L’édito de Fabrice Grosfilley : Le logiciel néerlandophone
Essayons de ne pas être trop manichéen. Et commençons peut-être par chercher ce qui sera positif dans l’accord de gouvernement Arizona d’un point de vue strictement bruxellois, le prisme avec lequel nous travaillons à BX1. 48 heures après la conclusion de l’accord, et sous réserve des détails qui seront donnés ultérieurement, voici un début d’analyse.
Points positifs :
D’abord, l’attention portée à la sécurité. Avec une révision des normes de financement des zones de police, un plan Canal qui sera relancé et dont on peut espérer qu’il se traduira par un renforcement des effectifs dans cette zone-là. Ensuite, une attention soutenue à la lutte contre le trafic de drogue, dont on sait qu’il est très présent chez nous. Toujours positif : le renforcement annoncé de la sécurité dans les gares et les aéroports, en particulier à la gare du Midi, dont l’accès pourrait à l’avenir être réservé aux détenteurs d’un titre de transport. Ou encore la promesse de s’attaquer à l’arriéré judiciaire. L’ensemble de ces mesures indique que le problème de la sécurité sera considéré comme prioritaire.
Mesures discutables :
Ensuite, il y a les mesures que l’on qualifiera de discutables, parce qu’elles peuvent, selon la sensibilité de chacun, paraître défendables au niveau national mais entraîner des répercussions négatives à Bruxelles. Dans cette catégorie, on classera les mesures contre la migration et la baisse de la capacité d’accueil pour les demandeurs d’asile. En théorie le jugement que l’on portera sur ces annonces dépend surtout de la place qu’on occupe sur un axe droite-gauche et de la considération qu’on peut éprouver ou pas vis-à-vis de l’immigration. Dans la pratique, on pressent que ces mesures auront pour effet de laisser de nombreux demandeurs d’asile à la rue. Comme il n’y aura plus de plan de répartition national, ces demandeurs se retrouveront évidemment en Région bruxelloise. La probabilité d’une nouvelle crise de l’accueil qui serait à charge de la seule Région bruxelloise avec un pouvoir fédéral qui fermerait les yeux est réelle.
Inquiétante aussi, d’un point de vue bruxellois, la limitation des allocations de chômage à deux ans. Les bénéficiaires de ces allocations perdues iront grossir les rangs de ceux qui font la file au CPAS. On estime que cela représente, en Région bruxelloise, environ 35 000 personnes.
Mesures problématiques :
Enfin, troisième groupe de mesures : celles qui semblent avoir été décidées sans considération pour les Bruxellois et les Bruxelloises. La fusion des zones de police en fait partie. Elle est dénoncée par tous les bourgmestres de la capitale ainsi que par les chefs de corps. Les plus défavorables estiment qu’on se prépare à sacrifier la police de proximité et qu’il s’agit d’un désinvestissement déguisé. Les moins négatifs considèrent surtout que ce n’est pas le moment de se lancer dans une réforme qui demandera beaucoup d’énergie, alors qu’il y a énormément de travail à faire sur le terrain.
Dans cette catégorie, on retrouve aussi la baisse annoncée du budget pour ce qu’on appelle la politique scientifique et culturelle, dont dépendent les grands musées, Bozar ou encore l’Institut royal de météorologie, par exemple. Et surtout, le changement de vision du fonds Beliris, qui devrait lui aussi être raboté. Il est précisé qu’il servira désormais principalement à la mobilité, qu’il sera piloté par le fédéral et devra financer des projets ayant un intérêt pour la Flandre et la Wallonie. Plus question de rénover des logements sociaux ou des espaces verts.
Un changement de logiciel :
Ce qui saute aux yeux à la lecture de cet accord de gouvernement, c’est le glissement évident vers une logique où Bruxelles n’est plus considérée comme une région autonome, traitée à égalité avec la Flandre et la Wallonie. Dans le dossier Beliris ou pour la fusion des zones de police, c’est très clair : c’est le modèle d’une Belgique à « 2 + 2 » qui est mis en place. Deux grandes communautés, la Flandre et la Wallonie, et deux espaces de moindre importance qui sont cogérés : la Région bruxelloise et la Région germanophone. Ce débat entre une Belgique à quatre régions ou une Belgique à « 2 + 2 » oppose depuis longtemps francophones et néerlandophones. Dans la négociation Arizona, c’est donc le logiciel néerlandophone qui s’est clairement imposé. Et on devine que, dans les réformes à venir, que va désormais préparer Bart De Wever en tant que Premier ministre et ministre des Réformes institutionnelles, ce logiciel néerlandophone va tourner à plein régime.
Demain, pour la majorité régionale bruxelloise :
On retrouve également ce logiciel néerlandophone dans les négociations en cours pour tenter de former une majorité à Bruxelles. Contrairement à ce que certains prévoyaient, la conclusion d’un accord au fédéral ne simplifiera pas forcément les choses à la Région bruxelloise. Si le blocage persiste – ce qui est probable –, trouver une double majorité risque de relever de la mission impossible. Il faudra peut-être renoncer à une majorité en bonne et due forme, c’est-à-dire à la triple majorité, qui permet d’être à la fois majoritaire dans le collège francophone, dans le collège néerlandophone et, bien sûr, dans l’ensemble du Parlement régional.
Si ce cas de figure se confirme, il faudra se résoudre à installer un gouvernement avec une majorité simple, au départ donc d’un seul collège linguistique. C’est la procédure qu’a tenté de lancer le Parti socialiste la semaine dernière. Là, un constat s’impose : atteindre la majorité simple au départ d’une majorité francophone est relativement aisé. Prétendre trouver une majorité simple au départ d’une majorité néerlandophone est beaucoup plus ardu. C’est une question de mathématiques et de logique démocratique : 72 élus d’un coté, 17 de l’autre.
Les quatre partis néerlandophones ont beau avoir bétonné leur accord, ils ne pèsent pas assez lourd pour gouverner Bruxelles. Au Parlement bruxellois, le logiciel néerlandophone trouvera forcément ses limites. Tant que les institutions n’auront pas été réformées, une majorité francophone est indispensable pour gouverner Bruxelles. Une majorité néerlandophone est préférable, mais il n’est pas exclu de s’en passer.
►L’Edito de Fabrice Grosfilley