L’édito de Fabrice Grosfilley : puzzle bruxellois
Dans son édito de ce mercredi 16 avril, Fabrice Grosfilley revient sur les négociations bruxelloises.
Est-ce que ça bouge ? Oui, ça bouge un peu. Dans les négociations bruxelloises en vue de former un prochain gouvernement, après plusieurs semaines d’immobilisme et de blocage total, on observe ces derniers jours de très légers mouvements. Pas d’enthousiasme excessif : ces mouvements restent timides et conditionnels. Ils ne sont pas encore de nature à permettre l’ouverture de véritables négociations, mais ils font légèrement bouger les lignes.
Premier mouvement observé : chez Écolo.
Jusqu’à présent, la ligne des écologistes était claire : choisir l’opposition. Le parti s’estimait sanctionné par les électeurs et jugeait qu’il devait respecter ce message. Écolo avait déjà amorcé une première ouverture en indiquant qu’il pourrait soutenir un arrangement institutionnel si nécessaire, comme par exemple la création d’un poste de secrétaire d’État supplémentaire pour les néerlandophones, si cela permettait de débloquer la situation. Le parti franchit un cap supplémentaire en annonçant ce mercredi qu’il pourrait accepter d’entrer en négociations.
Cette évolution est le résultat de nombreux appels du pied en direction des écologistes, à qui l’on reproche de rester au balcon. C’est aussi le fruit d’une réflexion interne au parti. Vendredi, lors d’une assemblée générale de la région bruxelloise d’Écolo, plusieurs militants et cadres ont plaidé pour un changement de posture, afin d’aider au déblocage de la négociation bruxelloise. Ce qui reste compliqué, en revanche, pour les écologistes, c’est l’idée de monter dans une majorité où ils ne se sentiraient pas à l’aise. Une partie des militants ne veut pas entendre parler d’une coalition penchant vers la droite, où il s’agirait simplement de “dépanner” le Mouvement réformateur. Une autre partie se méfie — comme de la peste — des socialistes, qui n’ont pas hésité à saborder la majorité sortante en menant campagne contre la politique de mobilité d’Elke Van den Brandt et en ciblant régulièrement Alain Maron.
Écolo ne veut donc pas servir de strapontin, ni à une majorité de droite, ni à une hypothétique majorité de gauche. Le parti suggère qu’on travaille à une grande majorité avec le Mouvement réformateur et le Parti socialiste. Une sorte de grande union régionale. Précision importante : cela devrait se faire sans la présence à bord des nationalistes flamands de la N-VA. Et on ajoutera que les écologistes poseront quelques balises vertes : le maintien de la zone de basse émission, pas de construction sur les espaces verts existants, et une politique ambitieuse en matière de logements sociaux.
Dès hier soir, Georges-Louis Bouchez a réagi.
Il a dit tout le mal qu’il pensait de cette proposition écologiste. Sur le réseau X, il a lancé une torpille dans le style Bouchez :
“Écolo pose des exclusives sans fondement démocratique. Ce serait former un pôle de gauche et composer une Vivaldi qui ne sera pas en mesure de réformer la Région bruxelloise.”
Et le président du Mouvement réformateur d’en appeler à DéFI pour trancher entre le bloc de centre droit et le bloc de centre gauche, qui seraient selon lui à égalité au Parlement bruxellois. Bon, l’égalité en question n’est pas tout à fait égale. Si l’on tient compte des voix du PTB et de Team, le Parlement penche plutôt à gauche en Région bruxelloise.
C’est le deuxième niveau où il y a du mouvement : le positionnement individuel des parlementaires.
Latifa Ait Baala a quitté le MR pour rejoindre le PS. Soulaeyman Mokadem a quitté le PTB pour siéger comme indépendant. Fabian Maingain annonce ce matin qu’il quitte DéFI. On sent que ça bouge. Que certains parlementaires ont des fourmis dans leurs affiliations. On se contorsionne, on se demande si l’on ne doit pas quitter un groupe pour un autre, on se demande dans quelle coalition on risque d’atterrir. Ce Parlement bruxellois ressemble pour l’instant à un grand puzzle où chacun cherche sa place. Cette instabilité a son importance. Parce qu’à un ou deux sièges près, certaines coalitions deviennent possibles… ou pas. Par exemple, on comprend très bien ce matin que Fabian Maingain ne soutiendra pas une majorité dans laquelle se trouverait la N-VA.
On vous fait le résumé :
À ce stade, le PS, Écolo et probablement DéFI ne veulent pas soutenir une majorité avec la N-VA. Le MR et l’Open VLD réclament la présence de la N-VA. Les Engagés et le MR continuent de former un seul bloc. On voit bien que se dessinent peu à peu deux ensembles :
– un qui penche à gauche, sans la N-VA ;
– un autre qui penche à droite, avec la N-VA.
Pour l’instant, aucun de ces deux ensembles ne forme une majorité. Mais les petits changements en cours pourraient, au bout du compte, peser lourd. En particulier, si on réalise qu’un siège en plus ou en mois, ça peut tout changer dans la composition des commissions parlementaires (avoir une majorité très relative dans l’assemblée, c’est déjà compliqué, perdre le contrôle de commissions importantes, c’est injouable).
Dernier rappel :
Théoriquement, il faut une double majorité à Bruxelles : chez les francophones et chez les néerlandophones. Si on n’y arrive vraiment pas, on peut toujours envisager une coalition qui ne serait majoritaire que dans un seul des deux collèges, à condition qu’elle soit majoritaire dans l’ensemble du parlement. Cela coincerait sur certains votes où une double majorité est requise, mais ce n’est pas impossible. Dans ce cas-là, il y a une vérité arithmétique : au Parlement bruxellois, il y a 72 élus francophones et 17 néerlandophones. Il sera plus confortable de construire une majorité qui partira du collège francophone que du collège néerlandophone.
Fabrice Grosfilley