L’édito de Fabrice Grosfilley : Guerre de position contre guerre de mouvement
Depuis que le Parti socialiste a décidé de dire non à la présence de la N-VA, il ne s’est plus passé grand-chose de visible sur le terrain des négociations. Et surtout, on ne voit pas aujourd’hui ce qui pourrait les relancer, tant les positions semblent figées. Enlisement est donc le bon terme. Avec toutes les conséquences que cela peut avoir : sur le fonctionnement de la Région, sur l’incertitude qui menace les projets financés par les autorités régionales – dans le domaine de la santé ou du social –, sur l’incapacité à travailler sur une trajectoire de réduction du déséquilibre budgétaire, et évidemment sur l’impossibilité de lancer de nouveaux projets. Pas de majorité, pas de gouvernement. Pas de gouvernement, pas de réformes. Pas de budget, pas de projet. Et si les choses restent en l’état, ce sont bientôt des travaux ou des investissements à long terme qui devront être reportés.
En temps normal, je n’aime pas utiliser de métaphores militaires pour décrire une situation politique. Parce que l’art de la politique, en démocratie en tout cas, c’est justement de pouvoir administrer la cité sans avoir recours à la violence. De diriger en ayant en tête le bien commun, si possible en suscitant l’adhésion, et non pas en imposant des décisions conformes aux intérêts d’un petit groupe par la force. Je vais malgré tout emprunter ce vocabulaire militaire ce matin pour essayer de décrire au mieux ce qui est en train de se passer.
Depuis deux mois, nous sommes enfermés dans une guerre de positions. Le front est figé, il ne bouge plus. Depuis que le Parti socialiste a décidé de claquer la porte, il n’y a plus de négociations à proprement parler. D’un côté, nous avons une coalition de quatre partis néerlandophones, avec une alliance qui tient bon, au sein de laquelle se trouve la N-VA. Les néerlandophones ? Combien de divisions, vont demander les experts militaires ? Le collège néerlandophone à Bruxelles compte 17 députés sur un total de 89 parlementaires. Il en faut au moins 8 pour former une majorité. Avec ces 4 partis, on en a 10 : le compte est presque bon. On dit presque parce qu’avec 4 partis pour seulement 3 postes, ce pré-accord requiert une adaptation des règles habituelles, et ça, le PS s’y refuse.
Alliés de ces alliés néerlandophones : le MR et Les Engagés, qui sont donc prêts à entrer en négociation. Là, question divisions, c’est plus lourd : 21 sièges pour le Mouvement Réformateur, incontestable gagnant des élections de juin, et 8 sièges pour Les Engagés. Cette coalition potentielle n’a toutefois pas la majorité tant que le Parti socialiste ou, à défaut, DéFI n’auront pas décidé de la rejoindre.
Depuis deux mois, on assiste donc à un pilonnage en règle. De gros obus en direction du PS, prié de rejoindre les négociations. Des munitions un peu plus légères pour DéFI et surtout Écolo, qu’on essaye aussi de convaincre. Cette guerre de position ne porte pas ses fruits. Le PS a le valet noir, mais cela ne l’incite pas à entrer en négociation. Le veto contre la N-VA reste intact. Et il est fort probable qu’augmenter le calibre des munitions n’y changera rien, au contraire. Plus le PS est pilonné et isolé, plus il semble s’arc-bouter sur sa position, dans ce qui ressemble désormais à une guerre de tranchées.
Avec un bémol dans cette description : le rôle que tente toujours de jouer David Leisterh, qui, entre deux missiles, a tenté ces dernières semaines de trouver une forme d’arrangement qui permettrait à la N-VA d’être dans les négociations sans y être tout à fait, de manière à ce que le PS puisse lever son veto sans vraiment le lever non plus. Ces échanges discrets, comme un messager qu’on envoie derrière les lignes adverses porter un courrier au général du camp d’en face, n’ont pas permis d’aboutir à un cessez-le-feu.
À cette guerre de positions, le PS tente maintenant d’opposer une guerre de mouvement. Les socialistes, qui sentent évidemment la pression monter, veulent sortir des tranchées de cette non-négociation pour déplacer le débat vers le parlement. Pas pour créer un gouvernement en bonne et due forme, mais pour travailler à partir du gouvernement actuel, celui qui est en affaires courantes. La proposition est la suivante : travailler à partir des douzièmes provisoires, les prolonger, essayer de les améliorer si possible – y compris pour faire des économies dans certains cas –, et, pourquoi pas, prendre des initiatives au cas par cas, en fonction des majorités qui se dessinent dossier après dossier.
Ce n’est pas plus confortable, et surtout, on peut douter qu’une telle méthode permette d’aboutir à de réelles économies budgétaires. Faire des économies, c’est se faire mal ; habituellement, les partis politiques y consentent quand ils peuvent en contrepartie se faire du bien sur une politique ou une communication plus favorable. Ce déplacement du débat vers le parlement n’est pas illogique en soi. Les représentants du peuple, c’est le parlement. Et pour le PS, cela a surtout l’avantage de changer le théâtre d’opérations et de placer le débat sur un terrain qui lui semble à priori plus favorable.
Continuer la guerre des tranchées ou tenter l’aventure parlementaire, avec tous les risques de guérillas parlementaires que cela représente : c’est le choix qui se pose désormais aux négociateurs bruxellois. À moins qu’ils ne trouvent une troisième voie et rebattent les cartes. Mais, de notre point de vue d’observateurs, il devient maintenant urgent que quelque chose se passe. Dans le cas contraire, ce sont les troupes de la coalition fédérale qui risquent de sauter sur Bruxelles. Et dans ce cas-là, il pourrait y avoir beaucoup, mais vraiment beaucoup, de dégâts collatéraux.