Précarisés par la crise sanitaire, les chercheurs postdocs veulent être entendus par le FNRS
La recherche académique est elle aussi touchée par la pandémie. Le plus souvent d’une durée de trois ans, le mandat postdoctoral est déterminant dans les parcours des chercheurs. Mais en pleine crise sanitaire, leur mission se révèle difficile à remplir. Se sentant oubliés, plusieurs chercheur.ses appellent à l’aide et publient une lettre ouverte, forte à ce jour de 70 signatures.
Le monde académique est affecté à de multiples égards par la crise sanitaire. Des bouleversements qui touchent les étudiants et les enseignants. Mais aussi les chercheuses et chercheurs. Si les doctorants ont finalement obtenu les aménagements nécessaires à la poursuite de leur mission, ce n’est pas le cas des postdoctorants. Marie (nom d’emprunt) est en troisième et dernière année de recherche postdoctorale à la faculté de Philosophie et Sciences sociales à l’ULB, sous contrat FNRS (Fonds de la Recherche Scientifique). Une période cruciale dans la construction de sa carrière académique. « Nous sommes ceux et celles qui sommes le plus près de pouvoir candidater pour l’obtention d’un poste permanent. On enchaîne les contrats, qui nous permettent d’augmenter nos chances d’avoir un poste mais pour cela il faut produire le plus possible. » Le postdoctorat est en effet la dernière étape, après le doctorat, et avant le poste de chercheur permanent. Il est financé, dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, par un organisme de financement de la recherche, comme le FNRS, ou une université. Près de 1700 chercheur.ses sont sous contrat FNRS dans les universités francophones, dont 300 postdoctorants, selon les chiffres du FNRS.
Séjours à l’étranger, colloques annulés
Or depuis le mois de mars, les postdoctorant.es enchaînent surtout les déconvenues, qui mettent en péril leur avenir. Ce sont des déplacements pour des enquêtes de terrain à l’étranger, indispensables à la poursuite des travaux de recherches notamment pour les anthropologues et archéologues, mais impossibles à honorer vu la difficulté de voyager ; ce sont des séjours dans des universités internationales, des accès à des archives et des bibliothèques hors Belgique auxquels il faut renoncer, retardant le travail et les publications; c’est l’organisation de colloques internationaux, « des mois de préparation », qu’il faut se résoudre à annuler, alors que leur présence sur un CV est précieuse. « La question de la mobilité est essentielle pour nous. Mais elle est complètement remise en question dans le contexte actuel. On doit renoncer à beaucoup de choses qui auraient dû valoriser notre CV. », explique Marie. La situation des chercheur.ses est en soi porteuse de précarité mais elle l’est plus que jamais depuis le mois de mars.
Le quotidien des chercheur.ses a changé depuis près d’un an. Ceux et celles qui ont charge de famille en sont doublement pénalisés. « Beaucoup se sont retrouvés à devoir s’occuper de leurs enfants, à cause des fermetures de crèches, de classes et d’école, ce qui retarde inévitablement le travail. », continue cette autre chercheuse. « La crèche de mon enfant a fermé pendant deux mois, j’ai dû travailler à mi-temps durant cette période. Il est difficile de mesurer exactement le temps perdu, mais dans un temps de recherche déjà très court, chaque jour perdu compte. », raconte cette postdoctorante en histoire, qui conclut : « La pandémie révèle et accentue des problèmes qui existent déjà pour les chercheuses et chercheurs postdoctorants aux statuts flous et compliqués (…) Globalement, la possibilité de parentalité (mais sans doute encore plus de maternité) est difficilement pensée et accueillie. »
Fin de non recevoir ?
Des demandes ont été adressées aux autorités universitaires et au FNRS en vue d’obtenir des aménagements, tels qu’une prolongation de contrat, comme cela a été finalement accordé aux chercheur.es doctorant.es. Mais les requêtes, nous disent nos interlocuteurs, sont restées lettre morte. Il est à noter qu’à l’étranger, en France par exemple, plusieurs institutions finançant des bourses et mandats de recherches ont décidé de prolonger les contrats postdoctoraux en raison de la situation sanitaire pour permettre aux personnes concernées de terminer leur recherche. Alors chez nous, devant le manque de réaction du FNRS, quatre chercheuses ont initié une lettre ouverte pour faire connaître leur situation, dénoncer « l’absence de considérations » à leur égard « et appeler au soutien du monde académique. » afin de trouver une réponse concrète à leurs difficultés. Leur tribune est soutenue par près de 70 chercheur.es et enseignant.es.
Chloé Deligne, chercheuse qualifiée du FNRS et membre de la CGSP Enseignement-Recherche à l’ULB confirme le peu de réaction suscitée par leurs appels : « Nous avons relayé leur demande vers les responsables académiques et du FNRS, sans succès. » Les situations des postdocs sont compliquées, continue-t-elle, beaucoup sont en mobilité internationale avec des statuts précaires. Mais l’un des arguments du FNRS, indique encore l’enseignante, c’est de donner la priorité aux doctorants, pour ne pas hypothéquer leur avenir.
Le FNRS nous confirme avoir reçu “quelques demandes de la part de chercheurs postdoctorants et des questions de la part de départements d’administration de la recherche des universités.” Mais poursuit : “Sur base d’une décision du CA, le FNRS a décidé d’utiliser les moyens financiers dégagés par la ministre de la Recherche scientifique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, soit 930.000 euros, afin de permettre aux doctorants en dernière année de thèse de prolonger leur mandat de trois mois maximum pour des motifs liés à la crise sanitaire actuelle et ayant provoqué un retard non récupérable.”, nous répond en effet Véronique Halloin, la secrétaire générale du FNRS. Cette catégorie de chercheur est motivée par le fait qu’ils sont tenus de terminer leur thèse “afin d’obtenir leur diplôme dans un certain délai.”, explique encore Véronique Halloin.
Mais il nous revient que le sujet est à l’ordre du jour d’une réunion extraordinaire de l’organe de concertation et de négociation (OCN) du FNRS (OCN), prévue demain mardi. Le début d’une prise en compte des revendications des chercheurs postdocs? Il n’est pas prévu à ce stade de changer d’orientation, répond de son côté Véronique Halloin.
La lettre ouverte est disponible ici
S.R. – Photo : Arch. Bx1