L’édito de Fabrice Grosfilley : Paris, 10 ans déjà
C’était il y a dix ans.
Dix ans, c’est un laps de temps qui n’est ni long ni court. Pour certains, c’était hier, tant les événements sont inscrits dans leurs mémoires, dans leurs émotions intimes, leurs douleurs, parfois même dans leur propre chair. Pour d’autres, c’est déjà lointain. Parce qu’ils n’étaient pas en âge de comprendre réellement ce qui se passait à l’époque, parce qu’ils ne s’y sont pas intéressés, parce qu’ils étaient focalisés sur autre chose, ou parce qu’ils sont dans une forme de déni — ne voulant pas comprendre ce qui s’est joué ce jour-là, ne voulant pas trop y réfléchir, ou préférant garder des sentiments inavouables enfouis derrière les paroles convenues de monsieur et madame Tout-le-Monde.
C’était il y a dix ans, et pour ceux qui n’étaient pas encore couchés, on vivait presque en direct les terribles attentats de Paris. Les informations, parcellaires, arrivaient les unes après les autres ; il fallait les décoder pour comprendre, et on avait peine à y croire tant nous étions frappés de stupeur.
Dans l’ordre : un attentat suicide aux abords du Stade de France, avec des ceintures explosives. Puis le mitraillage des cafés et de leurs consommateurs, en salle ou en terrasse, dans le 10ᵉ et le 11ᵉ arrondissement de Paris. Puis l’entrée d’un groupe terroriste dans la salle du concert du Bataclan. Fusillade, prise d’otages, des centaines de spectateurs présents, jusqu’à ce que le RAID, les policiers d’élite français, donne l’assaut un peu après minuit.
132 morts, 350 blessés. Le choc est terrible. Pour les Parisiens, bien sûr. Pour tous ceux qui aiment leur ville ou qui ont des liens avec elle. Et aussi pour nous, les Bruxellois.
Il apparaîtra très vite que les terroristes ont des liens avec Bruxelles, que certains d’entre eux venaient de la région bruxelloise. Abdelhamid Abaaoud et Salah Abdeslam sont en fuite et deviennent les ennemis publics numéro un, à retrouver d’urgence. Le premier, considéré comme le chef du commando, sera abattu cinq jours plus tard, lorsque la police donnera l’assaut à la planque qu’il avait trouvée à Saint-Denis, en région parisienne. Salah Abdeslam, lui, prend la fuite vers la Belgique. La police le rate de peu à Forest ; il sera finalement arrêté le 18 mars à Molenbeek. Quatre jours plus tard, ce qui reste de cette cellule terroriste commettra les attentats de Bruxelles.
Les attentats de Paris et de Bruxelles, tous deux revendiqués par l’organisation terroriste État islamique, sont donc intrinsèquement liés. Ce devoir de mémoire, qui s’impose aujourd’hui à Paris et aux Parisiens, nous le vivrons à notre tour dans quelques mois à Bruxelles. Dix ans, c’est un chiffre rond, symbolique. Les journées de commémoration, à l’occasion d’une date marquante, ont toujours un peu plus d’ampleur et un peu plus de résonance médiatique.
Mais cela ne doit pas nous faire oublier que, pour tous ceux qui ont été marqués directement par les attentats, la mémoire et la douleur ne sont pas des phénomènes intermittents qui reviendraient se manifester une fois par an, ou une fois tous les dix ans. Ce sont des vies qui ont été ôtées, des existences qui ont changé de direction pour toujours.
Et pour Molenbeek, il faut bien en parler, c’est un stigmate, lourd à porter. Une étiquette dont il faut tenter de se défaire. En ayant suffisamment de lucidité pour dire que oui, ce mélange délétère d’extrême violence, dérivée du grand banditisme, de discours de haine et d’islamisme radical, a pris plus de place ici qu’ailleurs. Que cela reste un combat de tous les jours : accompagner les jeunes et les moins jeunes qui pourraient être tentés, par fanatisme religieux, par défi ou par rejet de la société qui les entoure, d’emprunter ces mêmes chemins qui mènent au djihad et à la terreur.
Et en ayant suffisamment de nuances aussi pour savoir que si le phénomène a existé, et continue sans doute d’exister aujourd’hui encore, il n’en est pas moins marginal. Qu’il ne représente ni les croyants musulmans dans leur ensemble, ni la commune de Molenbeek et ses 98 000 habitants.





