Le piétonnier toujours sous le feu des critiques

Cela fait 5 ans que les boulevards du centre ont été transformés en piétonnier. Si les travaux viennent seulement de s’achever, les problèmes de sécurité, de propreté et de mobilité sont présents depuis longtemps. Les commerçants et les habitants en ont assez même si la plupart ne voudraient pas revenir en arrière.

Pendant près de deux heures, nous avons arpenté le piétonnier en compagnie du député et conseil communal libéral, David Weytsman. En guise d’introduction, il rappelle que le piétonnier est un projet de la législature précédente et que le MR faisait alors partie de la majorité. “Je ne suis pas opposé au projet de piétonnier. Je pense que c’est un mieux pour la Ville mais il faut en faire quelque chose de qualitatif et de sûr pour tout le monde.”

Pour David Weytsman , il existe des problèmes de propreté publique, de personnes en errance, de mendicité, d’incivilités. Ces points noirs sont des phénomènes sociaux qui peuvent être réglés si la police est d’avantage présente. On pourrait avoir un commissariat mobile devant la Bourse. Nous avons souhaité renforcer cet axe et aujourd’hui, il est un peu abandonné. Il faut que la Ville de Bruxelles en fasse une priorité. Il faudrait dire ce qu’on peut faire. Est-ce qu’on peut dormir sur un banc ou la pelouse toute la journée? Les trottinettes passent partout à toute vitesse, tout comme les vélos, et cela crée de l’insécurité pour les familles. Les commerçants et les habitants souffrent pour le moment.”

Yvan Vanderbergh habite rue du Marché aux Charbons. Cinq ans après la piétonnisation, cet ardent défenseur de la réappropriation de l’espace public par les habitants, est plutôt ravi par le piétonnier mais il pointe tout de même plusieurs problèmes. “Il y a la question du bon usage. Peut-on par exemple rouler en Vespa sur le piétonnier? Selon le policier que vous croisez, la réponse est différente. Est-ce qu’on peut amener sa musique, jouer au foot? On ne sait pas. On pourrait mettre des pictogrammes à l’entrée.”

Piétonnier : les piquets entourant les plantations ont été retirés

Récemment, la Ville de Bruxelles a démarré une campagne pour faire ralentir les vélos et les trottinettes sur le piétonnier. Plusieurs panneaux ont été installés ainsi que des pochoirs au sol. La vitesse maximale est de 6km/h, soit l’allure d’un piéton. Depuis début septembre, les bikers de la police de la zone de Bruxelles Ixelles verbalisent. Chaque jour, une vingtaine de PV sont dressés, soit une centaine depuis le début. L’amende peut se monter jusqu’à 174 euros.

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“C’était une plainte que l’on recevait régulièrement, commente le bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Philippe Close (PS). Nos bikers agissent pour que tout le monde se sente en sécurité. Pour les trottinettes et les cyclistes, nous allons créer des parcours dans les parallèles, notamment rue de Laeken lorsque les travaux de Brucity seront terminés.”

Quant à la problématique du comportement, le bourgmestre ne voit pas les choses de la même manière. “Je ne peux pas interdire les gens de dormir sur un banc ou dans l’herbe! Je sais qu’il existe des problèmes de mendicité, on ne va pas se mentir, mais avec l‘interdiction de consommer de l’alcool, cela s’est amélioré. Alors il est vrai que les SDF se sont déplacés dans les rues adjacentes mais nous sommes une grande ville avec les problèmes qui vont avec. Sur notre territoire, nous concentrons 80% de l’aide médicale d’urgence de tout le pays. Nous devons traiter la pauvreté sans mépris et je pense que c’est ce que nous faisons. Nous avons encore des difficultés plus importantes avec les Roms, particulièrement rue Neuve et rue des Fripiers mais je ne pense pas que mettre un commissariat sur le piétonnier soit une solution. Moi je ne veux pas enfermer des policiers dans un bâtiment. Je veux qu’ils soient dehors et c’est le cas aujourd’hui.”

Depuis le début de l’année 2021, la police a verbalisé 70 personnes pour consommation d’alcool sur le piétonnier.

La mobilité en question

Malgré tout, les arguments du bourgmestre ne satisfont plus les commerçants qui perdent un peu patience“On nous a trompé, clame Michel, patron du salon de coiffure Michel Hair Fashion, rue Van Artevelde. Aucun parking n’a été réalisé. Les accès en voiture sont réduits et on n’est pas en sécurité. Des hommes pissent sur la vitrine, il y a tout le temps des saloperies. On n’a pas d’espace pour parler avec nos dirigeants. Ils nous demandent juste les couleurs qu’on peut mettre sur l’asphalte. Ce n’est pas ça une politique de mobilité. Ils nous ont trompé à 100%! Et avec la covid, on nous a anéanti. Ils empêchent les gens de travailler.”

D’autres commerçants ont expliqué devoir fermer leur porte à l’heure de pointe car les embouteillages rendent l’atmosphère irrespirable ou encore que des sens de circulation changent sans prévenir.

Le cabinet de l’échevin de la Mobilité, Bart D’Hondt (Groen) explique qu’un test de 7 semaines a été mené suite à une déviation mise en place à cause de travaux près de la rue des Riches Claires. Le sens de circulation a été définitivement changé dans la rue du Midi et sur le boulevard Anspach entre Fontainas et Teinturiers. Le trajet du bus 48 a aussi été adapté ce qui évite les dégradations liées au passage du bus. La décision a été prise en concertation avec la Stib, plusieurs commerçants, les pompiers et l’AB.

Les bus ne circuleront désormais plus sur le piétonnier du centre

La propreté aléatoire

Les commerçants pointent aussi du doigt les soucis de propreté avec des poubelles intelligentes qui ne s’ouvrent plus quand elles sont pleines et donc des gens qui mettent leurs déchets à côté, ou encore des hommes qui urinent dans le miroir d’eau devant la Bourse alors que des enfants jouent dedans le lendemain.

Piétonnier : la ville se reflète dans un nouveau miroir d’eau

L’échevine de la Propreté Zoubida Jellab (Ecolo), explique que des patrouilles passent aussi régulièrement pour éviter les dépôts clandestins, que les poubelles sont vidées deux fois par jour et que l’eau de la fontaine est nettoyée plusieurs fois par semaine.

Cependant, les week-ends restent problématiques reconnaît la Ville. Et puis, certains commerçants ne sortent par leurs poubelles au bon moment. “J’aimerais bien modifier l’heure des collectes pour qu’elle corresponde mieux avec les habitudes des commerçants, explique Fabian Maingain. Mais il faut voir cela avec Bruxelles Propreté et c’est extrêmement compliqué.”

Augmenter la mixité commerciale

Et puis, il y a le problématique de la mixité commerciale. “Lorsque Marion Lemesre (MR) était échevine du Commerce, un schéma de développement commercial avait été établi, rappelle David Weytsman. Des zones étaient définies pour répondre aux attentes des touristes et des habitants, pour faire du piétonnier un pôle d’attraction. Finalement, on ne s’en est pas servi, il y a toujours beaucoup de snacks et la Régie foncière n’a cassé aucun bail pour mettre d’autres enseignes.”

“Il y a du monde mais ce sont surtout des habitants du quartier, ajoute Yvan Vandebergh. On a personne d’Uccle et de Woluwe. Ils disent que c’est sale, qu’ils ne savent pas se garer mais si on regarde les commerces, on n’a pas de raison de venir. Cela ne va pas. On pourrait avoir des commerces plus mixtes et variés. Au centre-ville, cela doit être le piétonnier de tout Bruxelles.”

Actuellement, sur le piétonnier, deux cellules commerciales sont encore vides dont une appartient à la Régie foncière. “Nous cherchons un commerce de détail pour remplacer le magasin de chaussures, explique l’échevin du Commerce, Fabian Maingain (DéFi). Le MR semble cependant oublier qu’il existe une législation pour les baux et qu’on ne peut pas les casser comme ça. Nous avons travaillé sur les commerces autour de la Bourse également en faisant venir d’autres enseignes horeca de qualité. Sur le piétonnier, nous n’avons que 30% de cellules occupées par ce type de commerces.”

Fabian Maingain reconnait que le schéma de développement commercial a pris du retard. “Avec le covid, c’est plus compliqué. Nous allons présenté une nouvelle étude d’ici la fin de l’année pour qu’un plan soit mis en œuvre en 2022. En attendant, nous avons déjà lancé un appel à projet pour le bâtiment Continental à De Brouckère et nous espérons bien attirer une locomotive commerciale. Et puis, il y a le projet Games State avec des jeux d’arcade qui s’ouvre pour attirer des familles. Les galeries Anspach vont être améliorées aussi.” Le Continental, ou le bâtiment Coca-Cola pour les Bruxellois, est un symbole fort. Les candidats ont jusqu’au 13 décembre pour remettre leur projet pour un bail d’une durée de 50 ans.

En 2019, 11% des cellules commerciales étaient vides dans le périmètre du piétonnier soit 4 points de plus qu’en 2016. Fabian Maingain explique cette différence par les travaux. “Cela va changer et puis nous allons mettre l’accent sur la création de liaison entre les autres rues. La rue Sainte-Catherine va être aménagée en piétonnier. Il faudra refaire les abords de Brucity quand le chantier sera terminé. Cela devrait permettre de mettre en valeur des commerces de destination pour faire revenir toutes les catégories de clientèle.”

Encore embellir

Et pour l’embellissement, la Ville souhaite répondre favorablement à la demande des habitants de créer une vraie entrée au niveau de la place Fontainas. Une grande œuvre d’art devrait y prendre place. Quant au côté minéral souvent reproché à De Brouckère, à la Bourse ou à la Monnaie, on répond qu’il faut aussi des grands espaces pour des événements.

18 arbres plantés place De Brouckère

“Nous avons beaucoup investi dans cette zone, conclut le bourgmestre Philippe Close. Le privé aussi. En tout, cela représente près d’un milliard d’euros. Je vois aujourd’hui que des sociétés internationales comme Total ou Bank of New York veulent installer leur bureau sur le piétonnier. Des hôtels vont s’ouvrir. C’est un signe de réussite. Cependant, on peut toujours améliorer et nous devons rester attentifs à la mixité du quartier. Aujourd’hui, beaucoup d’expats avec un fort pouvoir d’achat s’y installent. Certains logements se vendent à plus de 5.000 euros du mètre carré. Il faut aussi qu’on conserve des habitations abordables. C’est important pour une ville.”

Vanessa Lhuillier