L’édito de Fabrice Grosfilley : la honte
15 morts aujourd’hui. 37 morts hier. 25 morts avant-hier. Je pourrais continuer à remonter dans le temps : les frappes de l’armée israélienne sur la bande de Gaza sont quasi quotidiennes. Cette nuit, parmi les 15 morts, on compte 10 membres d’une même famille, dont la défense palestinienne annonce le décès. Une famille qui résidait dans une maison de Khan Younès et qui a donc été prise pour cible par l’armée israélienne.
À ces bombardements quotidiens, il faut ajouter une politique de siège. La bande de Gaza est devenue un territoire dont il est impossible de sortir. Israël y a enfermé 2 400 000 Palestiniens, qui sont privés de tout. L’aide humanitaire n’y arrive plus. “Gaza est devenue une fosse commune pour les Palestiniens et ceux qui leur viennent en aide”, a dénoncé Médecins sans frontières dans un communiqué publié mercredi. « Laissez-nous faire notre travail », exhortent les représentants de Médecins du Monde, Oxfam, du Norwegian Refugee Council (NRC) et d’autres ONG, qui disent faire face à « l’un des pires échecs humanitaires de notre génération », dans un autre communiqué. Sans économies, coupés du monde, sans ressources, les habitants de Gaza sont entièrement dépendants de cette aide… qui n’arrive plus.
Un an et demi après l’attaque du 7 octobre lancée par le Hamas, “Israël a placé près de 70 % du territoire de Gaza sous ordre d’évacuation ou en zone « no go »”, donc interdite d’accès, indiquait-il y a deux jours le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres. « Les civils doivent être respectés et protégés à tout moment, et ils doivent disposer des biens de première nécessité pour survivre. Tous les otages doivent être libérés immédiatement et sans condition. Le cessez-le-feu doit être rétabli et renouvelé sans délai », écrivait encore António Guterres dans ce message posté sur les réseaux sociaux.
Pas question, lui a répondu le ministre israélien de la Défense, Israel Katz : « aucune aide humanitaire n’entrera à Gaza », les Israéliens estimant que cette aide humanitaire est ensuite utilisée par le Hamas. Des Israéliens qui annoncent avoir transformé 30 % du territoire gazaoui en zone tampon. Une zone tampon, c’est une zone où les Palestiniens n’ont plus le droit de se rendre et où les bulldozers ont tout rasé. Imaginez la Belgique amputée de 30 % de son territoire le long des frontières. Cela voudrait dire qu’on viderait de leurs habitants des villes comme Mons, Liège, Courtrai, Anvers, et qu’on transformerait tous ces territoires en no man’s land. Inimaginable. Et pourtant, Israël, à Gaza, est en train de le faire.
Alors oui, il y a les communiqués des ONG, les protestations de l’ONU, les propos toujours forts d’António Guterres. Une photo d’un enfant palestinien privé de ses deux bras a même obtenu le prix de la meilleure photo d’actualité. Et après ? Après, pas grand-chose ne change. Israël poursuit son offensive.
L’émir du Qatar, qui avait joué les médiateurs pour obtenir une trêve au mois de janvier, le disait très clairement cette semaine aussi : « nous sommes parvenus à un accord il y a quelques mois, mais malheureusement Israël n’a pas respecté cet accord. » Depuis le 18 mars, Israël a repris son offensive dans le territoire palestinien. Et l’offensive se poursuit sans relâche.
L’idée qu’il faille désormais déporter les Palestiniens est dans le débat public. Déporter. On pensait ne plus jamais entendre ce verbe-là. Il dit très bien la violence de cette politique qui veut s’accaparer une terre en expulsant ceux qui y résident et qui tentent de résister. Gaza, la version 3.0 du colonialisme.
Les combats et les bombardements ont déjà fait près de 50 000 victimes à Gaza. Le dire, le dénoncer, trouver cela scandaleux, dénoncer cette ignominie, ce n’est en rien excuser le Hamas, ni l’exonérer de sa responsabilité dans la tout aussi ignoble attaque du 7 octobre. Mais aujourd’hui, les bombes sont israéliennes et les victimes palestiniennes. Nous, Occidentaux, regardons en protestant mollement. Très mollement. Aujourd’hui, on s’en accommode. Mais peut-être qu’un jour, dans un an, dans cinq ans, dans dix ans, il sera difficile de dire qu’on ne savait pas. Et ce jour-là, quand l’Histoire nous jugera, il nous sera difficile d’échapper à la honte.