Abattage rituel : les communautés religieuses demandent le retrait de la proposition d’ordonnance
Ce mercredi matin, les députés bruxellois de la commission Environnement, ont pu entendre les premières auditions dans le cadre du débat sur l’abattage rituel avec ou sans étourdissement. Ce sont d’abord les représentants des religions juives et musulmanes qui se sont exprimés, suivis des représentants des Abattoirs d’Anderlecht et de la Fédération des boucheries halals de Belgique. Tous demandent l’abandon du projet d’ordonnance.
Il s’agit certainement du dossier le plus sensible de cette deuxième moitié de législature. L’abattage rituel peut-il se pratiquer sans étourdissement au nom de l’amélioration du bien-être animal tout en permettant aux minorités religieuses de pratiquer leur culte ? En Flandre et en Wallonie, l’abattage rituel sans étourdissement a été interdit. Les arrêtés d’applications sont rentrés en vigueur en août dernier. La Cour de Justice de l’Union européenne a donné raison aux deux Régions, même si les instances religieuses assurent que la question juridique n’est pas encore complètement vidée.
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En effet, dans certains textes, il est indiqué que les États peuvent interdire l’abattage sans étourdissement, mais qu’il peut subsister une exception au nom de la pratique religieuse. “Il est bon au nom du vivre-ensemble de maintenir l’équilibre, a expliqué le grand-rabbin de Bruxelles, Albert Guigui. Cette décision est injustifiée et disproportionnée.”
Pour les communautés juives ou musulmanes, il s’agit là d’une interférence de l’État dans le culte, ce qui est contraire à la séparation entre l’État et la religion. ‘L’exception portait sur la protection des minorités religieuses et nous en parlions déjà en 1974, a ajouté Johan Benizri, du Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB). On savait déjà ce qu’était la laïcité à cette époque et le but était de préserver la paix sociale.”
Un discours instrumentalisé par les extrémistes
Du côté de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, on a le sentiment que le discours est aujourd’hui instrumentalisé par les extrémistes. “Il faut alors améliorer le bien-être animal tout au long de la vie de l’animal et non juste au moment de sa mise à mort, là où cela touche le fait religieux, a expliqué Coskun Beyazgül. Personne ne se préoccupe du gavage des oies, de la cuisson du homard ou de la chasse. Si ce texte est adopté, cela sera grâce aux voix de l’extrême-droite. Or, tous les partis francophones viennent de renforcer le cordon sanitaire. Il faudrait être cohérent.”
À ce propos, le début de séance fut le seul moment de tension de la commission malgré des points de vue divergents. Avant d’entamer les auditions, le député DéFi, Jonathan de Patoul, co-auteur de la proposition d’ordonnance déposée également par Groen et l’Open VLD, a demandé à ce que son texte soit présenté avant ceux du Vlaams Belang et de la N-VA. Selon le règlement, l’ordre chronologique de dépôt des textes prévaut. Seulement, il existe un accord de principe entre les partis démocratiques de ne pas favoriser les textes de l’extrême-droite.
Le texte des partenaires de majorité aurait donc pu être examiné avant les autres, mais le PS et Ecolo ont refusé cette demande. Ambiance donc dans les rangs de la majorité, tout comme de l’opposition. “C’est un fait qui n’arrive jamais, commente la cheffe de groupe libérale Alexia Bertrand. Ce n’est pas une décision anodine et cela donne un signal à l’extrême-droite. On fait croire que les propos sont extrémistes alors que ce n’est pas le cas. Personnellement, je ne voudrais pas voter contre le texte du Vlaams Belang et qu’on me dise ensuite qu’on ne peut pas voter le texte de DéFi parce qu’on a refusé celui de VB.”
Plus de certification halal ou casher
Malgré ces tensions entre membres de la majorité, le reste du débat fut calme. Évidemment, les représentants des communautés ont avancé une série d’arguments contre l’abattage rituel avec étourdissement. “Il n’existe pas de consensus scientifique sur la question de la souffrance animale, a expliqué Bruno Fiszon, vétérinaire et rabbin français. En France, l’INRA a fait des relevés. 90% des animaux meurent en moins de 30 secondes. Lors de l’étourdissement, il existe aussi des ratés. Entre 6 et 16% des animaux ne sont pas étourdis avant de voir la lame. C’est plus que le nombre d’animaux tués dans le respect du rituel.”
Pour les communautés juives et musulmanes, une chose est certaine : si un animal est tué avec étourdissement, alors la viande ne pourra plus être certifiée casher ou halal.
Du côté des groupes politiques, certains comme le PTB ont plaidé pour que le politique n’interfère pas dans le religieux. D’autres (le PS) se posent la question sur l’opportunité d’une coconstruction avec les représentants du culte. DéFi a tenu à préciser que le code du bien-être animal, dont le ministre Bernard Clerfayt (DéFi) à la charge, était en cours de rédaction et prendrait donc en compte tous les aspects de la vie de l’animal. Au MR, on a aussi rappelé qu’une proposition avait été déposée concernant la cuisson des homards. Le but : montrer que le texte n’est en rien contre les religions.
Une question économique
Après les communautés religieuses, ce sont les Abattoirs d’Anderlecht qui ont pris la parole. La question les touche directement puisque 80% des mises à mort se font selon l’abattage rituel sans étourdissement. La société craint une grande diminution de son activité si l’ordonnance est acceptée. Elle rappelle aussi qu’elle ne peut pas être comparée avec des abattoirs intensifs et que le rituel prend plus de temps par bête que la mise à mort avec étourdissement.
De plus, le permis d’environnement pour les Abattoirs d’Anderlecht prend fin en 2028. Dans le cadre du réaménagement du quartier, il sera possible de repartir d’une page blanche en améliorant les conditions. Cependant, en attendant, difficile de trouver des investisseurs et si Bruxelles ne peut plus proposer de la viande halal ou casher, les clients iront ailleurs.
C’est également ce qui inquiète la Fédération des boucheries halals de Belgique. Aujourd’hui, 50% des boucheries bruxelloises sont halals. Pour les bouchers, il existe plusieurs incohérences dans le texte. Tout d’abord, il est impossible d’étourdir par électrocution un bovin avant la mort. La technique est donc irréversible. Idem pour les autres animaux. “C’est une mise à mort. La bête ne va pas aller retourner dans son pré après et on ne lui fera pas une thérapie pour sa souffrance une fois qu’elle est morte, s’est exclamé Youssef Elassoodi. Nous avons toujours travaillé en circuit court dans le respect de l’animal parce que nous voulons connaître nos éleveurs. Si on doit acheter notre viande en France, cela ne sera plus le cas. Est-ce que 3 heures de trajet en camion est meilleur pour l’animal qu’un abattage rituel ?”
La problématique de l’importation
Les acteurs économiques ont aussi souligné cette question du circuit court et de l’empreinte écologique de la viande. Si les pays limitrophes comme la France, voire plus éloignés comme la Pologne, proposent de la viande certifiée halal, les bouchers se tourneront vers ces filières. Les agriculteurs enverront aussi leurs bêtes plus loin pour la mise à mort. “Il n’y a déjà plus de certification halal pour les volailles en Belgique, car le seul abattoir qui était en Flandre a dû fermer suite à l’interdiction, a précisé la Fédération des boucheries halals. La certification n’est de toute manière pas contrôlée et chaque firme privée peut faire ce qu’elle veut. C’est un problème pour la protection du consommateur. En venant acheter dans les petites boucheries, les clients désirent s’assurer de ce qu’ils mangent.”
Pour ces acteurs, il serait donc hypocrite de voter une loi chez nous alors qu’elle ne s’applique pas ailleurs.
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Lundi prochain, ce sont d’autres acteurs qui seront auditionnés. Il y aura encore des vétérinaires, des juristes, des associations de défense du bien-être animal. Les auditions se termineront le 1er juin prochain.
Vanessa Lhuillier – Photo : BX1