L’édito de Fabrice Grosfilley : le pot de confiture électoral
Invalidées. C’est le terme qui s’impose aujourd’hui lorsqu’on évoque le résultat des élections communales de Saint-Josse-ten-Noode. Invalidées, car des irrégularités ont été constatées dans la gestion des procurations. Invalidées, car le nombre de procurations douteuses est suffisamment important pour que cela ait pu avoir un impact sur la répartition des sièges. En jeu, 350 votes par procuration. Selon le collège juridictionnel, plus d’une centaine d’entre elles n’auraient pas dû être prises en compte : elles n’étaient pas signées ou avaient été signées par le bourgmestre le jour même de l’élection, alors qu’elles auraient dû être déposées au plus tard la veille. De plus, il y a plus de 200 autres procurations qui n’étaient pas accompagnées du justificatif requis. Par exemple, un vote par procuration motivé par un voyage à l’étranger doit être accompagné d’une copie du billet d’avion. Au total, une procuration sur deux pose question.
Avec 350 procurations problématiques, l’impact est évident. Team Fouad Ahidar a manqué un siège de seulement 53 voix. De même, Ecolo ou le PS auraient pu obtenir un siège supplémentaire si ces procurations n’avaient pas été comptabilisées. Hier après-midi, Emir Kir proclamait son innocence et annonçait qu’il allait examiner les voies de recours. Mais l’affaire ternit son image et celle du scrutin. Vous connaissez l’adage : “Qui vole un œuf vole un bœuf.” Si certaines procurations s’avèrent réellement fictives et manipulées pour fausser l’élection, c’est la confiance dans l’ensemble du scrutin qui s’en trouverait érodée.
Dans la plainte déposée par le PS, Ecolo et Team Fouad Ahidar devant le collège juridictionnel, d’autres irrégularités étaient dénoncées : la présence de personnel accompagnant des électeurs dans l’isoloir – ce qui n’est autorisé qu’au président du bureau –, des actes d’intimidation, ou encore l’expulsion des témoins de parti des bureaux de vote lorsqu’ils signalaient des irrégularités.
Bien sûr, il faut rappeler que Saint-Josse est un village. Les liens d’amitié ou d’allégeance y sont forts. Emir Kir, par sa personnalité, et son exceptionnelle popularité peut effectivement entretenir une relation privilégiée avec de nombreux administrés. Tout le monde ne parle pas nécessairement français ou néerlandais, et l’on peut légitimement demander à une personne de confiance de remplir un formulaire à sa place sans qu’il y ait forcément malice. On ajoutera un climat délétère qui encourage les excès de langage et le recours à la voie judiciaire dans une série de contentieux qui opposent le bourgmestre et ses détracteurs.
L’écart observé au soir du 13 octobre, il faut le rappeler était conséquent : près de 5 000 voix pour la liste du bourgmestre, contre moins de 2 000 pour le PS, arrivé en deuxième position. Cela fait 3 000 voix d’écart. La liste du bourgmestre avait obtenu 17 sièges sur 29, soit deux de plus que la majorité absolue, il est probable qu’en cas de nouveau scrutin Emir Kir ne soit pas réellement mis en danger. Ces résultats doivent-ils désormais être pris avec des pincettes ? Faudra-t-il revoter à Saint-Josse ? Cela dépendra des recours qu’Emir Kir pourrait introduire auprès du Conseil d’État. En 2000, le collège juridictionnel avait invalidé les résultats des élections à Molenbeek-Saint-Jean, mais le Conseil d’État avait ensuite infirmé cette décision. Ce scénario reste possible.
Si l’invalidation est confirmée, il faudra revoter, probablement courant mars. Dans ce cas, les autorités devront redoubler de vigilance. Il y a beaucoup de suspicion autour de l’organisation des scrutins dans cette commune. Du bureau de vote à la transmission des résultats, tout doit être rigoureusement organisé, public et transparent. Quand le regard des citoyens ne suffit plus, il faut avoir le courage de dépêcher des observateurs. C’est dans l’intérêt de tous, y compris celui d’Emir Kir, qu’aucun doute ne puisse subsister. On devrait d’ailleurs s’interroger sur le pouvoir concédé aux administrations communales dans l’organisation de ces élections communales. Quand le pot de confiture est à porté de bras, et qu’on semble y avoir touché, il vaut mieux rehausser les mesures d’un cran.
Fabrice Grosfilley