L’édito de Fabrice Grosfilley : 17h et après…
Ce n’est plus qu’une question d’heures. David Leisterh est désormais entré dans la dernière ligne droite de cette longue période de négociations qui n’en était pas vraiment une. À 17 heures ce soir, puisque c’est le moment butoir qu’il a lui-même fixé, le formateur devra dire s’il est, oui ou non, en mesure de former une coalition qui accepte de négocier un accord de gouvernement. On ne peut jamais exclure, en politique belge, qu’un miracle se produise, qu’on finisse par trouver un arrangement, qu’une solution imprévue, qu’un bricolage ingénieux permette de sortir de l’impasse. Ces périodes de dramatisation, quand on fixe une date limite et que l’on sent le mur se rapprocher, servent justement à faire bouger les lignes.
À ce stade, nous ne relevons aucun indice permettant de penser que l’équation bruxelloise soit sur le point d’être résolue. À moins d’un mouvement de dernière minute, c’est donc l’hypothèse d’un nouveau constat d’échec qui semble, ce matin, la plus probable.
On pourrait passer de longues heures à essayer de comprendre ce qui s’est passé pendant ces huit mois. Pourquoi l’enthousiasme de juin, lorsque MR-Engagés d’un côté et PS de l’autre ont annoncé qu’ils étaient prêts à travailler ensemble, est-il finalement retombé en septembre, à l’approche des élections communales ? Pourquoi, dans le même temps, les néerlandophones n’ont-ils pas avancé aussi rapidement ? Comment ont-ils tenté de sortir du blocage avec une construction à quatre partis, institutionnellement inédite ? Et comment la machine s’est-elle définitivement grippée quand le PS a refusé d’être dans la même majorité que la N-VA ?
On reconnaîtra à David Leisterh qu’il était face à un puzzle particulièrement complexe. On notera que tous les partis, sans exception – y compris le sien –, ne l’ont pas aidé, en établissant très tôt des lignes rouges, des vetos, des exclusives ou des alliances incontournables qui ont rendu la négociation impossible.
Ce qui nous intéresse maintenant, c’est la suite. D’abord, la forme que prendra la communication de David Leisterh ce soir. Jettera-t-il l’éponge ? Et si oui, de quelle manière ? Annoncera-t-il que son parti, le MR, se met en retrait des négociations, voire opte carrément pour l’opposition ? Est-ce qu’il est, au contraire, prêt à travailler sur une nouvelle formule, en duo avec Elke Van Den Brandt ou en passant le relais à un autre formateur ?
L’intervention de Georges-Louis Bouchez à la Chambre hier après-midi, lors d’une question au Premier ministre Bart De Wever, a donné un indice sur l’état d’esprit du MR. Il a rejeté toute la faute sur ce qu’il appelle “la gauche”, une expression qui englobe, selon toute vraisemblance, le PS et Ecolo. Il a même évoqué une mise sous tutelle de la Région bruxelloise, affirmant que “la gauche bloque institutionnellement une Région confrontée à de graves difficultés”. Si le discours de ce soir reste dans cette même tonalité, les choses seront à nouveau mal engagées.
Pour que ces négociations aient une chance de démarrer un jour, il va falloir que les partis politiques – tous les partis politiques – acceptent de redescendre d’un cran. Probablement que la famille libérale estimera que c’est maintenant à Ahmed Laaouej de mouiller le maillot. Et probablement qu’Ahmed Laaouej ne sera pas pressé de le faire. Il n’y a pas de raison objective de penser qu’il aurait la tâche plus facile que David Leisterh, surtout si l’on se retrouve dans une logique d’”œil pour œil, dent pour dent” : “Tu as bloqué mon projet de coalition, je vais saboter le tien.”
Autre hypothèse : celle d’un duo de médiateurs, un francophone et un néerlandophone. Avec Elke Van Den Brandt, par exemple. Ou la montée au front d’une personnalité des Engagés, comme Christophe De Beukelaer. Le nouveau chef de file des libéraux néerlandophones, Frédéric De Gucht, pourrait aussi être sollicité. On pourrait même faire appel à d’anciens responsables politiques, voire à des personnalités issues de la société civile.
L’idée serait de s’offrir un moment de décompression, en sachant que, quoi qu’il arrive, ce sera ensuite bien aux partis politiques de conclure l’accord. Mais avant d’en écrire le contenu, il faut donc d’abord s’accorder sur la manière dont les prochains jours vont se dérouler. C’est un premier test. Soit on reste dans une logique de confrontation, ce qui n’augure rien de bon. Soit on accepte de tourner la page, on renonce aux invectives, aux attaques, à la menace d’une mise sous tutelle, et on cherche véritablement un chemin.
Ce matin, un appel des partenaires sociaux a d’ailleurs été lancé. Organisations patronales et syndicats bruxellois publient un communiqué dans lequel ils exhortent les partis politiques à prendre leurs responsabilités pour éviter une impasse aux lourdes conséquences. “Bruxelles en a assez de l’inaction gouvernementale, ne rien faire n’est plus une option”, indique ce texte signé par les trois grands syndicats et par quatre organisations patronales.
Le message est clair : huit mois pour former un gouvernement, c’est anormalement long. Pour gouverner un pays, une région, une ville il faut que les professionnels de la politique acceptent d’être des gestionnaires et pas seulement des harangueurs de foule en campagne électorale perpétuelle. Pour permettre ce changement de costume, il va falloir retrouver un peu de sérénité.