L’édito de Fabrice Grosfilley : les 5 défis de David Leisterh pour réussir la négociation bruxelloise

Les prochains jours seront cruciaux pour savoir si l’on peut (ou non) lancer les négociations en vue de former le prochain gouvernement de la Région bruxelloise. Les prochains jours, et peut-être même les prochaines heures. D’après nos informations une nouvelle réunion des « techniciens » PS et MR est programmée ce vendredi après-midi. Si elle est concluante, les deux partis pourront envisager de lancer des pourparlers officiels. Si elle ne l’est pas, la fenêtre d’opportunité risque de commencer à se refermer. Une fois la date du 21 juillet derrière nous, il ne restera plus que quelques jours pour débloquer la situation. Arrivés à la fin du mois, il est de coutume que les conseillers engagés dans ce type de processus fassent un break pendant la première quinzaine d’août. Et après le 15 août, si rien ne s’est clairement enclenché, ce sont les campagnes communales qui prendront le dessus. On approche de l’heure de vérité : il reste une dizaine de jours, pas plus, pour éviter un enlisement de longue durée. Dans le rôle du formateur, le libéral David Leisterh a 5 défis principaux à résoudre.

 

  1. Convaincre Ahmed Laaouej

C’est le point central. Fort de son alliance avec Les Engagés, le Mouvement Réformateur a absolument besoin d’un accord avec le Parti Socialiste. Sans les 16 députés socialistes, point de majorité. Le scénario alternatif qui consisterait à rappeler Défi et Ecolo n’est pas à l’ordre du jour. Depuis 3 semaines maintenant, le PS et le MR échangent des notes, mais il ne s’agit pas d’une négociation formelle, le PS a tenu à le souligner dans un communiqué. Ce travail préalable repose sur un échange de tableaux budgétaires et une note qui pourrait servir d’ossature à un accord de gouvernement. Amendements après amendements, on en est désormais à la troisième version de ce document. Le travail se fait entre conseillers mandatés par leurs partis respectifs (les « sherpas », qui font ensuite eux-mêmes rapport à leur chef de file). Côté PS, on demande un document suffisamment précis pour pouvoir se prononcer. Côté MR, on essaye de rester prudent et on ne se dévoile pas tout de suite. Les Engagés semblent rester en retrait à ce stade. C’est sur base de ce document que la fédération bruxelloise du PS dira si elle accepte, oui ou non, de démarrer des discussions officielles. L’enjeu pour les socialistes est d’obtenir un document qui reprendra suffisamment de points de leur propre programme et de pouvoir dire à l’opinion qu’ils ont « fait la différence »  et que la politique qu’on suivra à Bruxelles n’aura rien à voir avec celle qui est en train de se mettre en place en Région Wallonne. Pour le MR, il faut que le document comprenne suffisamment de marqueurs à droite pour que l’idée d’une rupture avec la politique antérieure soit lisible.  Pour l’instant, on y est pas encore mais les choses pourraient s’accélérer.

Au-delà des équilibres politiques, l’entrée en formation officielle sera aussi une question de confiance. Il faudra que les deux partenaires soient convaincus de la volonté de l’autre d’aller au bout. David Leisterh et Ahmed Laaouej, à ce stade, semblent disposer à travailler ensemble : les deux hommes s’estiment et se respectent. Ce qui ne veut pas dire qu’ils se fassent une confiance aveugle, mais c’est déjà ça. Les difficultés relationnelles sont plus importantes quand on élargit le cercle de négociation à d’autres partenaires. Lors d’une première réunion en présence de Georges-Louis Bouchez, Ahmed Laaouej a ainsi demandé qu’on intègre dans les tableaux budgétaire la perspective d’un transfert des chômeurs longue durée vers les CPAS (donc à charge des communes) comme cela semble envisagé au niveau fédéral. La demande a eu le don d’irriter le président du MR qui l’a fait savoir sur le mode « tu n’as pas à nous dire ce que l’on va faire au fédéral », le ton est monté et la température entre les négociateurs est ensuite devenue glaciale… Le genre d’incident (confirmé à plusieurs sources) qui explique que les discussions soient plus laborieuses que prévu.

 

  1. Définir les marges budgétaires

Si les deux délégations prennent bien soin d’explorer le paysage budgétaire c’est parce qu’elles savent que la législature à venir ne pourra pas permettre autant de largesses que celle qui vient d’achever. Même en échelonnant un retour à l’équilibre sur 10 ans, il faut compter sur un effort de l’ordre de 200 millions par an. Ces derniers jours, les conseillers ont donc modélisé ligne par ligne ce que peut représenter le programme d’investissement de la STIB (les futures lignes de tram), celui de la SLRB (la construction de logement), mais aussi l’impact des pensions de fonctionnaires, le montant des allocations familiales, les économies qu’on pourrait espérer avec la réforme Optiris (fusion ou collaboration entre les grands OIP – organismes d’intérêt publics bruxellois) ou encore la demande libérale de baisser les droits d’enregistrement. Retarder un projet d’un an ou deux, tenir compte du retard dans les permis de bâtir sont autant d’hypothèses qui ont été passées en revue. Il appartiendra ensuite aux négociateurs politiques de trancher.

Dans ce débat budgétaire, la prolongation du métro 3 fait figure d’éléphant dans la pièce. Socialistes et libéraux sont partisans de cette prolongation. L’intégrer dans les comptes régionaux plomberait l’exercice, l’idée de demander l’intervention du fédéral est en train de faire son chemin.

 

  1. Tourner la page de Good Move

Omniprésente dans la campagne des élections régionales, la question de la mobilité ne devrait pas poser de problème majeur entre MR et PS : les deux partis ont finalement rapproché leurs discours sur la question. Tout le monde est d’accord pour dire qu’on abandonnera l’appellation et qu’on renforcera la concertation pour les aménagements futurs. Faut-il aller plus loin et opérer un virage à 180 degrés ? Le MR n’exclut pas de faire démonter l’une ou l’autre piste cyclable, mais ce serait très symbolique. Les deux partis sont plutôt d’accord sur l’idée que les aménagements en mobilité devront se poursuivre, mais pas au même rythme, et avec des décisions au cas par cas. Une réflexion sur les mailles (ou « quartiers apaisés ») est également en cours. Rappelons par ailleurs que MR et PS ne feront pas un accord de gouvernement à deux. Ils devront convaincre aussi les engagés, Groen, Vooruit, l’Open VLD et sans doute le CD&V. Elke Van den Brandt et Ans Persoons ne s’inscriront pas dans un détricotage systématique de la politique de mobilité précédente.

Il faudra donc un compromis. Le Mouvement Réformateur semble avoir défini un objectif de communication dans ce dossier : priver Elke Van den Brandt du portefeuille de la mobilité. Ce serait une victoire en soi.  Reste à voir quel parti accepterait de prendre la mobilité. Le parti socialiste semble plus intéressé par des matières sociales comme le logement ou la santé, et Ahmed Laaouej lui-même pourrait avoir intérêt à opter pour le Budget, une position qui lui permettrait d’assoir une position de numéro 2 gouvernemental (il a longtemps été le Monsieur Fiscalité du PS national).

 

  1. Convaincre Benjamin Dalle

Théoriquement ce n’est pas l’affaire de David Leisterh, mais celle d’Elke Van den Brandt. Chaque groupe linguistique réunit une majorité dans son collège et on négocie tout ensemble ensuite. Mais le président de la régionale libérale ne peut pas se désintéresser de la question. De même que le PS est (à ce stade) incontournable côté francophone, le CD&V est (à ce stade aussi) en position de force du coté néerlandophone. Groen, Vooruit et l’Open VLD ne totalisent que 9 sièges, il en manque un. Si on veut se passer de Team Ahidar (3 sièges) et de la NVA (2 sièges) il faut donc convaincre les sociaux-chrétiens flamands de monter dans l’attelage. A ce stade Benjamin Dalle refuse de le faire, arguant du fait qu’il ne fait pas parti des gagnants de l’élection et que s’il doit monter dans une majorité c’est pour y peser. Pas question d’être une roue de secours qu’on oublie une fois l’investiture passée. C’est donc le blocage, et des négociations là aussi au point mort. Benjamin Dalle est d’autant moins enclin à se laisser convaincre qu’Elke Van den Brandt ne peut à ce stade lui proposer qu’un poste de commissaire du gouvernement (le nombre de membres néerlandophones du gouvernement bruxellois est fixé à deux ministres et un secrétaire d’état, soit 3 postes à répartir entre 4 partis). Or un commissaire de gouvernement n’a pas de pouvoir de délibération au sein de l’exécutif. Benjamin Dalle a donc refusé la proposition.

Pour lever ce blocage, il pourrait être envisageable d’augmenter le nombre de secrétaires d’Etat (l’article 60 de la loi spéciale l’autorise, via une majorité dans chacun des deux collèges)… mais cela romprait le délicat équilibre entre francophones et néerlandophones, et cela impliquerait de créer un cabinet supplémentaire… ce que personne (même au Cd&V) n’envisage dans un contexte de tension budgétaire… « Si on devait le faire, ce serait en tout cas sur le budget de la VGC », précise quand même une source francophone. Pour l’instant, le blocage persiste, il est probable qu’il faille attendre que les choses se décantent au fédéral et au niveau flamand pour avoir une vision plus claire des intentions du CD&V. Le prix à payer pour obtenir le ralliement de Benjamin Dalle pourrait être de favoriser au maximum les synergies entre la VGC et le niveau régional flamand (ministre des affaires bruxelloises dans le gouvernement flamand sortant, il pourrait conserver cette compétence) … sans que l’on sache si cela pourrait aller jusqu’à exiger le remplacement de l’Open VLD par la N-VA pour avoir des majorités les plus cohérentes possibles.

 

  1. Maitriser le risque communal

Si vous déjà lu cet article jusqu’ici, c’est que la chose politique vous intéresse. Et que vous savez que le Bruxellois revote en octobre pour les élections communales. Si personne n’en parle tout le monde parmi les négociateurs a l’équation bien en tête. Il ne faut pas s’exposer ou se déforcer à quelques semaines d’une échéance majeure. L’argument peut fonctionner dans les deux sens. Pour certains observateurs, MR et PS n’auraient pas intérêt à faire trop de compromis avant le scrutin communal. Les libéraux auraient tout à gagner à faire campagne sur Good Move et à profiter de l’effet 9 juin qui les a placés en haut du podium. Le PS serait tétanisé à l’idée de faire un accord qui alimenterait le procès en gauche molle que lui tient le PTB.  A l’inverse, on pourrait estimer que MR et PS ont de bonnes raisons de montrer qu’ils sont des partis responsables, capables de prendre leurs responsabilités et d’assumer leur participation au pouvoir. A conditions bien sûr de pouvoir se présenter avec un accord qui contient les trophées permettant de nourrir un discours de campagne… c’est pour cela que le temps presse.

On ajoutera un élément : en Région bruxelloise, beaucoup de leviers (notamment en terme de permis par exemple) dépendent des communes. Pour peser réellement sur le quotidien des Bruxellois, la future majorité régionale a tout intérêt à être dupliquée au niveau des communes. C’est ce qu’avait réussi Groen en prenant le portefeuille de la mobilité partout où c’était possible. C’est aussi comme cela qu’il faut lire les annonces de liste commune entre MR et Engagés. Si MR et PS veulent se préparer à gouverner ensemble à la région, ils vont devoir aussi l’envisager dans un grand nombre de communes. Ils pourraient aussi préférer attendre le scrutin du 13 octobre pour voir comment les choses tournent. Avec le risque, pour l’un ou l’autre, de perdre la position de force qui est la leur aujourd’hui.