L’édito de Fabrice Grosfilley : des blindés pour Forest ?

Ce sera probablement l’un des temps forts de la semaine : une délégation d’industriels du secteur de l’armement en visite à Forest. Une visite qui sera organisée en présence du ministre de la Défense, Théo Francken. Visiter une usine, ce n’est pas la racheter ; rien n’est donc encore fait. Mais ce scénario d’une usine qui pourrait servir à la production de matériel militaire est en train de gagner en crédibilité. L’Union européenne et la Belgique doivent investir dans l’industrie de la défense et gagner en autonomie par rapport aux firmes américaines.  Pour cela, le site d’Audi coche beaucoup de cases : il est libre au bon moment, il accueille en son sein des lignes de production qui pourraient être en partie utilisables. Il est desservi par le rail et par la route, et il est facile à sécuriser.

Ce scénario d’une reprise par une firme du secteur de l’armement est brusquement devenu tangible ce week-end à la suite d’un article du journal L’Echo, qui annonçait en une, samedi, que le groupe John Cockerill pourrait être intéressé par la reprise de cette usine. Le but serait d’y produire des blindés, des chars légers ou du matériel anti-drone, a précisé l’administrateur délégué de ce groupe basé à Liège.  “On n’est pas dans du virtuel. Les choses vont très vite. Nous serons présents la semaine prochaine sur place, avec d’autres partenaires et acteurs”, a poursuivi François Michel, interrogé par nos confrères.

John Cockerill, c’est un chiffre d’affaires de plus d’un milliard d’euros par an, avec un bénéfice de 240 millions en 2023. Le groupe est actif dans le secteur de l’énergie, où il fournit notamment des chaudières ou d’autres équipements pour les centrales électriques, dans l’industrie avec des fours pour la métallurgie, mais aussi dans le secteur de la défense. C’est l’un des leaders mondiaux pour les systèmes de tourelles et les canons de petit ou moyen calibre, de 25 à 120 millimètres. Cockerill produit aussi des véhicules blindés et a repris, l’an dernier, la firme Arquus, qui équipe notamment l’armée de terre française.  À priori, c’est donc du lourd. Si son intérêt se confirmait, cela pourrait offrir un avenir durable au site de Forest.

Pour autant, cela ne ravit pas tout le monde. Le bourgmestre de Forest, Charles Spapens (PS), ne soutient pas l’idée. Selon lui, une telle installation, en pleine agglomération, constituerait une cible en cas d’attaque ennemie.  “Je ne suis évidemment pas un expert en géopolitique. Mais qu’une fabrique d’armes se trouve sur le territoire de Forest, cela entraîne un risque énorme pour Bruxelles. Ce sera le premier site bombardé en cas d’attaque ennemie”, a estimé le bourgmestre, interrogé par l’agence Belga. “S’il s’agit de matériel IT ou d’autres composants technologiques utiles pour la défense, c’est peut-être une autre affaire. Mais ces usines ne peuvent pas constituer une cible de guerre.”

Le débat est donc posé. D’un côté, des emplois et de la production industrielle ; de l’autre, des craintes plus ou moins rationnelles, ou le souhait de voir d’autres entreprises, peut-être plus tournées vers l’avenir, s’installer sur le site. On notera déjà qu’il n’est plus question de produire des obus ou autres munitions, mais plutôt d’assembler des véhicules blindés, un métier qui semble assez proche de la construction automobile. Il est vrai que cette déclaration d’intention d’industriels de l’armement ne coïncide pas avec les plans que les décideurs bruxellois avaient en tête. Pour ce site de Forest, on rêvait plutôt d’une sorte de Silicon Valley, avec des entreprises tournées vers le numérique ou l’intelligence artificielle. Les deux ne sont peut-être pas incompatibles. Il y a sans doute suffisamment d’espace pour qu’un projet n’écarte pas l’autre.

La Région bruxelloise, sans gouvernement de plein exercice, ne sera pas la mieux placée pour se faire entendre. C’est surtout Audi, toujours propriétaire du site, qui va avoir la main. Les pouvoirs publics auront leur mot à dire, mais ils ne décideront pas seuls.  Et surtout, il va falloir faire preuve de discernement et de réalisme. Discernement pour ne pas se faire rouler dans la farine et ne pas courir derrière un miroir aux alouettes avec des investisseurs qui ne seraient pas réellement intéressés. Réalisme pour se dire que si un repreneur se présente effectivement, qu’il est prêt à relancer rapidement une production qui assurera plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’emplois, il ne faudra peut-être pas faire la fine bouche.