L’édito de Fabrice Grosfilley : négociations bruxelloises, enfin le top départ (dans 15 jours)
Cette fois-ci, c’est parti. Ou presque. Dans une double communication à l’agence Belga Ahmed Laaouej, président de la fédération bruxelloise du PS, et David Leisterh, président de la régionale bruxelloise du MR, ont acté ce jeudi matin une entrée « officielle » en négociation de leurs formations respectives pour installer le prochain gouvernement bruxellois. Côté francophone, on négociera donc à trois : MR, PS et Engagés. Le déclic «formel» est validé par un vote du bureau de la fédération du PS bruxellois qui autorise donc son président à entrer en négociation sur base d’une nouvelle proposition du formateur David Leisterh.
L’annonce n’est pas anodine à défaut de paraître spectaculaire. Cela faisait 70 jours que MR et PS étaient en contact régulier pour tenter de poser les bases de cette négociation. Arithmétiquement, la coalition MR-PS-Engagés semblait incontournable, et pourtant, la dynamique tardait à s’enclencher. Dès le 24 juin, le PS avait fait savoir qu’il refusait d’entrer en négociation sans base de départ écrite. Et il avait énoncé certaines balises en termes de logement, de défense des services publics et de vivre ensemble. Pendant deux mois, le PS a donc renâclé à négocier, estimant que les conditions n’étaient pas réunies. Ce qui n’a pas empêché les techniciens et les chefs de délégations de se voir à plusieurs reprises, parfois avec les Engagés, parfois sans eux. Au centre des discussions, des tableaux budgétaires de plus en plus détaillés et une note de quelques pages qui fixait les contours d’une négociation toujours à venir. Un temps “de décantation” pour les uns, ou “d’information” pour les autres : il fallait que tout le monde partage les mêmes constats et parle le même langage. Chaque délégation faisait remonter ses amendements, on cherchait les convergences possibles. Cette période aura aussi permis aux délégations de se faire confiance au fur et à mesure que le contenu des documents devenait politiquement plus substantiel.
A la mi-juillet, les choses ont commencé à s’accélérer. Les sherpas ont été rejoints par les chefs de délégation et les négociateurs ont commencé à se voir tous les deux jours. D’après nos informations, 5 séances plénières ont été organisées en 10 jours dans les locaux du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Georges-Louis Bouchez pour le MR et Maxime Prévot pour les Engagés étaient présents aux réunions (alors que Paul Magnette n’y était pas, le PS Bruxellois ayant une tradition d’autonomie plus marquée). Mercredi soir, il était convenu que le processus était arrivé à son terme et qu’il appartenait au formateur de formaliser le cadre de la négociation de manière définitive. Ce jeudi matin vers 8h, David Leisterh a donc fait parvenir une nouvelle version de ce document de quelques pages. C’était la bonne : deux heures plus tard, le bureau du PS donnait son feu vert, estimant que le nouveau texte contenait “certains éléments permettant d’envisager la possibilité de développer un projet crédible qui réponde aux enjeux des Bruxelloises et des Bruxellois, permettant d’améliorer leur cadre de vie, de garantir l’accessibilité à un logement décent à un prix abordable ; de développer une stratégie de redéploiement économique qui soutienne la création d’emplois de qualité ; de soutenir les services publics ; et de renforcer la cohésion sociale, tout en garantissant un retour progressif à l’équilibre budgétaire qui n’impose pas d’austérité”.
Quelques minutes après, David Leisterh faisait savoir à l’agence Belga qu’il déposerait “dans les prochains jours, les textes de travail qui serviront de base aux négociations en vue de former un gouvernement qui aura pour mission de redresser significativement Bruxelles et d’améliorer la vie des Bruxellois”. Il s’agit désormais pour le libéral et son équipe de transformer un texte de 6 pages en un pré-accord de gouvernement qui en comptera plusieurs dizaines. Sur le fond des discussions, nos interlocuteurs MR et PS ne voulaient pas faire de commentaires, signe qu’on se donne une chance de réussir.
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Ce 1ᵉʳ août, c’est donc l’annonce formelle d’une entrée en négociation… qui ne se concrétisera pas tout de suite. Les négociateurs ont en effet convenu de s’accorder une pause, certains d’entre eux et une partie de leurs collaborateurs étaient d’ailleurs sur la route des vacances au moment de l’annonce. Tout le monde restera joignable dans les prochains jours, mais il n’y aura pas de nouvelle réunion plénière avant la mi-août. Le feu vert tant attendu est donc à départ différé. Comme ces courses de cyclisme sur piste où les concurrents restent immobiles très longtemps avant de se lancer dans la dernière ligne droite. Les négociateurs savent que la ligne d’arrivée n’est pas pour tout de suite. Il est probable que la première réunion de la mi-août liste d’ailleurs une série de thématiques (le budget, le métro) sur lesquelles on mettra en place des groupes de travail techniques avant d’en débattre entre politiques.
La suite se jouera donc dans 15 jours. Avec d’ici là l’espoir que le ciel s’éclaircisse aussi du côté des Bruxellois néerlandophones, où Elke Van den Brandt n’a toujours pas pu lancer de négociation formelle. “Je lui ai fait savoir ma disponibilité à aider au mieux pour que rapidement, nous puissions réunir tous les partis, francophones comme néerlandophones, autour de la table”, précisait ce jeudi matin David Leisterh, laissant entendre que la pression de Groen ne suffirait pas. Ans Perssoons pour Vooruit disait sur X “espérer une avancée rapide, car il est désormais temps de commencer à travailler.”
De fait, la négociatrice néerlandophone se retrouve sous pression faute d’avoir pu réunir une majorité numérique. Il lui reste deux semaines pour convaincre Benjamin Dalle et le CD&V de soutenir la prochaine majorité régionale ou trouver une autre solution. Difficile d’imaginer que les francophones se lancent seuls dans l’examen du document que David Leisterh mettra sur la table dans une dizaine de jours. La réussite (ou pas) dans l’intervalle des négociations en Flandre pourrait permettre de déloquer la situation côté néerlandophone. Dans le cas contraire, on devrait prolonger la pause estivale, au risque de se faire rattraper par les élections communales. L’idée qu’on ne puisse pas se le permettre et qu’il faille lancer les négociations, même avec une délégation néerlandophone incomplète (avec 3 partis au lieu de 4) commence à être évoquée.
La formation du gouvernement Leisterh-Van den Brandt-Laoueej est donc le résultat d’une négociation des petits pas. Si en Wallonie et à la Fédération Wallonie-Bruxelles, Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot ont pu avancer à grandes enjambées et conclure rapidement, si en Région flamande et au niveau fédéral, la N-VA de Bart De Wever assure un tempo raisonnablement soutenu, Bruxelles est condamné à mettre un pied l’un devant l’autre pour avancer sans précipitation. David Leisterh et Elke Van den Brandt sont dans la position du funambule : ils marchent sur un fil. Le francophone vient de franchir la première étape, la néerlandophone pas encore. Pour réussir la traversée, tous deux doivent porter le regard sur le point d’arrivée, sans oublier qu’en Région bruxelloise, les équilibres sont instables et que les tensions communautaires tout comme la campagne communale, peuvent toujours vous faire chuter et vous ramener au point de départ.
Fabrice Grosfilley