L’édito de Fabrice Grosfilley : l’habit ne fait pas le moine
Dans son édito de ce mercredi 05 février 2025, Fabrice Grosfilley revient sur Bart De Wever, nouveau premier ministre.
Costume trois pièces et cravate. Costume bleu ciel et cravate rose lundi, jour de la prestation de serment. Costume bleu foncé et cravate bleu ciel ce mardi pour la lecture de son discours de politique générale. Voici le look adopté par Bart De Wever pour ses deux premières journées dans le rôle de Premier ministre d’un gouvernement fédéral qu’il aura passé plus de 20 ans à combattre. Au-delà du look et de ce gilet sous le veston, qui ajoute une forme de classicisme et de sophistication (on porte habituellement un costume trois pièces pour les grandes occasions, comme les mariages), avec ce côté bourgeois qui peut rapidement virer au guindé ou au ringard… ou peut-être volontairement et ironiquement guindé et ringard, allez savoir avec Bart De Wever ?
Au-delà de ces questions stylistiques, donc, que la police du look se chargera de trancher, la vraie question qui nous occupe est la suivante : est-ce, symboliquement, un véritable costume de Premier ministre ? Bart De Wever se met-il dans le moule ou bien le fait de s’asseoir dans ce fauteuil, de travailler au 16 rue de la Loi, de monter à la tribune de la Chambre, de devoir accompagner le roi Philippe dans ses déplacements à l’étranger ne changerait-il rien pour lui ?
En lisant mes confrères éditorialistes, en entendant les réactions des hommes et des femmes politiques, il y a, à ce stade, deux écoles.
La première pense que oui, Bart De Wever va s’assagir et se belgiciser. La seconde estime au contraire qu’il n’en sera rien et qu’il dynamitera, ou à tout le moins affaiblira, le pouvoir fédéral de l’intérieur. Nationaliste flamand un jour, nationaliste flamand toujours.
À l’appui de la première thèse, on peut citer une kyrielle de Premiers ministres qui, en début de carrière, tenaient des propos particulièrement régionalistes et militaient pour une plus grande autonomie de la Flandre, mais qui, une fois arrivés au sommet du pouvoir, n’ont pas eu de difficulté à adoucir leur discours. Réalisant les avantages d’une Belgique unie, considérant Bruxelles comme un trait d’union et un atout – et non plus comme la ville qui impose son diktat aux Flamands –, certains sont même allés jusqu’à chanter les mérites de la Wallonie et à caresser les francophones dans le sens du poil. C’est Wilfried Martens qui organisait des marches sur Bruxelles dans sa jeunesse, mais participa ensuite aux réformes de l’État, pacifiant temporairement la question linguistique. C’est Guy Verhofstadt, passé de “Baby Thatcher” aux idées radicales à grand défenseur de l’Union européenne, après un passage par la case homme d’État. C’est Alexander De Croo, qui fit tomber un gouvernement pour obtenir la scission de l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde, mais finit comme bête noire de la N-VA.
En endossant le costume de Premier ministre, tous ces prédécesseurs de Bart De Wever se sont rapprochés du Palais, des milieux d’affaires et des grandes entreprises. Tous ont appris à défendre la Belgique dans son ensemble, notamment sur la scène internationale. Leur trajectoire politique pourrait se résumer ainsi : “Le 16, on y entre en étant flamingant, on en ressort en étant belgicain.”
Mais dans le cas de Bart De Wever, rien ne dit que cette transmutation aura lieu. Les partisans de la seconde thèse en doutent d’ailleurs déjà. Certes, l’homme sait se montrer rond et affable quand c’est nécessaire. Il parle un français particulièrement précis, avec un vocabulaire soigné. Il a de l’humour et est capable d’autodérision, autant d’armes de séduction massive qu’il pourra mettre au service de son gouvernement. Mais Bart De Wever est et restera un partisan de l’autonomie flamande.
S’il a patienté 20 ans avant de pouvoir prendre la rue de la Loi, il a aussi passé 20 ans à observer ce mécanisme de belgicisation des premiers ministres qui l’ont précédé. Il connaît ce piège, et il fera tout pour l’éviter. Ceux qui pensent que la N-VA est soluble dans le fédéralisme doivent se souvenir de la coalition suédoise, lorsque le parti n’avait pas hésité à quitter le gouvernement quelques mois avant son terme pour s’opposer à un accord international sur la migration.
Depuis 20 ans, Bart De Wever se montre critique vis-à-vis du fonctionnement des institutions belges. Il y a toujours eu, dans les positionnements de la N-VA, de l’euroscepticisme, du climatoscepticisme, une défiance vis-à-vis du monde culturel, un rejet des politiques sociales et une répugnance face à l’immigration. Rien de tout cela ne s’est jamais démenti. Croire que tout cela appartiendrait par miracle au passé simplement parce que Bart De Wever est entré au 16 rue de la Loi, c’est sans doute faire preuve d’un peu d’aveuglement… ou d’une grande naïveté.
Fabrice Grosfilley