L’édito de Fabrice Grosfilley : encadrer l’intelligence artificielle ?

Une partie de notre futur se jouera-t-elle dans les prochaines heures à Paris ? Poser la question ainsi peut sembler un brin irréaliste et exagéré. Et pourtant, ce sommet de Paris sur l’intelligence artificielle tombe au bon moment et au bon endroit.

Au bon moment, parce que nous pouvons tous constater l’entrée rapide de l’intelligence artificielle dans nos vies de tous les jours. Une révolution technique comparable à l’arrivée de l’ordinateur. Avec, à la clé, des craintes : des pertes d’emploi par millions. Mais aussi des opportunités, puisque les machines vont pouvoir effectuer de très nombreuses tâches plus rapidement et parfois mieux que nous.

Au bon endroit, parce que l’Amérique étant devenue ce qu’elle est avec l’accession de Donald Trump à la présidence, on sait qu’aucune régulation ne viendra de ce côté-là de l’Atlantique, où c’est désormais open bar pour les multinationales. Les lois américaines seront désormais préparées par les entreprises elles-mêmes. Plus rien ne s’opposera à leur appétit financier.

Et pourtant, avec l’intelligence artificielle, nous n’avons pas affaire à une simple avancée technologique. Nous sommes, nous, les hommes, en train de créer des machines qui imitent et, finalement, dépassent les capacités du cerveau humain, mais sans leur avoir associé la capacité de jugement que possède chacun de nous. Qu’est-ce qui est moral, qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quelle sera la conséquence de cette décision et est-ce que je peux l’assumer ? Comment vont me juger les autres hommes et femmes si je prends cette direction ? Etc.

Alors, un grand sommet comme celui de Paris ne suffira pas à encadrer l’usage de l’intelligence artificielle. Mais il pourrait déjà poser l’une ou l’autre base. Emmanuel Macron a ainsi annoncé hier soir le lancement d’une intelligence artificielle d’intérêt général. Elle s’appellera Current AI et permettra l’accès à des bases de données privées et publiques dans des domaines comme la santé et l’éducation, avec des outils et des infrastructures en source ouverte pour rendre l’IA plus « transparente et sécurisée », précise le communiqué. Huit pays soutiennent le projet : la France bien sûr, mais aussi l’Allemagne, la Suisse, la Finlande, le Maroc, le Kenya, notamment. Côté entreprises, Google et l’éditeur de logiciels Salesforce seront associés. La firme française Mistral ou encore les Américains d’Instacart, un concurrent d’Amazon, soutiennent également l’initiative. On voit bien tout l’enjeu : entre les Américains d’un côté et les Chinois de l’autre, il s’agit de promouvoir une troisième voie et de ne plus être dépendant de systèmes sur lesquels nous n’aurions aucune prise.

La question de l’intelligence artificielle pose, au final, la question de l’encadrement de l’initiative privée. Est-ce que les États, la politique, ont encore leur mot à dire ? Peuvent-ils édicter des règles, imposer des garde-fous, sanctionner une grande entreprise qui ne jouerait pas le jeu ? Quand on voit à quel point il est déjà difficile d’imposer des règles sur la protection des données ou d’obtenir de la transparence sur ce qui est produit par une intelligence artificielle ou pas, on se dit que ce n’est pas gagné d’avance. Et évidemment, l’idéal serait de pouvoir légiférer au niveau mondial. Le sommet de Paris, c’est bien. Dans l’idéal, il nous faudrait une COP de l’IA. Un accord de Paris conclu sous l’égide des Nations unies et qui s’imposerait à tous. Dans le monde d’aujourd’hui, cela relève de l’utopie.

Ce matin, pour préparer cette chronique et m’amuser un peu, tout en illustrant les avantages et inconvénients de l’IA, j’ai demandé à ChatGPT ce qu’il pourrait trouver comme solution pour sortir de la crise politique en Région bruxelloise. ChatGPT m’a ainsi expliqué que le blocage actuel repose sur des lignes rouges difficiles à concilier (merci, on avait compris). Il m’a aussi mis quatre scénarios sur la table avec leurs avantages et leurs inconvénients. La solution la plus pragmatique, me dit cette intelligence artificielle, pourrait être de permettre une présence limitée de la N-VA dans le gouvernement, mais encadrée par des garanties, ou de proposer une majorité sans la N-VA, mais avec un accord institutionnel qui contenterait l’Open VLD et le CD&V. Ces deux pistes ne sont pas inintéressantes même si la notion de double majorité semblait un brin trop complexe pour l’application d’Open AI. Et ChatGPT de terminer sa démonstration en me posant une question :
Quelle option te semble la plus réaliste dans le contexte actuel ? (oui, on se tutoie Chat GPT et moi).

Que l’intelligence artificielle finisse par me retourner la question est assez savoureux. Et cela démontre que, oui, l’intelligence artificielle calcule vite et peut s’appuyer sur des bases de données gigantesques. Mais que non, ChatGPT, DeepSeek et tous les autres n’auront jamais réponse à tout.

Fabrice Grosfilley

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10 février 2025 - 11h19
Modifié le 10 février 2025 - 11h19