L’édito de Fabrice Grosfilley : l’uppercut d’Ans Persoons qui met les négociations K.O

Elle ne s’était plus exprimée depuis longtemps. Ans Persoons, la cheffe de file de Vooruit, le parti socialiste néerlandophone en Région bruxelloise, est sortie de sa réserve dans le journal De Morgen ce matin : « Il faut arrêter de se comporter comme dans une cour de récréation où les gens disent avec qui ils ne veulent pas jouer. Il faut tout remettre sur la table », dit-elle, allant jusqu’à évoquer un changement de formateur, critiquant implicitement David Leisterh : « il est peut-être temps que quelqu’un d’autre assume ce rôle pendant un certain temps. »

Ans Persoons est donc la négociatrice en cheffe de Vooruit, actuellement secrétaire d’État en charge de l’urbanisme et du patrimoine au sein du gouvernement sortant de Rudi Vervoort. Tête de liste des socialistes néerlandophones aux dernières élections, son parti a décroché deux sièges dans le collège néerlandophone, un score en recul par rapport aux élections précédentes. Elle-même a obtenu 2 378 voix de préférence. Il n’empêche qu’avec deux sièges, Vooruit est l’un des partis dont il semble difficile de se passer dans le collège néerlandophone. Et Ans Persoons, comme Pascal Smet avant elle, qui occupait la même fonction, a une certaine capacité à délivrer des messages percutants… parfois à des moments où on ne s’y attend plus.

Pour Ans Persoons, donc, la piste qui consiste à taper à la porte d’Écolo n’en est pas une : « c’était écrit dans les astres », dit-elle.  « Écolo avait déjà dit il y a six mois qu’il opterait pour l’opposition. Pour tous ceux qui suivent un peu la politique francophone, il était clair que cette voie n’était pas réaliste. Nous avons donc perdu trois semaines supplémentaires. »
Le constat est cinglant. On peut y lire une critique de la stratégie poursuivie par David Leisterh, qui cherche désormais à trouver d’autres partenaires de majorité que le Parti socialiste. À en croire Ans Persoons – bien qu’il faille rappeler qu’elle est socialiste, même si elle est néerlandophone –, ce ne serait pas la bonne direction. Et surtout, elle laisse entendre que David Leisterh n’est peut-être pas la bonne personne au bon poste à ce stade de la négociation.

« Un formateur doit avoir des discussions approfondies avec tout le monde pour comprendre les sensibilités de toutes les parties. Vous comprendrez ainsi pourquoi la N-VA se focalise beaucoup sur les institutions, pourquoi la N-VA est difficile pour le PS, ou pourquoi l’Open VLD aime prétendre qu’il n’a pas eu le ministre du Budget au cours des 25 dernières années… »
« Il est peut-être temps que quelqu’un d’autre assume ce rôle pendant un certain temps. Par exemple, un médiateur un peu plus éloigné des parties. »

Au-delà de l’attaque contre le formateur, on notera qu’Ans Persoons se prononce surtout pour une réouverture du jeu du côté néerlandophone. C’est la première fois qu’on l’entend. L’accord à quatre entre Groen, Vooruit, l’Open VLD et la N-VA, souvent présenté comme bétonné côté néerlandophone, ne le serait donc pas.  « Avec seulement une majorité néerlandophone, nous ne sommes rien. Nous devons avoir un gouvernement, et pour cela, il faut parler à toutes les parties. J’ai parfois l’impression d’être la seule à parler encore à tout le monde. » Même la piste du commissaire du gouvernement en charge du budget ne semble plus trouver grâce à ses yeux : « Les néerlandophones sont déjà surreprésentés au parlement et au gouvernement. Créer un nouveau poste pour eux est donc délicat : je me demande si c’est la meilleure solution. » Créer un poste de secrétaire d’État serait donc, selon elle, une meilleure option : « C’est plus transparent, et un secrétaire d’État est responsable devant le Parlement, ce qui n’est pas le cas d’un commissaire du gouvernement. »

Cette interview est importante parce qu’elle rouvre complètement le jeu. Ce que suggère Ans Persoons, c’est donc que David Leisterh cède sa place à un médiateur, lequel repartirait d’une page blanche et tenterait à son tour de séduire la CD&V avec un poste de secrétaire d’État. D’après mes informations, ce n’est pas la première fois que la piste d’un quatrième secrétaire d’État est sur la table. Ans Persoons l’a déjà proposée lors des négociations, mais la famille libérale s’y était opposée. Ans Persoons, n’ayant pas réussi à imposer sa solution par la porte, tente désormais de passer par la fenêtre.

S’il y a une personne qui doit se frotter les mains ce matin, c’est bien Ahmed Laaouej. Le front néerlandophone, qui rendait la N-VA totalement incontournable depuis un mois, qui avait entraîné la sortie du PS des négociations et conduit à un blocage total, vient de s’écrouler avec l’interview d’Ans Persoons. Les négociations bruxelloises retournent à la case départ. 

Fabrice Grosfilley 

Partager l'article

19 décembre 2024 - 10h14
Modifié le 19 décembre 2024 - 10h14