairement à ce qu’avait insinué le parquet fédéral lors de son réquisitoire. Pour ce dernier, il est clair que l’abandon par l’accusé de sa bombe chargée après la première explosion relève d’un acte de lâcheté ou du réflexe de survie, mais ne constitue pas un renoncement à l’attentat en lui-même.


12h18 – La vision du parquet sur Abrini est “caricaturale, simpliste et contredite par le dossier”

La vision du parquet fédéral à l’égard de Mohamed Abrini, l’homme qui a renoncé à se faire exploser à l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016, est “caricaturale, simpliste, stéréotypée et, en plus, contredite par le dossier”, a asséné mardi son avocate devant la cour d’assises chargée de juger ces attaques. Me Laura Pinilla a ainsi dénoncé les “mensonges” et “opinions” que les procureurs fédéraux ont tenté de faire passer pour des vérités lors de leur réquisitoire.

“Je suis désolée mais on vous prend pour des buses!”, s’est-elle exclamée face au jury populaire, évoquant les “merveilles” entendues ces dernières semaines lors des interventions du ministère public et des parties civiles. “Mais, heureusement, le parquet fédéral est objectif et ne peut pas mentir“, a ironisé la pénaliste. “Quand il s’agit de croire M. Abrini sur un élément à décharge, on vous dit qu’il ment. ‘C’est de l’enfumage!’ Mais, inversement, quand il s’agit de construire la maison de briques de l’accusation, on se fonde sur quoi? Sur les déclarations de M. Abrini”, s’est étonnée l’avocate.

“J’ai inspecté la maison de briques…. 29 fois, les déclarations de M. Abrini ont été utilisées dans les réquisitions. Si M. Abrini ment tellement, alors la maison de briques est faite de paille. On souffle et tout s’envole”, a-t-elle illustré. Me Pinilla a également pointé le fait que l’accusation considérait par contre qu’Osama Krayem, qui a renoncé à se faire exploser dans le métro, disait, lui, toujours vrai.

Or, cet accusé a pourtant affirmé n’avoir jamais vu Mohamed Abrini confectionner les explosifs, contrairement à ce qu’a soutenu le parquet dans son réquisitoire. “J’ai l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures.” Comme son collègue à la défense de “l’homme au chapeau” quelques minutes plus tôt, Me Pinilla a répété qu’elle n’entendait pas demander l’acquittement de son client, ni plaider le renoncement volontaire de sa part. Proposant “un compromis à la belge”, l’avocate a offert de ne pas “ennuyer” le jury avec tous les actes de participation de Mohamed Abrini à l’entreprise terroriste, mais de s’attarder uniquement sur trois actes que les procureurs jugent établis et que la défense conteste.

Elle estime en effet que ces actes ne font pas l’objet d’un consensus: la fabrication du TATP, la confection des bombes et la participation de Mohamed Abrini aux messages audios envoyés par la cellule à son chef en Syrie. Non, M. Abrini n’a pas nécessairement confectionné l’explosif pour la seule raison qu’il en connaissait le processus de fabrication, a-t-elle insisté. À ses yeux, cette affirmation constitue plutôt une opinion du parquet, que celui-ci n’a pas étayée par des preuves et des éléments objectifs du dossier. Si ce n’est un gant de vaisselle, qui a pu servir à faire le ménage dans la planque schaerbeekoise de la rue Max Roos, où a été produit le TATP, il n’y a aucune trace ADN de l’accusé sur la dizaine d’autres objets indispensables à la fabrication de cet explosif, a-t-elle d’ailleurs relevé. En particulier, les lunettes de protection et masques buccaux contre le caractère corrosif des produits utilisés en sont exempts.

Rien ne démontre dans le dossier une participation plus importante que celle de vider des pots de haricots dans les toilettes afin de les utiliser comme contenants pour le TATP, a-t-elle résumé. L’argument selon lequel Mohamed Abrini a participé à la confection des bombes ayant servi le 22 mars 2016 ne repose dès lors que sur la seule thèse que l’intéressé se trouvait rue Max Roos du 15 au 21 mars, a poursuivi la pénaliste. Estimant que “le parquet fait mentir le dossier alors que c’est lui qui a la charge de la preuve”, elle a tenté de démontrer que son client n’était revenu dans la planque schaerbeekoise que le 21 mars en fin de journée, soit la veille des attentats.

Et quand bien même l’accusé aurait été présent, en quoi cela permet-il de démontrer qu’il a confectionné les bombes?, s’est interrogée Me Pinilla. Enfin, l’avocate a balayé la supposée présence de Mohamed Abrini lors de l’enregistrement des messages audios envoyés par les terroristes à leur émir en Syrie. “On n’entend jamais sa voix, son ADN n’est pas sur les casques audios, mais le parquet soutient qu’il y a participé. C’est quand qu’on me le prouve?” “L’homme au chapeau” n’avait pas connaissance de ces messages, a-t-elle affirmé.

“Ça peut paraître étrange. Mais, dans ce dossier, on (la cellule terroriste, NDLR) cloisonne. Les enjeux et les risques sont trop élevés. On ne donne une info que si c’est indispensable. Et si on décide de la partager, vous pensez réellement qu’on va le faire avec celui qui a fait faux bond le 12 novembre 2015 (lorsqu’il avait quitté la cellule qui s’apprêtait à frapper Paris le lendemain, NDLR)?” “Venir soutenir des choses qui ne sont pas fondées ni démontrées pour tailler (à Mohamed Abrini) un costume plus large encore que celui qu’il porte déjà, ce n’est pas la justice. On ne justifiera pas l’injustifiable, on n’excusera pas l’inexcusable. Mais votre décision ne sera empreinte de justice que si vous acceptez de mettre votre opinion et a priori de côté pour regarder le dossier tel qu’il est”, a insisté la pénaliste.

Pour elle, le parquet a voulu vendre une histoire, celle de “l’homme au chapeau, l’éminent terroriste, le monstre sanguinaire, l’artificier, le noyau dur de la cellule qui n’aurait fait de vous qu’une seule bouchée”. “Car, alors, tout devient si simple.”

Non, Mohamed Abrini n’a pas fabriqué le TATP, ni confectionné les bombes ; non, il n’a pas participé aux messages audios, a-t-elle résumé. Mais, oui, il était bel et bien derrière un chariot le 22 mars à l’aéroport de Zaventem, a-t-elle reconnu.  “Lorsque vous ferez face à cette énigme, ne tournez pas le dos à la complexité. Ne choisissez pas la simplicité et vous ferez justice”, a conclu l’avocate.


13h03 – La défense d’Osama Krayem ne conteste pas la culpabilité de l’accusé, mais bien des éléments du parquet pour la motiver

La défense d’Osama Krayem ne conteste pas la culpabilité, dans les attentats du 22 mars 2016, de cet accusé qui avait renoncé à se faire exploser dans le métro. C’est ce qu’a annoncé son avocate, Me Gisèle Stuyck, mardi au début de sa plaidoirie devant la cour d’assises chargée de juger ces attaques.

Il y a quelques semaines, le parquet fédéral avait requis la culpabilité d’Osama Krayem en tant que co-auteur des attentats, et donc d’assassinats et de tentatives d’assassinat dans un contexte terroriste. Il avait aussi estimé établie la participation aux activités d’un groupe terroriste. “Nous n’avions aucun argument à vous exposer sur la culpabilité, tout concernait la peine”, a expliqué la pénaliste en introduction de son intervention.

“Mais, à la lecture des réquisitions, nous sommes contraints de prendre la parole, dans la mesure où l’accusation vous demande de prendre votre décision sur base d’éléments erronés.” Ces éléments n’ont, certes, aucune influence sur la culpabilité de l’accusé suédois, mais “votre décision doit être motivée sur base d’éléments factuels”, a-t-elle insisté, avant de développer les erreurs du parquet.

Belga 

■ Reportage de Jean-Christophe Pesesse, Morgane Van Hoobrouck et Laurence Paciarelli