L’édito de Fabrice Grosfilley : le bruit des casseroles

C’est la période des casseroles. Elles sortent les unes après les autres, et touchent à peu près tous les partis. Les casseroles, ce sont ces incongruités, petites ou grandes, qui font apparaître qu’entre les grands principes défendus par les partis d’un côté, et la réalité des candidats qui se présentent sur leurs listes, il y a parfois une pratique du grand écart dont la souplesse rendrait jaloux plus d’un athlète sélectionné pour les Jeux olympiques.

Sur les réseaux sociaux par exemple, les internautes se délectent d’une vidéo du Mouvement Réformateur où l’on voit Rana Arbab, candidat en 46e position sur la liste au Parlement régional, apporter son soutien à un autre candidat, Rachid Azaoum. La presse avait déjà noté que ses affiches étaient particulièrement polyglottes, avec des mentions en français, en néerlandais, mais aussi en anglais, en turc, en arabe et en ourdou, la langue du Pakistan. La pratique des langues est évidemment un atout dans la Région bruxelloise où l’on compte 180 nationalités. Sauf que sur la vidéo en question, le candidat Arbab ne semble pas parler le français ni le néerlandais. C’est donc un doublage qui a été apposé sur sa partie. “Je demande à tous mes amis de voter pour mon ami, un ami que je connais depuis très longtemps, pour ces élections qui sont très importantes”, etc. Et sans doute pour qu’on ne se rende compte de rien, le vidéaste a cru bon de rajouter sous le doublage un violon kitsch. L’effet est particulièrement savoureux. Et évidemment, on n’oserait pas accuser le MR de faire du communautarisme avec un candidat qui ne parle pas français. On se réjouit de voir en quelle langue le candidat Arbab pourrait prêter serment s’il devait être élu.

À peu près dans le même registre, DéFI a tiré le gros lot avec une casserole refilée par le Parti socialiste en la personne d’Emin Oskara. Ce Schaerbeekois avait été élu sur les listes PS il y a 5 ans, mais il a rapidement claqué la porte de l’auberge rouge pour siéger une grande partie de la législature comme indépendant. Il est donc récupéré par le parti de François De Smet et Bernard Clerfayt. Emin Oskara a déjà fait savoir qu’il n’était pas question pour lui de voter l’obligation d’abattage avant étourdissement. Il est donc en complet décalage, pour ne pas dire en complète opposition, avec la doctrine d’un parti qui fait de la neutralité de l’État et de la défense de la laïcité l’un des points forts de son positionnement. Le communautarisme, c’est le truc qu’on voit surtout chez les autres, et qu’on ignore dans ses propres rangs.

Il n’y a pas que le communautarisme comme casserole. Il y a les fréquentations aussi. Depuis quelques jours, Christophe De Beukelaer, tête de liste pour Les Engagés, se débat avec un article du site d’information Blast qui révèle ses liens avec une sorte de gourou français, un certain Ramon Junquera, lui-même subjugué par un certain Bernard Montaud. Tout ce petit monde serait très branché développement personnel, pratique l’hypnose à l’occasion et affirme avoir des connexions avec les extraterrestres. On parle ici de coaching, de maître et d’adeptes. Christophe De Beukelaer dément en bloc et a annoncé qu’il déposait plainte contre Blast, mais l’affaire fait un peu mauvais genre quand on conduit une liste électorale et qu’on se rêve ministrable.

Au rayon des casseroles, il faut aussi se méfier du retour de bâton. La casserole boomerang. Celle qu’on envoie à la tête du voisin et qui finit par vous revenir en pleine figure. De ce point de vue, la campagne 2024 est particulière à Bruxelles. Elle est truffée de vidéos qu’on s’échange sur les réseaux sociaux, sur WhatsApp en particulier. Des vidéos où l’on prend des extraits d’interviews, ceux de BX1 notamment, dont on prend un petit passage qui vous arrange et où l’on souligne les incohérences ou les lâchetés supposées du camp d’en face. On ajoute des messages écrits pour renforcer la démonstration, un ou deux slogans et le tour est joué. Il ne s’agit pas de faire la promotion de vos idées ou de vos candidats, il s’agit de dénigrer les concurrents. La plupart des auteurs de ces vidéos sont d’ailleurs anonymes. Vous lancez votre message, comme on dégoupille une grenade, et vous observez les dégâts. Le problème, c’est que la presse commence à avoir une vue assez précise de cette campagne qui se passe sous la surface. Et il n’est pas exclu que leurs auteurs finissent par être nommément pointés du doigt. L’effet risque d’être assez dévastateur.

C’est toujours amusant, les casseroles. Et que tout le monde se rassure, la campagne n’est pas finie, ceux que l’on n’a pas cités aujourd’hui verront sûrement leur tour arriver. Il y en aura pour tout le monde. Avec un petit souci quand même : c’est qu’on aimerait vraiment pouvoir débattre des programmes, des idées, des projets. On est sûr que les partis le désirent aussi. Pour cela, il ne faudrait pas que le concert de casseroles fasse tellement de bruit, qu’il finisse par tout recouvrir.