L’édito de Fabrice Grosfilley : la politique des gladiateurs

Dans quelques heures, ce sera silence radio. Les candidats à l’élection présidentielle française seront contraints de se taire jusqu’au moment des premiers résultats dimanche soir à 20h00. Devoir temporaire de réserve pour tout le monde. Et un sérieux contraste avec une campagne où il y aura eu beaucoup de bruits… mais pas forcément beaucoup d’idées.

À partir de ce vendredi soir, minuit, toutes les activités de campagne sont donc strictement interdites sur le territoire français. Meeting électoral, interview, débat, et même distribution de tracts, plus rien de tout cela ne sera possible. Les candidats sont même invités à geler le contenu de leurs sites internet. Même chose pour les médias français qui ne peuvent plus donner la parole aux prétendants ou à leurs supporters, et encore moins publier des sondages qui pourraient influencer l’opinion. Il faut « garantir la liberté d’expression des électeurs et empêcher toute pression de nature à altérer la sincérité du scrutin », pour reprendre les termes du conseil constitutionnel.

Cette période de répit est à l’opposé de ce que nous avons pu connaitre ces dernières semaines, avec une avalanche d’interviews, de meetings, de déclarations, de débats télévisés. Des sondages quotidiens, des reportages, etc.  Et comme l’élection présidentielle est celle qui donne le ton de la politique française, nous sommes nombreux à l’avoir suivie avec beaucoup d’intérêt. La France, c’est notre voisin, notre troisième partenaire commercial derrière l’Allemagne et les Pays-Bas, l’un des moteurs de la construction européenne, et surtout un pays dont nous partageons la langue, la culture, et notamment une partie de la culture politique. Il n’est pas rare que les débats lancés en France finissent par arriver chez nous, même si le fait que nous vivions dans une monarchie, avec un État fédéral, un scrutin proportionnel et un système de gouvernements de coalition font que nos manières de gouverner et de faire de la politique sont en réalité très éloignées l’une de l’autre.

De cette campagne française, on retiendra surtout qu’elle ne fut pas favorable aux partis politiques traditionnels. Les Républicains à droite, le PS à gauche, mais aussi Europe Écologie-Les Verts, toutes ces familles politiques qui peuvent s’appuyer sur un passé bien ancré dans le débat démocratique, sont sorti épuisés de l’exercice. En plébiscitant, au niveau des sondages actuellement, Marine Le Pen, Eric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon, les électeurs, mais aussi les médias qui ont évidemment une part de responsabilité, semblent avoir voulu tirer un trait sur les formations qui sont des piliers historiques de la politique française. Ce qui s’est passé pendant cette campagne ressemble à une forme de dégagisme “soft”, ce désir de nouveauté et de rupture qui voudrait l’emporter sur l’expérience et la continuité.

Deuxième enseignement : le glissement très net du débat français vers les thèmes de l’extrême droite. Ce n’est pas la première fois que l’immigration et la sécurité sont des thèmes de campagne. Mais qu’on parle à ce point d’identité nationale, de “grand remplacement”, de “remigration”, cela ne s’était jamais vu. Que les candidats d’extrême-droite aient réussi à imposer leurs priorités et leur vocabulaire, d’abord sur les réseaux sociaux, ensuite dans les médias traditionnels, n’est pas anodin. Que des candidats qui prônent la sortie de la France de l’Union Européenne ou de l’euro soient ainsi crédibles et plébiscités doit réellement inquiéter les Européens que nous sommes.

Enfin, dernier constat qui peut nous interpeller : la virulence des arguments et la logique de combat imposés par cette nouvelle manière de faire de la politique. Sur les réseaux sociaux et par contamination, sur les plateaux TV, on ne discute plus. On assène. On ne défend plus des arguments,  on ne cherche plus à comparer les propositions. On impose ses idées et sa vision du monde, et au passage, on fabrique des boucs émissaires, on clive et on ostracise. Comme si les Français renonçaient à une politique qui était basée sur le débat d’idées pour lui préférer un spectacle qui se rapproche du combat des gladiateurs.

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