L’édito de Fabrice Grosfilley : l’impuissance face à Audi

C’est  le scénario du pire. Celui que les syndicats et travailleurs d’Audi redoutaient et qui est en train progressivement de se mettre en place. Celui d’une fermeture pure et simple de l’usine de Forest. Un démantèlement de l’outil de production, qui laisserait la place à un désert économique et potentiellement un chancre à deux pas de la gare du Midi. Hier, la piste du repreneur a donc fait long feu. Il n’y en aurait qu’un au final, et il serait considéré comme non viable. Ce qui frappe après la journée d’hier, c’est l’opacité qui entoure ces négociations. On parlait de 20 dossiers au départ, 26 même, 13 se seraient retirés en cours de route et il n’y en aurait finalement qu’un seul en capacité de faire une offre de rachat. Seul Audi sait qui s’est manifesté ou pas, et ne veut rien en dire pour l’instant. De cet hypothétique et seul repreneur potentiel, on ne sait donc rien : ni s’il est un acteur du monde automobile, ni le nombre d’ouvriers qu’il pourrait reprendre. D’après le journal L’Echo, il ne s’agirait pas de D’Ieteren, dont le nom avait circulé à un moment, et on parlerait d’environ 1500 emplois. Si Audi lui-même qualifie la piste de non viable, c’est parce que ce repreneur mystère aurait demandé de telles garanties que cela aurait refroidi le constructeur allemand. Vendre le site, oui, mais dans l’idée de se désengager, pas dans celle de devoir accompagner la nouvelle activité qui y serait déployée.

Pour les travailleurs d’Audi, tout se passe comme si Audi soufflait le chaud et le froid, ou comme si l’entreprise entretenait une communication ambiguë dans le seul but de défendre ses intérêts. Un repreneur peut-être, mais pour cela, vous avez intérêt à montrer que vous êtes travailleurs et productifs. Rendez-nous les clefs des voitures, reprenez le travail, il faut que l’usine tourne pour mettre toutes les chances de notre côté. Et au final, rien, une baudruche qui se dégonfle, l’éléphant qui accouche d’une souris, ou le SUV qui se résume à une poignée de portière. Une portière qui se referme et qui claque sur les espoirs de reclassement que certains pouvaient encore avoir. Même si la direction d’Audi a annoncé hier vouloir se donner encore 5 jours supplémentaires avant d’arriver à une conclusion définitive. Les syndicats et travailleurs d’Audi peuvent aujourd’hui avoir un doute légitime sur la volonté de trouver un repreneur.

En parallèle à ces négociations mal engagées, la direction de l’usine entamait aussi hier le dialogue autour du plan social, comme le prévoit la procédure de la loi Renault. La direction y a notamment fait une proposition d’indemnités. La proposition de la direction a été jugée “trop basse” par les travailleurs, qui ont spontanément cessé le travail. “On se moque de nous, on est considérés comme moins que rien, ce sont des cacahouètes, Audi nous méprise”, c’était la réaction des ouvriers hier soir. Alors évidemment, en début de négociations, on part toujours de très bas. Ce qui était sur la table hier ne devrait pas être la position finale.

Il n’empêche, les ouvriers d’Audi et leurs syndicats semblent bien seuls ce mercredi matin. Comme si les autorités belges ne se tenaient pas à leurs côtés. Pas d’intervention de la task force, un gouvernement fédéral en affaires courantes, qui ressemble aux affaires souffrantes. Alors c’est vrai, il n’y a pas beaucoup de moyens de pression sur le groupe Volkswagen, maison mère d’Audi.  Vrai aussi, c’est tout le secteur automobile qui souffre, constatant que la course au SUV l’amène dans une impasse, et que la transition vers les véhicules électriques est plus lente que prévu. Et il est vrai encore qu’Audi semble assez peu enclin à prêter une oreille attentive aux demandes de nos autorités, refusant même de répondre positivement aux convocations de la Chambre. Il n’empêche, entendre l’un ou l’autre ministre hausser le ton, saisir la Commission européenne, demander des comptes, menacer de frapper Audi au portefeuille, en appeler à la solidarité auprès du gouvernement allemand, apporterait un peu de baume au cœur des ouvriers. Ce serait aussi de nature à modifier un peu le rapport de force, qui paraît à ce stade fort déséquilibré.

Ecouter l’édito de Fabrice Grosfilley

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02 octobre 2024 - 11h26
Modifié le 02 octobre 2024 - 11h26