L’édito de Fabrice Grosfilley : optimisme tempéré

Les choses sont-elles en train de se décrisper au sein des négociateurs du prochain gouvernement de la Région bruxelloise ? Pouvons-nous raisonnablement penser que ces négociateurs sont désormais en capacité d’aboutir à un accord d’ici quelques semaines ? La réponse est : oui, peut-être. Un oui peut-être qui induit donc une dose d’espoir, assortie d’une grande prudence.

Première raison d’espérer, un frémissement dans le collège néerlandophone. Depuis le mois de juin, la mise sur pied d’une majorité bute sur une équation insoluble. La majorité politiquement la plus viable doit associer quatre partis, alors qu’il n’y a que trois postes au gouvernement pour les néerlandophones : deux ministres et un secrétaire d’État. Cette répartition est fixée par la loi spéciale qui régit les institutions bruxelloises, même si, en théorie, rien n’empêcherait d’ajouter un deuxième secrétaire d’État, mais il faudrait le voter et ce n’est pas dans l’air du temps d’ajouter des postes ministériels avec les cabinets qui vont avec.

Vous pourriez penser que c’est un détail. Ce n’en est pas un. Le principe d’un gouvernement est de fonctionner de manière collégiale : les décisions y sont prises d’un commun accord. Soit on est à la table du gouvernement et on a son mot à dire sur toutes les décisions, soit on n’y est pas et on doit accepter ce que ce gouvernement décide sans pouvoir intervenir directement. Être commissaire de gouvernement, c’est être rattaché à un autre ministre, ce qui signifie que vous ne siégez pas au gouvernement. C’est un strapontin qui vous permet de siéger dans l’antichambre, mais pas d’être réellement à la table du gouvernement. Vous perdez en quelque sorte votre droit de veto. Tant que ce problème du quatrième poste n’était pas résolu, on tournait en rond. Faute de certitudes sur la piste des quatre partis, celle d’une majorité à trois avec Fouad Ahidar est restée sur la table. On n’a donc pas avancé.

Hier, l’Open VLD a confirmé qu’il accepterait ce poste de commissaire au gouvernement, ce fameux strapontin. L’idée est d’être commissaire en charge du budget, rattaché à un ministre du MR. Cela permettrait à l’Open VLD de rester dans la même famille politique. En échange de ce sacrifice, l’Open VLD obtiendrait la vice-présidence du Parlement bruxellois. Cette piste est en réalité sur la table depuis très longtemps : dès le 2 septembre, soit il y a deux mois et demi, Sven Gatz l’avait évoquée dans l’émission Bonjour Bruxelles, estimant que ce poste de commissaire était une solution envisageable et n’excluant pas que ce soit son parti qui récupère ce strapontin. Hier, l’Open VLD a franchi une étape supplémentaire en acceptant formellement ce scénario à la table des négociations.

C’est pour la partie espoir. Mais il y a aussi la partie prudence. D’abord, ce n’est pas la première fois qu’on semble proche d’un accord, mais chaque fois, cet accord nous échappe. Ensuite, il reste un petit problème de genre à résoudre. Dans une majorité composée de Groen, de la N-VA, de Vooruit et de l’Open VLD côté néerlandophone, si l’Open VLD sort du gouvernement, il reste trois postes de ministres à attribuer. Avec trois candidates : Elke Van den Brandt pour Groen, Cieltje Van Achter pour la N-VA et Ans Persoons pour Vooruit. Or, cela ne convient pas non plus : il faut au moins un homme dans le collège néerlandophone. Le problème n’est donc pas entièrement résolu.

Ajoutons cet autre bémol, d’ordre programmatique. Le “sacrifice” de l’Open VLD semble être lié à la présence d’un partenaire en particulier, la N-VA. Exit la piste CD&V. Cela n’est pas forcément du goût de Groen, de Vooruit ou même du PS. Certains partenaires voient même dans la concession des libéraux flamands un coup de force pour imposer la présence des nationalistes flamands. Les débats au fond s’annoncent sans doute plus compliqués qu’on ne le pense… surtout si la N-VA tente d’imposer des thèmes communautaires ou la fusion des zones de police dans le programme du gouvernement.

Autre signal de décrispation, hier soir, sur les antennes de la RTBF, Ahmed Laaouej a envoyé un signal très clair à ses partenaires de négociations. Oui, il est pleinement engagé dans les discussions avec le MR et Les Engagés. Non, il n’envisage pas de faire appel au PTB au niveau régional. “Le PTB ne s’est pas manifesté pour entrer dans une majorité régionale. C’est de la politique-fiction. En juillet, je me suis engagé avec le MR et Les Engagés et je m’y tiens. Je ne change pas mon fusil d’épaule”, a-t-il déclaré à “Jeudi en prime”.

Honnêtement, peu d’observateurs croyaient à l’hypothèse d’une majorité alternative à la région bruxelloise. D’abord parce qu’elle était numériquement juste et risquait d’être instable. Ensuite, il aurait fallu s’accorder sur un programme de gouvernement : si c’est possible pour le PS de travailler avec le PTB au niveau communal, cela semble beaucoup plus difficile au niveau régional. Et puis, il aurait aussi fallu qu’Écolo marque son accord. Cela faisait beaucoup de conditions. Ahmed Laaouej ramène donc ces spéculations au rang de simple fantasme, ce qui devrait contribuer à une forme de désescalade entre le PS et le MR.

Est-ce que cela signifie que d’ici trois ou quatre semaines, nous aurons un gouvernement régional ? C’est le délai donné hier dans nos studios par Georges-Louis Bouchez. Un délai qui peut paraître optimiste, mais qui n’est pas impossible. Si la situation se débloque effectivement côté néerlandophone, donnant ainsi raison à David Leisterh lorsqu’il a évoqué une forme d’ultimatum,  il sera possible de réunir les sept partis – trois francophones et quatre néerlandophones – autour de la table. Comme on sait que côté francophone, David Leisterh, Ahmed Laaouej et Christophe De Beukelaer ont déjà commencé à parler budget, les choses pourraient aller relativement vite. Avec une idée en tête : pouvoir voter un budget avant les vacances de Noël.

Cette question du budget est cruciale pour certains négociateurs. Il s’agit d’amener la Région bruxelloise sur une trajectoire de désendettement. Cela passera par des choix d’économies. Il faudra aussi se mettre d’accord sur une politique de mobilité, ce qui ne sera pas le plus facile. Bref, il reste encore quelques obstacles à franchir. Mais ce matin, le vent est à l’optimisme, même s’il est très mesuré. Cela faisait très longtemps que ce n’était plus le cas.

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15 novembre 2024 - 11h30
Modifié le 15 novembre 2024 - 12h08