Chemin de fer : Paris-Bruxelles, une histoire vieille de 175 ans

Il y a 175 ans, la première liaison ferroviaire entre deux capitales voyait le jour : elle reliait Paris et Bruxelles, en dix heures trente. Jalon important dans l’histoire du chemin de fer en Belgique et en Europe, il a précédé de 150 ans l’inauguration de la ligne à grande vitesse.

Fraîchement indépendante, la Belgique se lance dans la construction d’un réseau de chemin de fer. Le contexte économique mais aussi politique de l’époque pousse le pays à développer une alternative au transport fluvial, connecté aux Pays-Bas : les Hollandais bloquent les accès à la mer depuis l’Escaut et le port d’Anvers est bloqué.

En 1835, la première ligne ferroviaire du continent est réalisée entre Bruxelles et Malines, rappelle Michelangelo van Meerten, spécialiste de l’histoire des transports. Moins de 10 ans plus tard, notre pays compte déjà 556 km de voix. « C’est le premier pays au monde à conçevoir un réseau de chemin de fer comme un ensemble, comme un tout, financé par de l’argent publicC’est un choix dès le départ destiné à désenclaver le pays.», explique Stéphane Disière, responsable du patrimoine historique de la SNCB. Ce n’est donc pas un hasard si la première grande ligne internationale vise à connecter la Belgique à l’Allemagne : elle reliera le Rhin à l’Escaut, en 1843 (Anvers, Maline, Liège et la Prusse).

Juin 1846 : première liaison entre deux capitales

Redoutant de se faire doubler par la Prusse, la France se décide à se lancer dans l’aventure, après d’interminables débats sur la nature et les sources des investissements nécessaires. Mais elle va d’abord construire les 11 km de lignes nécessaires pour relier Lille au réseau Belge. La grande ville du Nord sera donc connectée à la Belgique (et à Bruxelles), avant de l’être à Paris. Il faut dire, insiste Michelangelo Van Meerten, que l’Etat français est moins pressé que nous.

Aussi, ce n’est qu’en juin 1846, que Paris rejoint par le rail, d’abord Lille et puis Bruxelles, inaugurant rien de moins que la toute première liaison ferroviaire entre deux capitales.

« La France a aussi un intérêt économique à faciliter ses transports vers la Belgique, un pays en plein boom industriel. C’est pour ça que le transport de marchandises sera visé dans un premier temps. Mais  vu l’engouement que suscite le projet, très vite les lignes voyageurs suivront. », complète Michelangelo van Meerten.

La ligne de train Bruxelles-Paris fête ses 175 ans

Paris-Bruxelles … en dix heures trente

Les célébrations ont lieu en deux temps : le 14 juin 1846, c’est la ligne Paris-Lille qui est officiellement ouverte. Le lendemain, le 15 juin, c’est au tour de la ligne Paris-Lille-Bruxelles d’être inaugurée. Hector Berlioz composera une œuvre pour l’occasion.

A l’époque, à Bruxelles, la seule gare digne d’accueillir un convoi de prestige est la gare du Nord, qui vient d’être inaugurée sur la place Rogier. 8000 personnes y sont rassemblées le 15 juin 1846 pour saluer l’arrivée du tout premier train en provenance directe de Paris. Pour arriver dans le Nord de Bruxelles, il lui faut passer par Gand, puisque le nord et le sud de la ville ne sont pas encore reliés. Le lendemain, pour reprendre la route vers Paris, le train repart de la modeste gare des Bogards, place Rouppe (l’ancêtre de la Gare du Midi).

Le trajet dure alors dix heures trente. Et est assuré par deux trains par jours dans chaque sens, un de jour et un de nuit. « Les passagers devaient descendre à la frontière, pour les contrôles de douane et souvent il fallait remplacer la locomotive. », décrit Stéphane Disière.

Au début, le voyage en 1ère coûte 36 Fr, 24 Fr en 2e classe. A titre de comparaison, un repas gastronomique à Paris tourne autour de 4 Fr au milieu du 19e. Cela donne une idée de la valeur du billet de train, indique Stéphane Disière. Autant dire que seules les classes favorisées peuvent se l’offrir. Mais une fois arrivé à la frontière belge, en direction de Bruxelles, des voitures de 3e classe étaient rattachées au convoi « car il y avait beaucoup plus de voyageurs sur le territoire belge. Et la population y était plus mélangées. En France, les gens qui prenaient le Paris-Bruxelles étaient des gens aisés. »

Il y a 25 ans, la grande vitesse …

La ligne a ensuite été améliorée, de nouveaux tronçons ont été construits pour rendre le trajet plus rapide (grâce notamment au nouveau tronçon vers Saint-Quentin), la vitesse techniques des locomotives s’est renforcée et les temps de parcours ont diminué, pour passer progressivement à 4h30 au début du 20e siècle.

La Compagnie internationale des wagons-lits a introduit vers les années 1880 des trains de luxe entre Paris, Bruxelles et Anvers notamment. En 1957, on passe à la traction diesel avec les Trans-Europ-Express (TEE), le trajet alors se fait en 2h30.

Enfin, la France va se lancer dans la construction de sa ligne à grandes vitesses entre Paris et Lille, et puis Londres par le tunnel sous la Manche. Les Belges vont s’associer au projet. Créé en 1996, Thalys est un consortium où SNCB et SNCF, ainsi que les Chemins de fers néerlandais et allemands, s’associent pour développer le TGV, avant de devenir une entreprise indépendante, où SNCB et SNCF seront actionnaires. La liaison à grande vitesse est lancée. Paris et Bruxelles ne sont plus éloignés que d’une heure et 22 minutes.

En 2019, Thalys a transporté près de huit millions de voyageurs.

Paris-Bruxelles : comment la ligne va marquer la capitale

La première liaison ferroviaire Paris-Bruxelles permettra dans un premier temps de développer les relations économiques entre nos deux pays au milieu du 19e siècle et au début du 20e. Mais aussi les liens culturels entre la Belgique et la France. Beaucoup de réfugiés français choisiront Bruxelles, en raison des facilités de communication entre les deux villes. Le train renforcera également chez nous l’influence intellectuelle, culturelle française, dans tous les domaines depuis la littérature jusqu’à la cuisine, en passant par la mode et la musique.

Mais c’est aussi au niveau de l’urbanisme que les conséquences de cette liaison se marqueront. Ainsi, pour Alix Sacré, chargée d’étude à l’ARAU, il y a un lien entre la création de cette ligne et la réalisation un siècle plus tard, de la jonction Nord-Midi. La connexion transfrontalière se traduira par une intensification du trafic et par la création dans le sud de la ville d’une gare susceptible d’accueillir des convois internationaux. La station des Bogards est en effet trop petite et peu adaptée. Elle sera remplacée une première fois, et ensuite, en 1869 par une nouvelle gare situé à Saint-Gilles, la gare du Midi. “Quand on arrivait de Paris à Bruxelles, on ne pouvait pas débarquer dans une toute petite gare comme celle des Bogards. C’est dans la foulée de la création de la ligne Paris-Bruxelles que la gare du Midi va devenir la plus importante du pays.”

Quant à la jonction nord-midi, les premiers projets datent de la moitié du 19e siècle, rappelle Alix Sacré, et s’inscrivent dans la continuité du principe de relier les villes européennes entre elles par le rail. Pour cela, il n’était plus possible d’imposer aux voyageurs de descendre d’un côté de la ville et de rejoindre par leurs propres moyens  l’autre côté pour y reprendre leur voyage en train. “La jonction nord-midi était le chaînon manquant pour faire de Bruxelles une plaque tournante du transport ferroviaire européen.”, conclut l’historienne.

S.R. – Image : Bx1