L’édito de Fabrice Grosfilley : La marche arrière

Ce n’est même plus du surplace, c’est une marche arrière. Des négociations bruxelloises, on a beaucoup dit ces dernières semaines qu’elles étaient immobiles, bloquées, paralysées. Que plus rien n’avançait et qu’on ne voyait pas comment on pourrait s’en sortir. Ce jeudi matin, il faut aller un cran plus loin : ce qui avait déjà mis tant de temps à être tissé l’été dernier est en train de se détricoter. Non seulement on n’avance pas, mais on recule.

Je m’explique. Hier, en conférence des présidents du parlement bruxellois, plusieurs partis politiques ont finalement obtenu l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition d’ordonnance visant à mieux lutter contre les loyers abusifs. Concrètement, il s’agit d’une proposition qui permettra de saisir un juge de paix lorsqu’un loyer est en décalage avec la grille des loyers indicative et que ce décalage n’est pas justifié. Il faudra néanmoins, au préalable, que la commission paritaire, où siègent des représentants des locataires et des propriétaires, constate ce décalage injustifié.

En soi, ce n’est pas révolutionnaire : le dispositif faisait déjà partie de ce que prévoyait le précédent accord de gouvernement. Le texte attendait donc sagement au frigo. Mais hier, le PS et Écolo ont obtenu de le réanimer, et il va désormais poursuivre son chemin parlementaire. Fait rarissime, il a fallu que le bureau du parlement passe au vote, alors que, d’habitude, les décisions y sont prises au consensus. Il faut dire que le MR ne veut pas entendre parler de cette ordonnance, perçue par une partie des propriétaires comme un blocage des loyers. Les libéraux en avaient fait une ligne rouge à ne pas franchir. Il y a donc eu un bras de fer entre la gauche et la droite, et c’est la gauche qui a gagné. Le texte sera étudié en séance plénière le 31 janvier.

Derrière ce bras de fer autour d’un dossier emblématique, on devine un raidissement des relations entre le Mouvement Réformateur de David Leisterh et le Parti socialiste d’Ahmed Laaouej. L’encadrement des loyers, c’est typiquement le genre de dossier sur lequel leur formation politique aurait dû s’entendre dans le cadre d’un accord de gouvernement. Mais puisqu’il n’y a pas d’accord, et même pas de négociations, le PS, aidé ici par Écolo, a décidé de faire jouer la logique parlementaire : il y a une majorité  arithmétique pour ce projet, qu’on la laisse avancer. C’est dans l’intérêt des locataires, et ce sera un beau symbole pour les partis de gauche.

Au-delà du dossier particulier, il y a là un message très clair envoyé par les socialistes à leurs supposés partenaires de coalition : puisque vous ne voulez pas relancer les négociations dans une formule qui nous convient – c’est-à-dire sans la N-VA – nous sommes en capacité de trouver des majorités au parlement régional. Ahmed Laaouej avait d’ailleurs annoncé lors de son discours de dimanche dernier que son parti « prendrait des initiatives au parlement, dans le respect des lois qui organisent nos institutions. » On a maintenant la traduction concrète de ces propos.  Vu par les socialistes, c’est une démonstration de force et un avertissement. Vu par les libéraux, c’est une trahison, un coup de canif, voire un casus belli.

Passer par des majorités de circonstance n’est pas sans danger. Si le PS a beaucoup à gagner sur les loyers, il aurait aussi beaucoup à perdre sur d’autres dossiers. Par exemple, sur celui de l’abattage rituel, où il pourrait être mis en minorité. Hier, le même parlement bruxellois a également déclaré recevable une proposition d’ordonnance de Groen visant à interdire l’abattage sans étourdissement préalable.  Pour le PS ce sera l’effet boomerang. Et surtout, toutes ces propositions ne s’attaquent pour l’instant pas au nœud du problème, qui reste la maîtrise du dérapage budgétaire. Ce débat-là est inévitable. Il reviendra forcément, puisque les actuels douzièmes provisoires ne sont prévus que jusqu’au mois de mars.

À ce stade, on est donc passé de l’enlisement à une stratégie de la tension. Les relations entre libéraux et socialistes sont en train de tourner au vinaigre. Et si, jusqu’à présent, David Leisterh et Ahmed Laaouej évitent de s’attaquer personnellement, on sent très bien qu’ils ne sont plus réellement en capacité de négocier sereinement. Et ça, c’est un recul.

L’été dernier, les deux hommes et leurs conseillers avaient passé de longues heures à négocier. Ils avaient avancé sur le budget. Ils avaient discuté de dossiers sensibles comme le logement, même s’ils n’avaient pas abouti à un accord formel. Ils avaient même réussi à se mettre d’accord pour avancer seuls (comprenez sans les néerlandophones), sur le report de la zone de basses émissions ou la prolongation des primes rénovation pour quelques mois. Aujourd’hui, la méfiance est telle que le tandem MR-PS, qui était censé donner le ton de la nouvelle majorité bruxelloise, est à l’arrêt. La confiance n’est plus là. Et tout le travail qui avait été fait l’été dernier est à refaire. Ce n’est pas qu’il n’y a pas de négociations en cours. C’est pire que cela. C’est peut-être qu’il n’y a aujourd’hui même plus de partenaires.

L’Edito de Fabrice Grosfilley