L’édito de Fabrice Grosfilley : le vote est obligatoire (ou pas)

C’est une nouvelle qui va concerner énormément de monde. À commencer par des jeunes gens et des jeunes filles qui ne intéressent pas forcément à la politique. La Cour constitutionnelle a décidé dans un arrêt publié jeudi après-midi que les jeunes âgés de 16 et 17 ans seront bien obligés de voter pour les élections européennes le 9 juin prochain. Initialement le législateur avait envisagé que cette ouverture du vote à des électeurs mineurs ne soit pas obligatoire. Il s’agissait d’inciter les jeunes à s’intéresser à la politique en général et à la politique européenne en particulier, pas de les y contraindre.

Très bien, mais en Belgique le vote est obligatoire. Tous les citoyens doivent être traités de la même manière, il n’y a pas de raison d’obliger les adultes à voter, et de dire que pour les jeunes, c’est finalement à la carte. Le devoir citoyen est  obligatoire pour tout le monde… ou pour personne, a tranché la Cour constitutionnelle. Pas de différence de traitement, ce serait anticonstitutionnel. Pour la majorité Vivaldi, qui a voulu l’ouverture de ce droit de vote à partir de 16 ans, le désaveu est cinglant. Il ne sera pas sans conséquence.

D’un point de vue de l’organisation il va donc falloir envoyer une convocation à tous les jeunes belges âgés de 16 et 17 ans qui vont donc recevoir une convocation électorale. On précisera que cette convocation concernent les jeunes qui ont la nationalité belge. Les jeunes ressortissants européens qui résident en Belgique peuvent également s’inscrire. Pour eux c’est toujours sur base volontaire (les étrangers extra-européens ne sont pas concernés). Ils ont jusqu’au 31 mars pour s’inscrire auprès de l’administration communale de leur commune de résidence.
“Cette nouvelle modification des règles à seulement dix jours de la date limite d’inscription est regrettable, et j’espère qu’elle ne découragera pas les jeunes Européens de Belgique de participer à leur première élection”, a réagi le commissaire du gouvernement bruxellois à l’Europe et aux Relations internationales, Alain Hutchinson auprès de l’agence Belga.

Les communes qui organisent le scrutin vont devoir se préparer à un afflux d’électeurs qu’elles n’avaient pas forcement anticipé. Tant que le vote n’était pas obligatoire on imaginait que cela concernerait quelques dizaine de milliers d’électeurs à l’échelle du royaume. Avec le vote obligatoire on change d’échelle. Il faudra aussi s’assurer que ces jeunes ne votent “que” pour le parlement européen (à la différence des autres électeurs).  Et puis il y a la question des sanctions. Un électeur majeur qui ne vote pas s’expose à une amende dans un premier temps, puis (paradoxalement) à une privation du droit de vote en cas de récidive . Va-t-on mettre des amendes à tous les jeunes qui n’iront pas voter dans 3 mois ? Dès hier soir, la ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice précisaient que ce qui est vrai pour les majeurs ne l’est pas forcément pour les mineurs. Le ministre de la Justice aura donc une discussion avec le collège de procureurs généraux pour voir quelle type de peine pourraient être appliquées à des mineurs. Voici donc un vote qui était censé être facultatif, qui devient obligatoire mais pour lequel a on pas encore prévu la sanction en cas de non respect de cette obligation, nous ne sommes pas au pays de Magritte pour rien.

Cette décision, on pourra la juger contraignante, absurde, salutaire au choix. Contraignante pour des jeunes qui n’étaient pas demandeurs. Absurde si on considère qu’à 16 ans il n’est pas évident de se faire une idée de ce qu’on souhaite en matière de  politique européenne (nos jeunes ont très précisément 80 jours pour se faire une idée), salutaire si on estime au contraire que les jeunes doivent prendre en main leur futur, et que commencer par le niveau européen est un moyen de souligner l’importance de ce niveau de pouvoir qui a tendance à ne pas être très présent dans le débat médiatique. Le fait que plusieurs centaines de milliers d’électeurs se rajoutent modifie substantiellement la portée de cette élection. Le vote des jeunes est désormais en mesure de faire basculer l’un ou l’autre siège. On sait que les jeunes électeurs ont plutôt tendance a bouder les partis centristes, ils votent plutôt plus à droite ou plus à gauche que leurs ainés. Ils sont aussi plus sensibles à des thématiques qui les impactent davantage : le réchauffement climatique, l’éducation, l’accès à un premier emploi, les discriminations, l’angoisse de la guerre par exemple. On ne doit pas exclure non plus un vote de rejet : vous m’obligez à voter, je ne voterai pas pour vous.

Mine de rien, cette décision de la cour nous oblige aussi à questionner la légitimé du vote obligatoire. Peu de pays en Europe appliquent ce principe. La Région flamande a déjà décidé que le vote aux élections communales ne serait plus obligatoire. En octobre 2024, seuls les Flamands qui le désirent iront voter pour désigner leurs bourgmestres et échevins, alors que pour les Wallons et les Bruxellois le vote aux élections communales reste bien une obligation. Il n’est donc pas interdit de rouvrir ce débat, il ne manque pas d’arguments pour maintenir l’obligation de vote, mais rien n’est plus contreproductif que l’argument d’autorité.

À ce stade, et sous réserve de la suite de ce feuilleton, on tirera de ce dossier une première conclusion, une sorte de morale temporaire de l’histoire : le manque de rigueur juridique de ceux qui nous gouvernent. Il semblait quand même assez évident que permettre un vote non obligatoire pour les uns et obligatoire pour les autres contrevenait au principe d’égalité entre citoyen. Sur ce dossier, comme sur l’obligation d’accueil des demandeurs d’asile par exemple, la majorité Vivaldi s’assied sur des principaux du droit qui paraissent quand même élémentaires. Il ne s’agit pas de tomber dans un gouvernement des juges. Mais il serait sain que ceux qui nous gouvernent ne considèrent pas que la constitution et les traités internationaux sont des paillassons sur lesquels on peut s’essuyer les pieds. À moins que ces apprentis sorciers n’aient voulu renvoyer la responsabilité des mauvaises nouvelles à la Cour constitutionnelle. Ce serait assez machiavélique… et assez indigne aussi.