Prison de Haren : “Ce n’est pas le pays des Bisounours, on sait où on met les pieds”

Dans les prisons, les détenus ont accès à différentes formations. Données par des intervenants externes, elles leur permettent d’obtenir des compétences dans certains domaines, mais aussi de se préparer pour obtenir leur CEB ou leur CESS. Socialisation, avenir, dossier pénitentiaire : les raisons de se former en prison sont multiples. Pour les formateurs, c’est une entrée dans un monde souvent fermé.
La prison de Haren fait régulièrement la une de l’actualité. En deux ans, de nombreuses situations problématiques ont été dénoncées. Suicide, agressions, surpopulation carcérale : que ce soit pour les conditions de vie des détenus ou pour les conditions de travail des gardiens, le tableau dressé fait froid dans le dos. “Haren, c’est une nouvelle prison”, explique un travailleur anonyme d’Adeppi, une ASBL en charge de l’insertion socio-professionnelle et de l’éducation permanente en prison. “Dès lors, c’est une des prisons sur lesquelles on tape le plus. (…) Elle est pas mal décriée, surtout vu les événements actuels.”
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“Il y a eu tellement de promesses par rapport à Haren. En plus, ce sont des propriétaires privés. Cette prison est dans le collimateur“, indique ce même travailleur. “C’est une prison très moderne, avec plus ou moins 10% de la population carcérale de Belgique. Il y a des points positifs et négatifs.”
À Haren, Adeppi a deux missions. D’une part, l’ASBL donne des cours préqualifiant de remise à niveau. Ces cours concernent l’alphabétisation des détenus, mais aussi l’apprentissage de l’informatique, du français ou encore d’une langue étrangère. Le but est de fournir aux détenus les prérequis nécessaires pour passer leur CEB ou leur CESS. D’autre part, l’ASBL organise des ateliers d’éducation permanente, comme des ateliers créatifs.
“Nous sommes au fait des conditions de détention“
“Avant toute chose, on ne parlera que de notre action auprès des détenus“, prévient un travailleur dès le début de l’entretien. “On ne parlera pas de ce qui ne nous concerne pas. On n’est pas amené à aller dans les cellules des détenus, ni à vivre leur quotidien.” Si ces formateurs refusent de parler de ce qu’ils entendent à la prison, c’est avant tout pour ne pas mettre en péril leurs conditions de travail, expliquent-ils, ni “les conditions de vie des détenus qui ne sont déjà pas incroyables”. “Nous sommes au fait de leurs conditions, de ce que les détenus subissent et de ce qu’ils vivent au quotidien. De même que les conditions de travail pour les agents qui ne sont pas évidentes. Mais il n’est pas de notre ressort de divulguer ce genre d’informations.”
“Contrairement à la prison de Forest, on a moins de contacts avec les agents. On parle ici d’un village pénitentiaire, mais c’était plus un village à Forest qu’à Haren. À Forest, on avait l’habitude de voir des détenus avec des agents. Ici, on croise des agents, mais ils sont tous derrière des vitres, derrière des murs. On les croise uniquement quand ils passent d’une vitre à l’autre.”
Des formations ouvertes, sous conditions
Adeppi propose des formations dites “non qualifiantes”. Dès lors, “l’accès est compliqué par la lourdeur de l’administration pénitentiaire”. “Nos formations ne sont pas primordiales aux yeux de la prison“, explique un travailleur.
Les détenus ont besoin d’argent dans les prisons. Ils privilégient donc au maximum le travail face aux formations. Dans le cas des formations qualifiantes, l’administration essaye d’organiser les plannings afin que les détenus puissent travailler et se former. Cependant, cet aménagement de planning ne concerne pas les formations données par Adeppi : “Il y a une forte pression qui est mise sur les détenus pour maintenir leur place au travail. (…) Les détenus choisiront toujours le travail par rapport à nos formations si on leur laisse le choix et si on leur met la pression.”
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“Il en va de même quand le détenu est puni. Il est mis à l’écart, en cellule fermée, pendant un certain nombre de jours. Là, les règles sont les mêmes“, continue le formateur. “S’il doit participer à une formation qualifiante, il peut. Mais si c’est un atelier créatif par exemple, il ne pourra pas y participer, même si ce sont des ateliers tout aussi importants pour l’éducation permanente.” En effet, certaines formations données par Adeppi sont primordiales pour les détenus, notamment ceux qui ne parlent pas le français. “Les documents en prison sont soit en français, soit en néerlandais. Si le détenu n’a pas un contact dans la prison qui parle la même langue que lui, il est livré à lui-même.”
Les travaux réalisés durant les ateliers créatifs restent dans la prison. “Les détenus peuvent récupérer les travaux individuels et les placer dans leur cellule.” “Ne sortent de la prison que certains travaux, avec des conditions. Un enregistrement sonore, par exemple, c’est très compliqué à faire sortir. L’administration pénitentiaire a son mot à dire. On ne peut pas demander à un détenu de parler de ses conditions de vie et faire sortir l’enregistrement de la prison pour le diffuser dans la presse. Il faut l’accord de la prison.” De là à parler de censure ? Non, selon le travailleur. “Tout le monde connait les conditions de détention et les conditions de travail (…). Si les enregistrements sont bien justifiés, la prison ne dit pas non. Mais, si c’est pour mettre à mal la prison, ce sera difficile à faire accepter.“
Des motivations diverses
Les détenus participent sur base volontaire aux formations. “Pour certains, le fait de pouvoir sortir de leur cellule et de faire autre chose que tourner en rond, c’est déjà positif. Après, ils se prennent au jeu“, constate un travailleur. “La socialisation est une motivation, même si les détenus socialisent à d’autres moments aussi. Ils essayent d’avoir accès au plus grand nombre possible de moments de socialisation.”
D’autres motivations existent, comme l’aspect positif de ces formations sur leur dossier pénitentiaire. “En plus, s’ils suivent quatre heures de cours, ils sont payés par la prison. On ne vous dira pas le montant. Il est ridicule, mais c’est toujours ça.”
Des classes sans surveillance, mais une haute sécurité
Les cours donnés par Adeppi se font par petits groupes. Généralement, il y a entre cinq et huit détenus par session. Les formations ne sont presque jamais complètes, malgré la surpopulation carcérale à Haren. “On n’a pas cette impression de surpopulation, mais elle est là, elle existe. Il y a beaucoup de mouvements, beaucoup de transferts.”
“Je suis seul avec les détenus durant toute la durée du cours. Il n’y a pas de sécurité dans la classe. Il y a un agent à 2 mètres – 2 mètres 50 de la classe qui gère les allées et venues des différents détenus“, indique le formateur. “J’ai l’obligation d’avoir un téléphone avec un bouton d’alarme sur moi. En cas de problème, des agents spécialisés interviennent dans les 30 secondes. Mais, en 50 ans, on a dû faire face à ce genre d’incidents une ou deux fois“, rassure-t-il. Les détenus sont d’ailleurs relativement autonomes à Haren, car ils disposent d’un badge leur permettant de se déplacer : “Ils n’ont plus besoin d’être accompagnés par un agent pour aller de leur cellule à nos cours (…) On ne les traite pas comme des assistés. Ils ont des responsabilités.”
Quant à l’entrée dans la prison, “c’est assez sécurisé“. “On passe par les mêmes portiques de sécurité que les visiteurs et la direction. On est soumis aux mêmes règles de sécurité. On ne peut pas rentrer avec n’importe quel objet.” Adeppi a le droit d’entrer à Haren avec des téléphones, des ordinateurs et des clés USB dans le cadre de leurs formations. “Mais il faut montrer tout notre matériel à l’entrée et à la sortie de la prison, pour bien montrer qu’on a tout repris avec nous.“
“On n’est jamais à l’abri d’un incident“
Seuls avec les détenus, les formateurs n’ont pas forcément l’impression d’être en danger : “Nos stagiaires sont contents d’être là, mais il y a quand même des tensions entre certains détenus“.
Quant aux récentes agressions des gardiens, les formateurs ne se sentent pas forcément plus stressés qu’avant. “Notre relation avec les détenus est très différente de celle des gardiens. On ne fait pas partie de l’administration pénitentiaire. On est là pour eux, et uniquement pour eux.” Cependant, le travailleur précise qu’une peur peut être présente chez certains de ses collègues, “car Haren reste une prison.” “Ce n’est pas le pays des Bisounours, on sait où on met les pieds.(…) C’est en toute connaissance de cause qu’on y va.”
“On n’est jamais à l’abri d’un incident, mais on n’a pas tout le temps ça en tête“, conclut le travailleur. “Personnellement, en comparaison avec mon travail administratif, aller à Haren, c’est ma bouffée d’oxygène.”
Emilie Vanhemelen – Photo : Belga