L’édito de Fabrice Grosfilley : quand le métro déraille

L’édito de Fabrice Grosfilley, en ce mercredi 24 mai 2023.

Ce n’est pas encore le terminus, tout le monde descend, mais c’est un fameux déraillement. En annonçant que le projet d’extension du métro allait coûter cher, très cher, trop cher, tellement cher qu’il vaudrait mieux l’abandonner l’administration de Beliris a jeter un fameux pavé dans la mare.

Rappelons pour commencer que Beliris n’a pas l’autorité nécessaire pour arrêter le projet, c’est encore le gouvernement bruxellois qui décide, mais cette administration qui gère les investissements de l’État Fédéral en Région bruxelloise (et qui a donc un œil sur tous les grands projets) possède de l’expertise et de l’expérience. Et surtout : les offres remises par les entreprises capables de mener un tel chantier s’avèrent plus de deux fois supérieures à ce qui était attendu. On parle d’une somme oscillant entre 2,3 et 2,4 milliards. C’est plus que les dernières estimations pour l’ensemble de cette ligne 3 (on est passé au fil des ans de 1,6 à 2,3 milliards), alors qu’on ne parle ici que de la section nord du projet, celle qui va de la Gare du Nord à la station Bordet en passant par Schaerbeek et Evere.

En clair : les chiffres sont en train de donner raison à ceux qui pensent que le métro est impayable. La Région bruxelloise va impérativement devoir se poser la question de savoir si elle a les moyens de ses ambitions.

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En termes de mobilité l’abandon de ce projet qui était l’un des axes forts de la législature et des législatures à venir est un coup dur. Il suffit de passer un week-end à Paris, à Londres, à Berlin, pour savoir qu’un métro est un outil majeur. Que celui de Bruxelles n’est pas particulièrement tentaculaire. Et qu’il ne suffit pas de développer des pistes cyclables et de mettre en place des zones de basse émission pour changer la mobilité du ville, il faut aussi et surtout proposer des alternatives à l’automobile par le biais des transports en commun.

On soulignera le caractère rocambolesque de cette annonce, avec une soi-disant petite annonce pour une offre d’emploi. “Une bourde” disait hier soir Karine Lalieux, ministre fédéral qui a la tutelle sur Beliris, sur l’antenne de BX1. Cette hypothèse de la maladresse nous laisse sceptiques : cela ressemble plutôt à une fuite délibérée. Comme si Beliris avait voulu court-circuiter les décideurs politiques, en ne leur laissant pas le choix. La note remise aux ministres lundi matin, une offre d’emploi publiée le lendemain, la presse qui en prend connaissance, l’offre d’emploi retirée. Beliris aurait voulu que l’affaire s’ébruite, elle n’aurait pas fait autrement, la conclusion qu’on peut en tirer, c’est que Beliris souhaite se retirer du projet et a fait ce qu’il fallait pour cela.

Que va-t-il se passer maintenant ?

Plusieurs options sont sur la table. 1) L’abandon du projet comme le propose Beliris.  2) Son maintien, mais en allant chercher d’autres sources de financement. 3) Une renégociation des offres, mais c’est juridiquement hasardeux et surtout, on trouve parmi les soumissionnaires les mêmes entreprises que celle qui sont déjà actives dans le chantier de station Toots Thielemans, chantier qu’elles ont mise à l’arrêt en estimant qu’elles ne pouvaient pas encaisser le surcoût d’un sous-sol plus instable que prévu. Autant dire qu’avec ces entreprises-là, la confiance est rompue. 4) La dernière option : revoir le projet, en en diminuant l’ampleur, par exemple en supprimant une partie des stations prévues. On notera que dans les cas 1, 3 et 4, il faudra envisager de payer des pénalités : on ne rigole pas avec les règles des marchés publics.

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Le gouvernement bruxellois discutera de tout cela demain jeudi. Il est peu probable qu’il trouve la solution en 24 heures. Au sein de la majorité les écologistes, qui depuis le début ne sont qu’à moitié convaincus par ce projet de métro (ils préfèrent les trams), se frottent les mains (discrètement, mais quand même). Parti Socialiste et Open VLd, qui sont les grands partisans du métro, vont donc devoir la charge de trouver une solution, et ce ne sera pas facile.

Signe du malaise politique : personne ne voulait prendre la parole hier. Ni la ministre de la mobilité, ni les autres membres de la majorité, qu’ils soient ministres ou parlementaires, ne souhaitaient donner d’interview.

Pour donner tort à Beliris, il faudrait que la majorité bruxelloise fasse preuve de solidarité, de détermination et de cohésion. Quand on sait que sur l’autre partie de la ligne 3, celle qui concerne la construction de la station Thielemans, on attend depuis des semaines que cette majorité prenne une décision, qu’on tergiverse entre études juridiques et rapports d’expert pour savoir si on va ou pas démonter le palais du Midi…

La cohésion, la détermination… ne sont pas ce qui caractérise cette majorité régionale quand on parle de mobilité. Pour relancer la ligne 3 il va falloir trouver une autre méthode de pilotage (confier la gestion du dossier à la Stib plutôt qu’à Beliris par exemple) et surtout trouver des financements alternatifs, avec tous les risques d’enlisement que cela comporte. Et cela risque bien au final de donner raison à Beliris.

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Fabrice Grosfilley